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Au Bangladesh, la politique de ‘tolérance zéro’ sur les drogues fait des dizaines de morts

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Cyber-activisme, Développement, Droit, Droits humains, Gouvernance, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Santé
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Ya ba – des pilules aux opiacés qui sont frauduleusement introduites au Bangladesh depuis le Myanmar voisin. Image du journaliste พีรพล อนุตรโสตถิ์ via Wikimedia Commons. CC: BY 4.0

Article d'origine publié le 26 mai 2018 – Tous les liens associés renvoient à des pages en anglais, sauf mention particulière.

Le Bangladesh fait face au problème de la drogue [2] ya ba [3], qui se présente sous la forme de comprimés roses contenant un mélange de méthamphétamine et de caféine provenant clandestinement du Myanmar voisin. Mais déclarer une guerre à mort, est-ce la solution pour limiter l'augmentation de sa disponibilité et de son utilisation, notamment chez les jeunes [2]?

Les craintes des organisations des Droits de l'Homme sont élevées suite à la mort de plus de 50 trafiquants présumés [4] au Bangladesh durant ces derniers jours [communiqué initial datant du 26/05/2018] en résultat d'une campagne de “zéro tolérance” [5] [bn] menée par la police, avec le soutien de la Première Ministre. Un certain nombre de perquisitions ont eu lieu dans tout le pays.

Certains citoyens ont bien accueilli ces mesures de répression. Md. Julkar Nain a ainsi publié un tweet élogieux de l'action de la Première Ministre Sheikh Hasina :

Je remercie la Première Ministre Sheikh Hasina pour avoir déclaré une guerre totale au commerce de la drogue et à tous ceux qui y sont associés. Le commerce de la drogue est un ennemi d’État et un frein au développement. La tolérance zéro est requise, il est nécessaire d'atteindre l'objectif.

Cependant, d'autres personnes comparent [7] cette action à la guerre contre la drogue du Président philippin [8] [fr] Rodrigo Duterte, qui a causé plus de 20 000 morts [9], en majorité arbitraires, durant les deux dernières années. Saikat Rushdie a tweeté :

Le Bangladesh suit-il les pas de Duterte en lançant des tueries arbitraires dans des fusillades anti-drogues de suspects sans jugement ?

D'après des responsables bangladais, un record de 40 millions de comprimés ya ba ont été saisis en 2017 [16] alors qu'on estime à 250-300 millions le nombre de pilules sur le marché, comparé au 81 000 pilules ya ba saisies en 2010. Le nombre d'utilisateurs de cette drogue au Bangladesh a augmenté à plus de 7 millions [17] [bn] et la plupart d'entre eux sont jeunes [18]. Le Ya ba n'est pas une drogue bon marché, et de plus en plus d'utilisateurs deviennent impliqués dans des crimes violents [2] pour assouvir leur addiction.

‘Ne MARCHONS pas sur le chemin des tueries ARBITRAIRES’

Nombreux sont ceux à avoir critiqué les tueries de personnes suspectées de commettre du trafic de drogues. L'avocat Ziaur Rahman a écrit sur Facebook [19] :

Bangladesh kills 13 drug dealers in major crackdown May 20 – Let us not WALK the path of EXTRAJUDICIAL killings. Superbad for #Democracy. Improve the law and order system and plug the miscreants into the system. Let the system take care of them. #StopEXTRAJUDICIALKilling.

Le Bangladesh a tué 13 trafiquants de drogues durant la grande répression du 20 Mai – ne MARCHONS pas sur le chemin des tueries ARBITRAIRES. Néfaste pour la démocratie. Améliorez le système de l'ordre public et introduisez les mécréants dans le système. Laissons le système s'occuper d'eux.

Au Bangladesh, les “tueries arbitraires” ou les “tirs croisés” [20] font référence aux personnes décédées de blessures par balle, souvent alors qu'elles sont sous la responsabilité des forces de l'ordre; la description habituelle est que la victime aurait été tuée dans des tirs croisés entre les criminels et la police.

D'après les statistiques publiées par l'organisation des Droits des l'Homme, Odhikar [21], (Attention, lien défectueux) 1758 personnes sont décédées dans des tueries arbitraires durant les dix dernières années. Cependant, la police nie [22] de telles tueries délibérées.

