Réclamant la sécurité routière au Bangladesh, les étudiants occupent les rues de Dacca

Manifestation étudiante contre la mort de deux lycéens dans un accident de la circulation sur la route de l'aéroport de Dacca. Photo : Wikimedia Commons by Asive Chowdhury CC: BY-SA 4.0

[Article d'origine publié le 3 août 2018. Depuis, les autorités ont décidé de réprimer le mouvement] Vêtus de leurs uniformes scolaires et portant leurs cartables, des dizaines de milliers d'élèves ont répandu leur colère en criant des slogans dans les rues de Dacca, la capitale du Bangladesh, depuis dimanche 29 juillet, lorsque deux étudiants ont péri dans un accident de la circulation.

Diya Khanam Mim (17 ans) et Abdul Karim Rajib (18 ans), élèves du lycée et collège universitaire Shaheed Ramiz Uddin, ont été tués et plusieurs autres étudiants ont été blessés lorsqu'un bus roulant à une vitesse folle a renversé une douzaine d'élèves qui attendaient à un arrêt sur la route de l'aéroport de Dacca.

Des centaines de leurs camarades ont commencé à descendre dans la rue, et les manifestations ont pris de l'ampleur lorsque des milliers d'autres les ont rejoints chaque jour par solidarité, bloquant la circulation avec leurs revendications.

Ils réclament plus de sécurité routière, des sanctions plus sévères pour les conducteurs impliqués dans des accidents, et que les autorités s'assurent que seuls les conducteurs autorisés prennent le volant. Des revendications aussi endossées par les parents et les non-étudiants.

La fureur des étudiants a été allumée par un propos de Shajahan Khan, le ministre de la Marine et président exécutif de la Fédération des travailleurs du transport routier du Bangladesh, qui a demandé aux lycéens pourquoi ils étaient restés sans réaction à l'information que 33 personnes avaient péri dans un accident de bus en Inde le samedi précédent.

Après une large condamnation et des appels à sa démission, Shahjahan Khan s'est excusé pour ses propos, mais a annoncé qu’il resterait à son poste.

La célèbre circulation de Dacca

La capitale du Bangladesh, Dacca, est une des villes les plus densément peuplées du monde avec 14 millions d'habitants et une circulation en état d'embolie. Dans l'enquête 2016 sur la “vivabilité” mondiale de l'Intelligence Unit de l’Economist, qui classe les villes selon leur qualité de vie, Dacca est au 137ème rang sur 140 villes étudiées. Selon une étude, plus de 7.000 personnes ont été tuées dans des accidents de la route au Bangladesh en 2017 et plus de 16.000 ont été blessées.

Une étude de l’Institut de recherche sur les accidents de l'Université de technologie du Bangladesh révèle que 37 % des causes d'accidents sont l'imprudence des conducteurs, et 53 % l'excès de vitesse. Selon une recherche du Comité pour l'avancement rural du Bangladesh (BRAC), la plus grande organisation non-gouvernementale du monde, 59 % des conducteurs au Bangladesh ne respectent pas le code de la route et beaucoup ignorent la signalisation routière et les feux de sécurité.

La capitale compte environ un million de véhicules de différents types enregistrés, et selon des entretiens réalisés par le Daily Star, la ville ne déploie pas suffisamment de policiers de la circulation pour gérer les rues complètement engorgées. Des policiers débordés, sous-payés, enclins à la corruption et exposés à des situations à risques, révèle le Daily Star.

De plus, une bonne partie des chauffeurs des transports en commun n'ont même pas de permis de conduire valide :

Faits avérés au Bangladesh : pour conduire plus de 3,5 millions de véhicules enregistrés il n'y a que 1,9 million ayant des permis de conduire valides. Beaucoup des petites navettes publiques (Lagoona, Tempos, etc) sont conduites par des chauffeurs mineurs sans permis enclins aux accidents

Une récente enquête a révélé que 87 % des transports publics enfreignent les règles de la circulation à Dacca. Des bus en outre pas trop en forme (faute d'entretien) comme le montre cette vidéo :

Inversion des rôles : les étudiants font appliquer le code de la route

Les étudiants ont dit leur ras-le-bol en prenant eux-mêmes la situation en mains à la place des policiers. On a pu voir les protestataires appliquer le code de la route en vérifiant les permis et en signalant les infractions à des conducteurs ne se doutant de rien. Les militants n'ont pas épargné les ministres ou les policiers s'ils étaient en infraction. Ce type d'interventions a attiré les éloges des internautes qui se sont répandus en louanges sur les canaux de médias sociaux.

