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Les politiques xénophobes qui balaient l'Europe centrale et orientales criminalisent l'aide aux réfugiés

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Bulgarie, Hongrie, Pologne, Slovaquie, Action humanitaire, Droits humains, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Politique, Réfugiés, Relations internationales

Des migrants illégaux vivant dans une chambre d'un foyer à Sofia, Bulgarie. Photo aimablement communiquée par le Projet “Voix en Bulgarie” du Centre d'aide juridique/José Antonio Sanchez Manzano via BlueLink Stories.

Cet article, écrit par Ksenia Vakhrusheva [1]. est basé sur “Les politiques de la peur ciblent les ONG [2]“, originellement publié par BlueLink Stories [3] dans le cadre du projet “Mémoire de l'Europe : la société civile à nouveau sous pression”, mis en œuvre par la Fondation BlueLink avec un co-financement du Programme l'Europe pour les Citoyens de l'Union européenne, et est republié dans le cadre d'un partenariat avec Global Voices.,

L'hystérie politique contre les réfugiés arrivant en Europe est à la hausse bien que l'immigration dans la région ait décru depuis 2017. Le premier ministre hongrois Viktor Orbán a pris les positions anti-migrants les plus dures, suivi par les hommes politiques du groupe des ‘Quatre de Visegrád’ ou V4 (République tchèque, Hongrie, Pologne et Slovaquie).

Le 20 juin 2018, Journée mondiale des réfugiés, le Parlement hongrois a ironiquement adopté une législation criminalisant l'aide aux demandeurs d'asile, réfugiés ou migrants sans papiers.  [4]Une majorité des deux tiers du parti actuellement au pouvoir Fidesz [5] a voté le nouvel article 353/A du Code pénal, qui dispose que toute personne apportant une aide juridique ou distribuant des tracts ou autre matériel sur les droits et possibilités de logement des réfugiés sera arrêtée et poursuivie pour “facilitation de l'immigration illégale.”

En cas d'activité répétée ou dans le cadre d'une organisation ou d'un réseau, la sanction va jusqu'à un an de prison. L’État peut aussi fermer ces organisations, faire cesser ou sévèrement limiter leurs activités, ou leur infliger une amende.

La Commission de Venise [6] du Conseil de l'Europe a publié un document expliquant en détail [7] en quoi ce code bafoue les principes de base des droits humains, limite le travail des organisations non-gouvernementales (ONG), et enfreint les normes et les protocoles internationaux. Il conclut que la loi ne cible pas efficacement l'immigration illégale, pour laquelle des dispositions régulières sont déjà en place avec l'article 353.

M. Orbán, convaincu que le philanthrope étasunien [d'origine hongroise, NdT] George Soros tire les ficelles de l'immigration en Europe, a baptisé la loi “Stop Soros,” et a clairement dans le viseur le Comité Helsinki hongrois (HHC en anglais), une ONG qui apporte de l'aide juridique aux réfugiés et demandeurs d'asile, et est financé par la Fondation Open Societies de Soros. [Note de la rédaction : Global Voices est aussi bénéficiaire d'un financement de la Fondation Open Societies]. 

La loi est entrée en vigueur le 1er juillet 2018, avec des interrogations des partis Jobbik (extrême droite) comme Socialiste  (ex-communiste) sur le fonctionnement concret de la loi. Les ONG hongroises sont encore dans le flou sur l'impact qu'aura la nouvelle loi sur leur activité.

Dans un communiqué de presse consécutif à l'adoption de la loi anti-migrants, le HHC a déclaré :

[Nous] continuerons à apporter une assistance juridique légitime et gratuite aux demandeurs d'asile, et saisirons toutes les possibilités judiciaires et de plaidoyer pour contester cette loi qui viole les droits fondamentaux et les lois de l'Union européenne.

Staff of Hungarian Helsinki Committee in their office in Budapest.

Au siège du Comité Helsinki hongrois. En 2017, il a reçu le prix Calouste Gulbenkian des droits de l'Homme pour leur caractère “unique et exemplaire” dans l'apport d'assistance juridique régulière et gratuite aux demandeurs d'asile, réfugiés et apatrides en Hongrie. Photo : Ákos Stiller, utilisation autorisée.

“Le texte de loi le plus ridicule vu depuis longtemps”

Cette loi anti-migrants a déclenché un débat enflammé parmi les partis politiques et les citoyens de Hongrie. Les deux principaux partis politiques de Hongrie, le Fidesz au pouvoir et le parti Jobbik d'extrême droite, défendent tous deux la loi, forts de leurs 80 % ensemble des sièges au parlement.

Le troisième plus grand parti, le Parti socialiste hongrois (MSZP), considère la loi comme sans utilité dans la lutte contre l'immigration illégale. Le président du MSZP Bertalan Tóth affirme :

L'intérêt de ce gouvernement est de garder ce problème en vie au lieu de le résoudre.

La Coalition démocratique (DK) s'est aussi  opposé à cette loi, que son président Ferenc Gyurcsany a appelée un “péché pas seulement politique mais historique” et

une attaque contre les gens cherchant à se mettre à l'abri de la persécution, et [contre] ceux qui réalisent un travail admirable pour leur venir en aide.

Étonnamment, même le chef du Jobbik Márton Gyöngyösi, dans son commentaire sur BlueLink.info, a reconnu :

Ceci est le texte de loi le plus ridicule que nous ayons vu depuis longtemps.

