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Alors que le nouveau gouvernement de Malaisie est au pouvoir depuis 100 jours, la liberté d'expression est-elle toujours menacée ?

Catégories: Asie de l'Est, Malaisie, Droit, Gouvernance, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Advox
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Des militants se rassemblent en soutien à l'avocate et activiste Fadiah Nadwa Fikiri convoquée par la police pour avoir prétendument posté un article de blog séditieux à l'encontre de la monarchie. Photo de la page Facebook de Daniel Mizan Qayyum

À l'approche de ses 100 jours de mandat, le nouveau gouvernement malaisien a t-il tenu sa promesse de protéger la liberté d'expression ?

Le 9 mai 2018, le Pakatan Harapan (PH) a battu le Barisan Nasional (BN) au pouvoir depuis un demi-siècle.

Pendant la période de campagne, le PH a publié un manifeste promettant de réexaminer et, éventuellement, d'abolir les règlementations entravant la liberté d'expression parmi lesquelles la loi sur la sédition de 1948, la loi sur la prévention de la criminalité de 2015, la loi sur la communication et le multimédia de 1998 ainsi que la loi anti-fake news de 2018.

Depuis les élections, les Malaisiens ont observé certaines améliorations. L'accès à certains sites d'information indépendants tels que le Sarawak Report et Medium a été débloqué. L'interdiction de voyager imposée au caricaturiste et activiste politique Zunar, fervent critique de l'ancien Premier Ministre Najib Razak, a été levée. Pourtant, d'autres voix franches sont toujours sous pression.

Une avocate inquiétée pour avoir blogué sur la monarchie

Le Centre pour le Journalisme Indépendant (CIJ) a averti que, malgré les promesses de campagne du PH, « les atteintes à la liberté d'expression continuent à se produire ».

Le groupe a cité le cas de l'avocate et activiste Fadiah Nadwa Fikri qui, en juillet dernier, a fait l'objet d'une convocation par la police pour avoir remis en cause sur son blog le rôle de la monarchie dans la vie politique. Fadiah est désormais visée par une enquête pour avoir posté en ligne un contenu prétendument séditieux.

Le CIJ a conseillé à la police et au gouvernement de cesser d'employer des lois draconiennes alors même que le parlement envisage l'abrogation de ces mesures :

We call upon the Government to make clear its stand on freedom of expression; to condemn this investigation; and to speedily institute a moratorium on all oppressive laws pending their repeal and/ or amendment…If Malaysia is to undergo true democratisation critical, respectful discourse and debate needs to be fostered and protected.

Nous demandons au gouvernement de clarifier sa position sur la liberté d'expression, de condamner cette enquête et d'instaurer rapidement un moratoire sur toutes les lois oppressives en attendant leur abrogation et/ou leur amendement… Si la Malaisie doit connaître un véritable processus de démocratisation, alors on doit encourager et protéger les échanges et les débats critiques et respectueux.

Kua Kia Soong, conseiller de l'organisation de défense des droits de l'homme Suaram, a défendu Fadiah et appelé à la tolérance envers les opinions dissidentes :

The article written by Fadiah certainly did not constitute incitement to hatred or violence. She was expressing an opinion on an issue of public interest.

Her right to freedom of expression as a social activist and intellectual must be respected because such are the demands of pluralism, tolerance and broad-mindedness that our founding fathers and mothers wanted for our democratic society and especially now, the supposedly “new Malaysia”.

L'article écrit par Fadiah ne constituait en aucun cas une incitation à la haine ou à la violence. Elle ne faisait que donner son avis sur une question d'intérêt général.

Son droit à la liberté d'expression en tant que militante sociale et intellectuelle doit être respecté car telles sont les revendications de pluralisme, de tolérance et d'ouverture d'esprit que nos pères et mères fondateurs souhaitaient pour notre société démocratique et, en particulier maintenant, pour la soi-disant « nouvelle Malaisie ».

Les officiels demandent de la patience

Hanipa Maidin, vice-ministre du bureau du Premier Ministre, a réitéré l'engagement du PH à abroger les lois répressives mais a demandé de la patience tandis que le gouvernement se prépare à des réformes plus vastes de la bureaucratie :

I only hope the people can be a little more patient with us, just as we have been very patient with BN over the past 60 years…This is because there is far too much damage left by the previous regime for us and for you. This is not an excuse, but a sincere request from us.

J'espère simplement que les gens feront preuve d'encore un peu de patience envers nous, tout comme nous nous sommes montrés très patients envers le BN au cours des six dernières décennies… La raison est que le régime précédent a laissé beaucoup trop de dégâts pour nous comme pour vous. Ceci n'est pas une excuse mais une demande sincère de notre part.

Un autre officiel a affirmé l'intention du gouvernement de retirer les lois controversées telles que la loi anti-fake news et celle sur les infractions en matière de sécurité (SOSMA).

Abandon des poursuites pour sédition envers le caricaturiste Zunar

La décision du gouvernement d'abandonner les neuf chefs d'accusation de sédition engagés contre le caricaturiste politique Zunar a été la bienvenue. Zunar en personne a confirmé la nouvelle sur son compte Twitter :

ENFIN LIBRE !
Toutes les accusations de sédition (9 en tout) contre moi ont été abandonnées. Le « Combat par le dessin » porte ses fruits. Mais la bataille n'est pas terminée. Le dangereux virus « Dessin-O-Phobia » atteint à présent tous les hommes politiques du monde entier.

Zunar était un caricaturiste prolifique et célèbre qui a critiqué la corruption et autres abus du gouvernement précédent. En plus d'être accusé de sédition, ses dessins ont été confisqués et on l'a empêché de quitter le pays.

La police de Penang a également affirmé qu'elle rendrait à Zunar un ensemble de livres, t-shirts et autres illustrations qu'elle lui avait confisqué en 2017.

Les Malaisiens continuent de faire face à d'importantes difficultés alors qu'ils font campagne pour plus de liberté et de démocratie dans une société en pleine transition gouvernementale. Il est rassurant de constater que le nouveau gouvernement n'a, pour l'instant, pas renoncé à sa promesse de poursuivre les réformes législatives qui renforceront la liberté des médias et la protection des droits de l'homme.

Toutefois, un nombre croissant de citoyens malaisiens et de groupes de la société civile rappellent au gouvernement qu'il doit prendre des mesures décisives. C'est également le message relayé par 36 groupes de la société civile qui ont signé une déclaration demandant le maintien de la liberté d'expression.

We hope this new government is in fact new, and will back up their rhetoric with committed and decisive action. In these crucial early days, as the government sets the tone for its administration, we hope to see a genuine departure from the old oppression, and a transition into a Malaysia where all ideas can be discussed peacefully and our constitutional rights exercised maturely.

Nous espérons que ce nouveau gouvernement sera bien nouveau et qu'il appuiera ses propos par des actions engagées et décisives. Alors que le gouvernement, en ces premiers jours cruciaux, donne le ton à son administration, nous espérons voir une réelle rupture avec l'ancienne oppression et une transition vers une Malaisie où toutes les idées pourront être discutées pacifiquement et nos droits constitutionnels pleinement exercés.