Le jeune romancier Shokrito Noman a dit ces actes ‘inimaginables’ dans un billet sur Facebook :

এ এক অভাবনীয় দৃশ্য। মনে হচ্ছে ফকনার, হুয়ান রুলফো কিংবা গার্সিয়া মার্কেজের গল্পের মঞ্চায়ন হচ্ছে বাংলাদশে। রং সাইড দিয়ে যাওয়ার সময় একজন প্রভাবশালী মন্ত্রীর গাড়ি ফিরিয়ে দিয়েছে বাচ্চারা। একজন মেয়রের গাড়ি আটকে দিয়েছে। মেয়র পুলিশকে ফোন দিচ্ছেন। পুলিশ বলছে, আমাদের কিচ্ছু করার নেই। কী অভাবনীয় ঘটনা! প্রতিটি গাড়ির কাগজপত্র চেক করছে বাচ্চারা। বাদ যাচ্ছে না পুলিশ-র্যাবের গাড়িও। অসীম ক্ষমতাধর পুলিশ-র্যাব তাদের গাড়ির বৈধ কাগজপত্র দেখাতে বাধ্য হচ্ছে। রাজধানীর যানবাহনগুলো কী সুন্দর লাইন ধরে চলছে।

Scène inimaginable ! On dirait la description d'une histoire (de réalisme magique) de Faulkner, Juan Rulfo ou García Márquez. Les étudiants ont fait faire demi-tour à une voiture d'un ministre qui roulait en sens interdit. Ils ont fait stopper une voiture du maire. Le maire téléphone à la police. La police dit ne pouvoir rien faire. Quel événement inimaginable ! Les enfants vérifient les papiers de chaque véhicule. Même les voitures de la police ou du Bataillon d'action rapide (RAB), la force d'élite, n'ont pas été épargnées. Les tout-puissants policiers et RAB forcés de montrer les papiers de leurs véhicules et les permis de conduire. Voyez maintenant les véhicules se mettre en ligne droite.

Tanbirul Alam a tweeté :

Et voilà le travail ! Ces étudiants sont l'avenir de notre pays.

Les étudiants ont constaté que la plupart des véhicules de l'administration ne disposaient pas de papiers à jour et que les conducteurs n'avaient pas de permis approprié.

Shahida Rima a déclaré que les actions des étudiants la remplissaient de fierté :

Nos filles ???, elles savent tout faire ???? elle n'est qu'une écolière et elle contrôle à la perfection le système de la circulation ??? je t'aime ma chérie ??? ta grande sœur est fière de toi

En plus ils dégagent les rues, rappelle Shahriar Fahim :

Regardez-les, ils manifestaient MAIS ? ils ont dégagé la route… ils ont réglé la circulation mieux que quiconque.

La sécurité de ces étudiants qui protestaient dans les rues a fait l'objet de larges inquiétudes. Le préfet de la Police métropolitaine de Dacca (DMP) Asaduzzaman Mia a donné pour directive aux policiers de traiter les étudiants pacifiquement sans faire usage de la force.

C'est pourtant ce qu'auraient fait des policiers contre des étudiants en plusieurs endroits, et de nombreux étudiants ont été blessés.

Les policiers rouent de coups les étudiants à Mirpur, Dacca. Faites passer ! C'est le moins qu'on puisse faire pour eux !

Leçons pour tous et pour une amélioration de la loi

Tandis que les autorités surveillent la contestation étudiante comme le lait sur le feu, les actions des manifestants ont déjà incité les services du premier ministre à ordonner une répression des chauffards.

Une des principales raisons de la persistance des accidents est l'impunité des chauffards. Les lois existantes sont obsolètes, et un conducteur qui cause une mort par sa conduite dangereuse n'encourt qu'une amende minime.

Le gouvernement essaie depuis longtemps de mettre à jour l’Ordonnance sur les véhicules à moteur de 1983. Mais ses efforts se sont heurtés au fort lobbying des propriétaires de transports publics et des syndicats de travailleurs des transports. La bonne nouvelle est que les manifestations étudiantes ont accéléré le processus et que le gouvernement a annoncé qu'il ferait voter prochainement la réforme.

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