Tout comme de nombreuses pratiques culturelles, ce que nous mangeons et considérons comme équilibré fait partie de notre environnement, lui-même constitué d’un grand nombre d’influences d’origines culturelle, historique, politique et économique. Luz Calvo et Catrióna Rueda Esquibel, toutes deux chercheuses à l’Université d'État de Californie, se sont inspirées de cette notion pour créer un projet et un livre de cuisine intitulé « Decolonize your diet » (Décolonisez votre assiette). Leur objectif est de dévoiler le lien existant entre les habitudes alimentaires et les empires coloniaux et de préserver le savoir ancestral des communautés oubliées par le monde moderne.
Luz Calvo et Catrióna Rueda Esquibel recueillent les techniques issues de la culture ancestrale mexicaine ainsi que les traditions chicanas [fr] actuelles :
Decolonize Your Diet will walk with you as you reclaim your culture by sharing recipes, cooking techniques, and discussions of ingredients. We believe that food is medicine and we share information about the health benefits of ancestral foods, herbs, and teas. We encourage you to talk to your elders, relatives, and traditional healers in your community to learn from their wisdom and knowledge. We honor cultural knowledge by contributing what we know. We encourage you to do the same […] As US-born Latinos/as, we have much to learn from the way our ancestors ate. Eating our ancestral foods can help us prevent and treat the diseases that result from adopting the Standard American Diet. […]
« Décolonisez votre assiette » vous aide à redécouvrir votre culture en vous proposant de partager des recettes, des astuces de cuisine et en discutant des ingrédients. Nous avons la conviction que l’alimentation influe sur la santé aussi nous partageons des informations sur les bienfaits apportés par les aliments, les herbes médicinales et les tisanes de nos ancêtres. Nous vous encourageons à discuter avec vos anciens, votre famille ainsi qu’avec vos guérisseurs traditionnels afin qu’ils vous transmettent leur sagesse et leurs connaissances. Nous honorons ce savoir culturel en partageant nos connaissances et nous vous encourageons à faire de même […] En tant que Latino-Américaines nées aux États-Unis, nous avons beaucoup à apprendre des habitudes alimentaires de nos ancêtres. Notre alimentation traditionnelle peut nous aider à prévenir et soigner les maladies découlant du régime alimentaire standard nord-américain. […]
La santé est la motivation essentielle de Luz Calvo. Elle a commencé à faire des recherches plus approfondies sur les aliments après avoir été diagnostiquée d’un cancer du sein. Cet événement a marqué le début de son engagement à consommer des aliments bio et non transformés pour faire en sorte “que chaque repas soit l'occasion d’empêcher le retour du cancer. Jusqu’ici, tout va bien !”
Global Voices a demandé à Luz Calvo d'en dire plus sur ses sources d’inspiration et sur ce qu’il y a derrière le projet « Décolonisez votre assiette ».
GV : Expliquez-nous ce qu’est « Décolonisez votre Assiette » ?
Luz Calvo (LC): We are theorizing decolonization from the point of view of Mexican American (our preferred term is Chicanx) peoples. Decolonizing our diets means that we are trying to reconnect with healthier ways to nourish ourselves. This means connecting to our ancestral knowledge—knowledge that has been passed down for thousands of years in the Americas. We research pre-Hispanic era foods in order to better understand the wealth of indigenous food knowledge that is the root of much of contemporary Mexican cuisine. So to us, decolonizing our diets is a political stance, one that rejects white supremacy and Eurocentrism as the organizing narrative of “healthy” food and recognizes the cultural knowledge held by our immigrant communities.
Luz Calvo (LC) : Nous théorisons la décolonisation du point de vue de la population mexicano-américaine (nous préférons employer le terme Chicanos). Décoloniser nos assiettes, c’est essayer de recréer un lien avec un régime alimentaire plus sain pour mieux nous alimenter. Cela implique de renouer avec les connaissances ancestrales qui nous ont été transmises durant des siècles sur tout le continent américain. Nous avons effectué des recherches sur l’alimentation de l’ère pré-hispanique afin de comprendre la richesse des connaissances culinaires indigènes qui sont à l’origine de la cuisine mexicaine d’aujourd’hui. Donc pour nous, décoloniser notre assiette est une posture politique qui rejette la suprématie blanche et l'eurocentrisme comme base d'une nourriture “saine”, et se retrouve dans les savoirs culturels détenus par nos communautés d'immigrants.
GV : D’où vous est venue cette idée? Quelle en est son origine ?
LC: There are a lot of reasons that we felt compelled to write this book. We’re Ethnic Studies professors in the business of teaching culturally relevant history to Cal State students. We found that many of the models of healthy eating emphasized the Mediterranean diet, which is really just the Greco-Roman model of western civilization. We wanted to emphasize how the native foods of America had a profound influence on cuisines all over the world. All the chiles, tomatoes, corn, potatoes, squash, many of the berries, most of the beans in the world all originated in indigenous American cultures. So we wanted to shift the focus to show how a Meso-American diet is traditionally healthy: with a wide variety of fruits and vegetables, plant-based proteins, and an amazing array of flavors.
LC : Il y a tant de motifs pour lesquels nous avons ressenti le besoin d’écrire ce livre. Nous sommes professeurs d’études ethniques et nous enseignons aux étudiants de Cal State l’histoire culturellement significative. Nous avons constaté que nombre de modèles d’une bonne alimentation mettent l’accent sur le régime méditerranéen, qui n’est autre que le modèle d’alimentation gréco-romain à la base de la civilisation occidentale. Nous voulions mettre l'accent sur l’influence considérable qu’ont exercée les aliments autochtones d’Amérique sur la cuisine à travers le monde entier. Tous les piments, les tomates, le maïs, les pommes de terre, les cucurbitacées, les nombreuses baies, la plupart des haricots, tous ces aliments sont issus des cultures des peuplades autochtones d’Amérique. C'est pourquoi nous avons voulu changer les mentalités et démontrer qu’un régime alimentaire mexicano-américain est traditionnellement équilibré et contient une vaste sélection de fruits et légumes, de protéines végétales ainsi qu’une incroyable palette de saveurs.
