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Pour la plupart des Sri-Lankais, la corruption fait partie de la vie

Catégories: Asie du Sud, Sri Lanka, Droit, Droits humains, Gouvernance, Médias citoyens, Politique
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Colombo, la capitale du Sri Lanka. Photo : Groundviews.

Cet article est un condensé de trois articles (1 [2], 2 [1], 3 [3]) par Groundviews, un site de journalisme citoyen primé du Sri Lanka. La version ci-après est publiée dans le cadre d'un accord de partage de contenu avec Global Voices.

Les débats autour de la corruption sont revenus une fois de plus sur le devant de la scène au Sri Lanka depuis l’instauration [4], le 21 août, d'une Haute cour spéciale dédiée exclusivement à l'examen de cette catégorie d'affaires.

Alors que cette juridiction a examiné jusqu'à présent deux affaires de haut niveau [4] (dont l'une impliquant le précédent Secrétaire à la Défense [5]), d'aucuns ont saisi l'occasion pour rappeler combien la corruption reste enracinée dans la vie quotidienne des citoyens ordinaires, qui réfléchissent rarement avant de glisser un billet de 1000 roupies (5 euros) à un policier lors d'un contrôle routier de routine.

Dans une vidéo récemment publiée [6] par le média local W NOW [7], des Sri-Lankais ont évoqué leurs rencontres avec des fonctionnaires corrompus, sans oublier les cas où ils ont eux-mêmes (de leur plein gré ou non) graissé des pattes.

En 2017, la Commission d'enquête sur les accusations de corruption et de pots-de-vin (CIABOC en anglais) a reçu plus de 2.000 plaintes [8], dont seulement 62 ont été transmises à la justice. Sur ce nombre, 42 étaient liées à des pots-de-vin [8].

En octobre 2017, Groundviews a posé deux questions à ses lecteurs : Qu'évoque pour eux le mot corruption ? Les gens reconnaissent-ils leur complicité dans la corruption lorsque, par exemple, ils versent des pots-de-vin ? Les réponses, collectées dans les villes de Jaffna, Ampara, Colombo, Deniyaya, et Maskeliya, ont illustré les nombreuses formes que peut prendre la corruption.

Certains cas montraient de la résignation, voire un degré de reconnaissance ironique d'une complicité. D'autres faisaient apparaître de la peur, de la réticence ou de la colère. Voici quelques-unes des réponses recueillies par Groundviews dans la ville de Jaffna (au Nord). Les noms ont été omis à la demande des sources.

This government is indifferent. Corruption is well-organized and done in a covert way. Recently, funds were allocated to rebuild the structures of the market… but up until now, this money has not reached the common Jaffna man.

Ce gouvernement s'en fiche. La corruption est bien organisée et se fait à l'abri des regards. Dernièrement, des crédits ont été alloués pour reconstruire les structures du marché… mais jusqu'à maintenant, l'argent n'a pas atteint l'habitant ordinaire du Jaffna.

Around 8 months ago, I went on a motorbike without a helmet. This policeman stopped me and demanded Rs. 2,000 (US$12). I wanted that money in order to drink arrack, so I refused to pay. I was taken inside the police station, and then I was asked to pay Rs. 4,500 (US$28). If I had paid the bribe, I could have got away with that extra Rs. 2,500 (US$16).

Il y a peut-être huit mois de cela, je circulais en scooter sans casque. Le policier m'a fait m'arrêter et m'a réclamé 2.000 roupies (11 euros). Je destinais cet argent à boire de l'arak, alors j'ai refusé de payer. J'ai été emmené à l'intérieur du commissariat, où on m'a demandé de payer 4.500 roupies (24 euros). Si j'avais payé le pot-de-vin, je m'en serais tiré avec ces 2500 roupies (13 euros)

Corruption is an on-going issue here. If someone hits a pedestrian on the road with their motorbike, he will go into remand. Two or three months later he’ll be released because he paid a bribe. Even those who kill people will be released. Innocent people are not safe on the road.

