Onze personnes devant la justice belge : les poursuites pour ‘délits de solidarité’ se multiplient en Europe

Le procès, le 6 septembre, de 11 personnes qui ont aidé des migrants en Belgique a attiré de nombreux manifestants. Photo: Melissa Vida. Utilisation autorisée.

Onze personnes arrêtées et inculpées de trafic d'êtres humains en octobre 2017 ont comparu en justice à Bruxelles le 6 septembre, première audience d'un procès qui, aux dires des militants n'est qu'un cas de plus de “criminalisation de la solidarité” en Europe.

Les prévenus auraient aidé 95 migrants sans-papiers, dont 12 mineurs, à se rendre de Belgique au Royaume-Uni l'année dernière, soit en les hébergeant à leurs domiciles, soit en leur prêtant des téléphones, ce qui leur avait indirectement facilité la traversée de la Manche.

Le jour de l'audience, trois cents personnes ont manifesté devant le tribunal, dénonçant un procès politique visant à dissuader les gens d'aider les migrants en instaurant un précédent judiciaire propre à les intimider.

Les prévenus sont deux journalistes belges, une travailleuse sociale belgo-marocaine et un Tunisien résident belge régulier, ainsi que sept migrants sans-papiers. Huit des prévenus sont en détention depuis leur arrestation.

La loi belge dispose qu'une transaction monétaire doit être présente pour qu'un acte soit qualifié de trafic d'êtres humains, que les prévenus dénient totalement. Toutefois, la relation entre les migrants et ceux qui les aident semble tomber dans une zone grise légale, ce qui fait craindre une extension injuste de la loi pour s'en prendre aux militants.

Myriam Berghe, une des deux journalistes, a indiqué dans un entretien à la RTBF (le service public de radio-télévision belge) qu'elle a reçu de l'argent pour le compte d'un migrant qu'elle hébergeait. Le migrant en question avait été destinataire d'un versement de l'étranger par Western Union, détaille Mme Berghe, mais n'avait aucun moyen de l'encaisser en l'absence de pièce d'identité. Ce qui pour Berghe était un simple petit service est devenu aux yeux des autorités un paiement à un passeur.

Dans le même entretien, elle explique que si certaines des personnes qu'elle a hébergées étaient bien des passeurs, elle ne les voyait pas comme des “trafiquants d'êtres humains” :

Oui, j’ai hébergé des passeurs. Mais il faut voir de quelle réalité on parle. Les douze personnes interpellées dans ce dossier n’ont rien à voir avec ce que le droit appelle des “trafiquants d’êtres humains”. Ce sont des jeunes paumés qui essaient de survivre en devenant de petits passeurs, le temps de se payer eux-mêmes un passage.

Myriam Berghe et Anouk Van Gestel, la deuxième journaliste, ont écrit une lettre ouverte au Premier ministre belge. Dans cet extrait, elles disent leur consternation devant l'état actuel de la démocratie en Belgique :

Est-il acceptable que, dans un pays qui se dit être une démocratie, deux citoyennes se retrouvent inculpées d'association criminelle et de trafic d'êtres humains avec la circonstance aggravante qu'il s'agit de mineurs, parce qu'elles ont ouvert leur porte à des personnes en état de détresse absolue?

Le jour du procès, Selma Benkhelifa, une des avocates de la défense, a rappelé comment le ministre de l'Intérieur Jan Jambon a rendu responsables de l'occupation du parc Maximilien, squatté par des centaines de migrants à Bruxelles, les gens qui leur viennent en aide :

C’est un procès éminemment politique. Jan Jambon a déclaré que la situation au parc Maximilien était la responsabilité des hébergeurs. On entend d’abord ces déclarations très provocantes et derrière on constate effectivement des poursuites qui vont dans ce sens.

Ceci n'est que le dernier épisode en date des dispositifs de contrôle des frontières qui ont un profond impact sur la politique européenne ces dernières années.

A Bruxelles, 10.000 personnes ont défilé en février contre les politiques anti-migrants. En mai, la mort d'un demandeur d'asile kurde de 4 ans aux mains de la police belge a causé une large indignation. Plus récemment, la réouverture par les autorités d'un centre de détention pour les familles sans-papiers a également soulevé les critiques des défenseurs des droits humains.

Des personnes qui ont aidé des migrants sans papiers ont également été traînées en justice dans d'autres pays européens.

En France, l'assistance aux migrants en situation irrégulière était illégale jusqu'en juin 2018. En Italie, une association caritative espagnole de secours aux embarcations de migrants en détresse en mer fait l'objet d'une enquête, tandis qu'en Suisse un pasteur a été condamné à une amende de 1.112 € pour avoir hébergé dans son église un migrant togolais sans-papiers.

En Espagne, la militante des droits humains et chercheuse Helena Maleno a été inculpée de trafic d'êtres humains après avoir aidé à secourir des canots en Méditerranée. Selon Mme Maleno, il y a en ce moment 45 procès en cours devant différents tribunaux d'Europe, où des gens sont poursuivis pénalement après avoir aidé des migrants sans papiers. Mme Maleno quant à elle est sous enquête des autorités marocaines.

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