GV : Pourquoi pensez-vous que nous devons décoloniser notre assiette ? De quelle manière est-elle colonisée ?
LC: A lot of people think that eating healthy means eating to lose weight, or going without. One student told us that she had tried and tried to eat more healthy, to eat salads instead of her regular meals. “I failed,” she said. This student, a child of Mexican immigrants, had internalized dominant US culture’s narrative about what constitutes healthy eating (largely eating salads and being skinny). There is a misconception that Mexican food is inherently unhealthy. However, the diet of rural Mexico is rich in fruits and vegetables: corn, beans, squash, chiles, nopales, and wild greens are all central to the rural Mexican diet. Once this student examined her diet by reading ingredients and tracking the content of the foods, she realized that the tamales, vegetable soups, salsas did not need to be eliminated! Instead, she cut out the sugary drinks like soda. She talked to her family about alternatives, such as water and unsweetened or lightly sweetened agua frescas. As a young mom, she has continued to practice healthy eating following our principles. And she is raising her son on home-cooked Mexican meals!
Through our research, we have come to understand that most ancestral diets (pre-1950s) were healthy, including the Meso-American diet. We find it objectionable that doctors will often recommend a “Mediterranean diet” to their Mexican patients, without understanding that the beans, corn, and vegetables that are central to the Mexican ancestral diet is just as, if not more, healthy.
LC : Beaucoup de gens pensent que manger sain veut dire perdre du poids ou manger moins. Une étudiante nous a dit qu’elle a essayé à plusieurs reprises de manger mieux en remplaçant ce qu’elle mangeait habituellement par des salades. “J'ai échoué”, nous a-t-elle déclaré. Cette étudiante, fille d’immigrants mexicains, avait assimilé le schéma culturel américain de ce que signifie une alimentation saine (principalement s’alimenter avec des salades et rester mince). C'est une erreur de penser que la cuisine mexicaine n'est pas bonne pour la santé. En effet, le régime alimentaire en zone rurale au Mexique est riche en fruits et en légumes tels que le maïs, les haricots, les cucurbitacées, les piments, les figues de barbarie [fr] ainsi que quelques légumes verts sauvages en constituent l'essentiel. Après avoir analysé ce qui constituait son régime alimentaire, cette étudiante s’est rendue compte qu’elle n’avait pas à se priver de tamales [fr], de potages ou de sauces, mais qu'elle devait plutôt arrêter les boissons sucrées comme les sodas. Elle a parlé des alternatives, telles que l’eau et d’autres boissons non-sucrées légèrement aromatisées, à sa famille. En tant que jeune maman, elle a continué à appliquer nos principes du manger sain. Et elle élève son fils avec des plats mexicains faits maison !
À travers nos recherches, nous avons constaté que la plupart des régimes alimentaires ancestraux (avant 1950) étaient bons pour la santé, y compris ceux d'Amérique centrale. Nous trouvons contestable le fait que les médecins recommandent à leurs patients d'origine mexicaine le régime méditerranéen sans tenir compte du fait que l'alimentation traditionnelle mexicaine, essentiellement constituée de haricots, de maïs et de légumes, est tout aussi saine sinon plus que celle de la Méditerranée.
GV : Quels autres aspects de la colonisation peut-on observer dans la vie de tous les jours ?
LC : The United States is a settler colonial state so pretty much every system and institution is implicated in the ongoing colonization of the land and dispossession of indigenous peoples. Schools are set up to tell history from the point of view of European settlers. Capitalism as a system imposed a logic of extraction and profit. Most of us have lost any kind of direct relationship to the land and the cycle of life. Our water and our air is polluted. We are caught up in a endless spiral of extraction, consumption, and disease. Our relationship to Mother Earth needs healing.
LC : Les États-Unis sont un état colonial créé par des colons. Ce qui fait que pratiquement toutes les organisations et les institutions sont impliquées dans un procédé continu de colonisation et de dépossession des terres des peuples autochtones. Les écoles sont structurées de façon à raconter l’histoire du point de vue des colons européens. Le capitalisme est un système qui impose une logique d’exploitation des ressources et du profit. La plupart d’entre nous ont perdu toute relation directe avec la terre et le cycle de la vie. Notre eau et notre air sont pollués. Nous sommes entraînés dans une spirale sans fin d’exploitation, de consommation et de maladie. Notre relation à notre Terre Mère a besoin d’être soignée.
GV : Quels autres projets ayant les mêmes objectifs peut-on trouver en ligne ?
LC: Many other folks have been working on this project for a long time, including Decolonial Food for Thought, Decolonizing Diet Project, Devon Abbott Mihesuah, and many indigenous chefs in the US and Mexico.
LC : Depuis longtemps, beaucoup d’autres personnes ont participé à ce projet, entre autres Decolonial Food for Thought, Decolonizing Diet Project, Devon Abbott Mihesuah, ainsi que de nombreux chefs autochtones des États-Unis et du Mexique.
Pour en savoir plus sur des événements organisés par ou en collaboration avec « Décolonisez Votre Assiette », rendez-vous sur la page Facebook et sur le fil Twitter de Luz Calvo où l'on peut trouver les recettes de son livre “Décolonisez Votre Assiette : des recettes végétariennes mexicano-américaines pour guérir et être en forme” (publié par Pulp Press en 2015).