La corruption est un problème continuel ici. Si quelqu'un à  moto renverse un piéton sur la route, il sera placé en garde à vue. Il sera remis en liberté deux ou trois mois après parce qu'il aura payé un pot-de-vin. Même ceux qui tuent quelqu'un sont relâchés. Les innocents ne sont pas en sécurité sur la route.

Dans la capitale Colombo, les réponses ont illustré comment les policiers semblent cibler les personnes démunies dans leur quête de l'argent des pots-de-vin.

I see the police chasing away innocent people. How can people make an honest living when they do this? Even I make only Rs. 300 (US$2) a day when I sell lottery tickets. I too am struggling and sometimes get harassed by police. At times, when homeless people sleep on the road, the police comes and take them away. They haven’t done anything wrong. If someone commits a crime, then certainly they should be in jail. But these people are innocent people who have fallen on hard times. Isn’t this a type of corruption?

Je vois les policiers pourchasser des innocents. Comment les gens peuvent-ils gagner honnêtement leur vie dans ces conditions ? J'ai beau ne gagner que 300 roupies (1,60 euros) par jour quand je vends des billets de loterie, moi-aussi je suis à la peine et je me fais parfois harceler par la police. Par moments, quand des personnes sans-abri dorment dans la rue, les policiers arrivent et les emmènent. Ils n'ont rien fait d'interdit. Si quelqu'un commet un crime, il doit évidemment aller en prison. Mais ces gens-là sont des innocents qui connaissent des temps difficiles. Est-ce que ça n'est pas une forme de corruption ?

Yes, corruption is a problem, especially at a government level. As a three-wheeler driver, I can say the police are corrupt too. They stop us even if we haven’t committed an offense and ask for a bribe. We have to pay bribes even to get our licenses. Everywhere it’s the same. We know that it’s wrong, but we do it. If someone tells us we can pay Rs. 500 (Us$3) to get some task done, then we just do it. That’s the way this country is.

Oui, la corruption est un problème, surtout au niveau gouvernemental. Je suis chauffeur de tuk-tuk et je peux dire que les policiers sont aussi corrompus. Ils nous arrêtent même si nous n'avons pas commis d'infraction et demandent un pot-de-vin. Nous devons payer des dessous de table même pour obtenir nos licences. C'est partout pareil. Nous savons que c'est mal, mais nous le faisons. Si quelqu'un nous dit qu'on peut payer 500 roupies (2,70 euros) pour un quelconque service, alors on le fait.

La corruption est aussi très répandue dans les écoles publiques sri-lankaises. Malgré leur gratuité, nombreux sont ceux qui rapportent devoir débourser des “dons” considérables pour garantir des places à leurs enfants, comme le révèle le témoignage de S. Rita, un employé dans une propriété  [9]:

Often, I only have about Rs. 4,000 (US$25) or Rs. 5,000 (US$31) remaining from my salary at the end of the month. I have to make do with this to somehow pay off school expenses. Meanwhile, everyone talks about free education, but you still have to make donations, to get your child into school.

Souvent, il ne me reste que 4.000 ou 5.000 roupies (22 ou 27 euros) de mon salaire à la fin du mois. Il faut que ça me suffise pour faire face aux dépenses scolaires. Tout le monde parle d'enseignement gratuit alors qu'il faut toujours faire des dons pour que son enfant puisse aller à l'école.

En août 2017, Groundviews a tenu un échange sur Twitter [3] sur le sujet de la corruption avec le mot-clic #anticorruptlka [10]. Les participants ont parlé de la profonde implantation de la corruption dans la bureaucratie publique du quotidien.

Le permis de conduire est de la corruption organisée. Les tarifs des auto-écoles incluent le dessous de table et il y a un taux fixe par permis.

A une époque les certificats médicaux pour le permis de conduire étaient à vendre pour 100 roupies (0,53 euros) devant les centres d'enregistrement de véhicules.

Si la première réaction de la plupart des gens est de pointer un doigt accusateur sur les autorités, un peu de dialogue (et d'introspection) a fait admettre à certains leur complicité avec le système.

La diversité des expériences et des points de vue témoigne de l'omniprésence de la corruption au Sri Lanka, et de la normalité qu'elle a acquise pour tous ses citoyens, riches ou pauvres.