Une artiste kirghize invite les filles à ‘créer leur liberté” dans une chanson au succès fracassant

Arrêt sur image de la vidéo de Zere'Kyz’.

La jeune artiste Zere Asylbek a déboulé dans la vie publique du Kirghizstan avec une chanson qui défend le droit des femmes à disposer à leur guise de leurs corps.

Ce faisant, elle a aussi imposé sa marque dans un débat à hauts risques de dimensions autant nationale que mondiale.

La chanson Kyz, (“Fille” en langue kirghize) est la première enregistrée par Zere. Interrogée par le service en kirghize de RFE/RL le 16 septembre, Zere a dit qu'elle ne se voyait pas comme une musicienne en soi, mais plutôt comme une “créatrice au sens le plus libre”.

Kyz, dit-elle, veut souligner que si chaque personne a sa propre vocation, “les vocations des autres doivent être acceptées, ou au moins reconnues”.

[Note : la vidéo doit être visionnée sur YouTube ; le lien apparaîtra en cliquant sur la flèche, ci-dessous]

Voici la traduction brute de la chanson de Zere :
Je voudrais que le temps passe, je voudrais qu'un temps arrive
Où ils ne me prêcheraient pas comment vivre ma vie
Où ils ne me diraient pas “Fais ci” “Ne fais pas ça”
Pourquoi je dois être comme vous [me] voulez, ou comme la majorité [me] veut,
Je suis un humain – c'est ma liberté de parole.
Je te respecte, tu me respectes.

Toi et moi,
Ma chère, viens avec moi,
Nous créerons notre liberté.

Le temps passera, un temps viendra,
Personne ne me dira “Ne mets pas ça”, “Ne fais pas ça”,
Ne me crie pas dessus ainsi
Pourquoi je dois être comme vous [me] voulez, ou comme la majorité [me] veut,
Je suis un humain – c'est ma liberté de parole.
Je te respecte, tu me respectes.

Pourquoi cette chanson ?

Au Kirghizstan, l'habillement des femmes est depuis un certain temps un sujet brûlant, sur lequel s'écharpent conservateurs et défenseurs de la laïcité inquiets de l'influence croissante de l'islam alors que bouillonnent les batailles de société autour de l'avenir de ce pays ex-soviétique.

L'ex-président Almazbek Atambayev a versé de l'huile sur le brasier en 2016 lorsqu'il a avalisé une série de banderoles qui interrogeaient “dans quelle direction va (le peuple kirghize)?”

Les banderoles imprimées par un mouvement patriote confrontaient une inclination plutôt récente pour le niqab dans certaines parties du pays avec le costume traditionnel kirghize.

Un affichage accueilli par la suite par une riposte ironique sous forme de bannières posant la même question alarmiste, mais montrant des femmes kirghizes vêtues de mini-jupes et de shorts à la place de celles en niqabs.

Atambayev a qualifié les auteurs de la seconde bannière de “smarty-pants” (“gros malins” ; aussi un jeu de mot intraduisible sur pants, culotte)

“Nos femmes portent la mini-jupe depuis les années 1950, et ça ne leur serait pas venu à l'idée de mettre une ceinture d'explosifs”, a dit Atambayev.

Ses propos désinvoltes sur la tenue islamique ont été repris par des politiciens d'ailleurs, dont l'ex-Secrétaire d’État aux affaires étrangères britannique Boris Johnson récemment.

Une bannière controversée appelant les femmes à désavouer le niqab comme non-national a été installée par un mouvement patriote à Bichkek, puis dans tout le pays, après avoir obtenu l'accord de l'ancien dirigeant Almazbek Atambayev. Quelques-unes ont été lacérées ou brûlées. Photo par Sputnik.kg. Utilisation autorisée.

La riposte aux bannières originelles. Photo par Kaktus Media. Utilisation autorisée.

L'union fait la force

De façon saisissante, la vidéo de la chanson de lancement de Zere montre des femmes dont les vêtements correspondent à la diversité du Kirghizstan. Et bien entendu, le message n'a pas plu à tout le monde.

La vidéo a été visionnée 120.000 fois en quatre jours [167.000 avec un jour de plus], un nombre phénoménal sachant que le Kirghizstan a à peine 6 millions d'habitants et que les paroles sont en kirghize et non dans la seconde langue de la république, le russe.

Lors de l'écriture de cet article, le clip comptait 2.000 “j'aime” et 5.500 “je n'aime pas” [respectivement 2.700 et 7.000 le 19 septembre]. De nombreux commentaires sur les statuts Facebook reprenant la vidéo expriment de la répulsion voire de la haine contre la chanteuse de 19 ans.

Sujet brûlant au Kirghizstan ce week-end : une chanteuse de 19 ans publie une vidéo en soutien-gorge et veste avec un message à la “ça n'est pas de vos affaires”. Chacun juge et dit “ouais, bonne chanson, mais quand même ç'aurait été mieux d'être habillée autrement”. Hé, ça n'est pas de vos affaires.

Écrivant sur Facebook peu après la publication du clip, le père de Zere Asylbek, Asylbek Zhodonbekov, a dit avoir reçu un mélange de félicitations et de regrets de ses amis et connaissances.

M. Zhodonbekov a relevé que Zere s'est trouvé des affinités avec le militantisme politique depuis qu’une victime d'enlèvement de la mariée a été tuée par son ravisseur à l'intérieur d'un bureau de police alors qu'elle attendait pour écrire sa déposition contre lui en mai.

Le crime choquant avait provoqué des manifestations contre la négligence des forces de l'ordre dans un pays où des milliers de jeunes filles sont enlevées chaque année et “a eu un puissant effet sur elle”, a-t-il expliqué.

Certains des messages reçus par M. Zhodonbekov étaient particulièrement durs. Une connaissance a même comparé Zere à Baba Yaga, un personnage de sorcière du folklore russe. “Elle est vraiment votre fille ?” a demandé l'individu.

“Oui, Zere est ma fille”, a écrit M. Zhodonbekov dans son billet. “Une fille à la pensée libre d'un Kirghizstan libre.”

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