Il explique que son parti a été confronté à un “dilemme difficile” avant le vote du projet de loi, qui reste non résolu. Il admet que

…les mesures concrètes ont été omises dans le nouveau texte, tandis que plusieurs éléments nouveaux ont été ajoutés, concernant les réformes judiciaires ou un amendement constitutionnel. C'est pourquoi nous voyons [cette loi] comme un texte à l'évidente motivation politique, son unique objectif est de satisfaire les électeurs du Fidesz qui attendent une rhétorique agressive du gouvernement. Dans notre opinion, les mesures envisagées dans cette loi sont ridicules et non susceptibles d'avoir un effet réel. Voter pour cette législation était sans importance réelle.

Les représentants du Fidesz sollicités pour commenter au moment de publier cet article n'ont pas donné suite.

Les opposants à la loi font valoir qu'elle ne correspond pas à la réalité des chiffres [8] actuels, qui montrent une baisse significative du nombre de réfugiés entrant en Hongrie. En 2017, près de 20.000 personnes ont été empêchées d'entrer à la clôture sur la frontière, ou escortées à l'extérieur. Selon le HHC [9], 267 réfugiés se sont vu accorder une protection en 2018, et au moins 326 demandeurs ont été refusés, pour la plupart venant d'Afghanistan, d'Irak et de Syrie.

Propagation du sentiment anti-migrants

Dans la Slovaquie voisine, 79 % environ des personnes interrogées indiquent des perceptions négatives de l'immigration. Des sentiments attisés par les politiciens pour s'assurer des voix aux élections parlementaires tenues en mars 2016.

Malgré cela, depuis août 2015, l’État se concerte régulièrement avec les associations d'aide aux migrants et a alloué 500.000 euros à l'assistance humanitaire immédiate et à des projets en cours. En 2016, le gouvernement a créé un fonds de “réserve” de 20 millions d'euros pour les questions touchant aux migrations.

Selon les statistiques [10], la Slovaquie a l'un des nombres les plus faibles de demandeurs d'asile de tous les pays de l'UE.

Alena Krempaska, directrice de programme à l’Institut des Droits humains [11] de Slovaquie, a confirmé dans une réponse à BlueLink.info que l’État slovaque aide les ONG travaillant sur les questions de migration. La Ligue des droits de l'homme [12] a reçu une subvention du ministère de l'Intérieur en 2016 pour son travail avec les migrants. Krempaska n'y voit pas moins “un jeu politique, un discours, plutôt que des mesures concrètes.”

Les ONG font le travail et sont accusées

Les gouvernements d'Europe centrale et orientale (ECC) se conforment généralement aux normes internationales et de l'UE en assurant un financement aux ONG qui fournissent un large éventail de services d'assistance aux réfugiés, totalement gratuits pour leurs bénéficiaires. Mais, de la Pologne à la Bulgarie, l'assistance n'a pas le même visage à travers la région ECC en fonction de la plus ou moins bonne coopération entre les ONG et les autorités étatiques.

Selon Radostina Pavlova, une juriste de Voice in Bulgaria [13], les autorités bulgares aident souvent les organisations de soutien aux migrants que l’État, en principe, a l'obligation de financer. L'accès aux financements de l'Agence d’État pour les réfugiés (AER) est difficile, souvent dépendant d'horaires stricts peu compatibles avec les besoins en temps réel. Mme Pavlova note cependant que

Le ministère de l'Intérieur a fait des progrès significatifs depuis deux ans, et beaucoup d'organisations travaillent maintenant dans les centres fermés pour migrants qui sont sous sa supervision.

Un rapport [14] [en] du Conseil de l'Europe publié en avril 2018 corrobore ces impasses de financement, et l'AER elle-même a noté dans son rapport annuel [15] que la coopération entre ONG locales et internationales d'une part, et autorités publiques d'autre part, est limitée, ce qui laisse un immense fardeau d'aide aux ONG.

Le nouveau dispositif anti-migrants de la Hongrie fait craindre à Mme Pavlova que la Bulgarie puisse suivre la même voie. Alors que le nombre de réfugiés en Bulgarie est aussi en forte baisse [8] depuis 2017, les autorités bulgares continuent à surveiller les frontières turques, où, disent-elles, une clôture nouvellement construite, munie d'un système de surveillance, ne fonctionne pas tout le temps, et que des réfugiés arrivent encore à franchir illégalement.

“Pas chez moi”

Tandis que de nombreux gouvernements d'Europe centrale et orientale reconnaissent l'obligation de financer les activités d'aide aux réfugiés, les ONG déplorent l'absence de soutien à leur travail sur le terrain, les pouvoirs donnant la priorité aux opérations extérieures dans les zones de crise.

Children in a classroom in Raqqa, Syria, sitting at desks and looking at the photographer.

Un projet éducatif en Syrie de la Fondation Syrie libre avec les dons collectés en Pologne. Photo : wolnasyria.org [16].

Samer Masri de la Fondation Syrie libre [16] en Pologne a admis dans sa réponse à BlueLink.info que les ONG polonaises peinent à coopérer avec les autorités étatiques bien que sa fondation reçoive au moins la moitié de ses ressources du ministère polonais des Affaires étrangères :

Nous réalisons des projets qui sont en phase avec la politique du gouvernement polonais … Nous marquons aussi notre projet comme un acte de don de la grande nation polonaise aux Syriens … et nous utilisons les symboles nationaux polonais … Ainsi, tout le monde nous aime bien et nous pouvons faire ce que nous voulons et évidemment nous recevons l'appui dont nous avons besoin.

Pendant le Sommet du Conseil européen [17] de juin 2018, une majorité de chefs d’État et de gouvernement a soutenu des politiques de prévention des migrations vers l'Europe, consistant à renforcer les relations avec les pays “d'origine et de transit”, à faire cesser les franchissements illégaux de frontières, et à financer les centres de réfugiés en Turquie — tout pour garder les réfugiés hors de chez soi.