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L'action du Bataillon d'Action Rapide (RAB) a été reconnue comme limitant la criminalité, mais il est accusé de commettre des tueries arbitraires. Image de Nahid Sultan via Wikipedia. CC BY-SA 4.0

Dans le contexte de la guerre récente contre la drogue, Tasneem Khalil l'expert du terrorisme et journaliste exilé a reformulé l'expression de ‘tuerie arbitraire’ en ‘terrorisme sponsorisé par l'Etat’ :

Innocent jusqu'à preuve du contraire : telle est la maxime de la loi. Au Bangladesh, la police et le Bataillon d'Action Rapide (RAB) ont tué 37 personnes innocentes en seulement huit jours. Il s'agit d'un terrorisme sponsorisé par l’État.

Le journaliste Hasan Mamun a écrit [25] [bn]:

আমরা তো চাইছিলাম, ভয়াবহ মাদক ব্যবসায় জড়িত উচ্চ পর্যায়ের লোকজন এবার ধরা পড়ুক — যেহেতু বলা হয়েছিল ‘জিরো টলারেন্স'। চুনোপুঁটিদের বিরুদ্ধে এসব ঘোষণা করা আর বাস্তবায়নের কোনো মানে আছে কি? এটা মানুষকে আশান্বিত করবে না; রাঘববোয়ালরাও ভীত হবে না এতে।

Nous souhaitions que les barons des cartels de drogue proches des hauts responsables au gouvernement soient arrêtés dans ce mouvement anti-drogue, vu qu'ils parlent de “tolérance zéro”. Mais le mouvement sera-t-il efficace en ciblant seulement le menu fretin ? Cela ne rassurera pas le peuple et les barons ne seront pas inquiétés.

‘La loi est aussi applicable à ceux qui sont au pouvoir, n'est-ce pas ?’

L'un des plus grands quotidiens du Bangladesh a publié [26] [bn] une liste des principaux trafiquants de drogue présumés dans le pays, établie apparemment par le Département de contrôle de stupéfiants. Le nom d'un certain nombre de politiciens du parti au pouvoir y apparaît, dont un député.

Le ministre de l'Intérieur a prévenu les journalistes [27] de ne l'accuser d'aucun crime sans fournir de preuve, mais l'apparition sur la liste de personnalités du parti au pouvoir conduit les Bangladais a remettre en question l'utilisation d'une force meurtrière sur des trafiquants de “bas niveau”.

Un jeune politicien, Zunaed Saki, [bn] [28] a demandé que le parti au pouvoir se sépare des personnes citées sur la liste:

মাদক গুরুতর সমস্যা। সমাধানের প্রধান জায়গা হচ্ছে ক্ষমতার সাথে এর যোগসাজশ ছিন্ন করা। কিন্ত রাষ্ট্র যখন মানুষ মেরে ফেলাকে (ক্রসফায়ার) সমাধান হিসেবে হাজির করে, এর চাইতে ভয়াবহ প্রতারণা আর কি হতে পারে?

La drogue est un problème sérieux. Le meilleur moyen de régler le problème est d'arrêter les financements par les personnes puissantes. Mais quand l’État utilise la tuerie de personnes (dans des feux croisés) comme une solution, à quel point cela peut-il être trompeur ?

Le poète Ahmed Swapan Mahmud [29] [bn] a lancé un appel à présenter les plus grands barons de la drogue devant la justice:

যারা ক্রসফায়ারড হইলেন তারা কে কত নম্বরে ছিলেন তালিকায়? জানি না।
যারা তালিকায় ১ থেকে ১১ নম্বরে আছেন তারা তো দেখছি ধরাছোঁয়ার বাইরে। কারণ কি?
আইন তো ক্ষমতার হাতে বন্দী, নাকি! গডফাদারদের বন্দী করেন।

Concernant ceux qui ont été tués dans des feux croisés, qui était à quel rang dans la liste publiée ? Je ne le sais pas. Mais je vois que les dix premiers nous sont inatteignables. Pourquoi ? La loi est applicable à ceux qui sont au pouvoir, n'est-ce pas ? Arrêtez donc les parrains de la drogue !

La plupart des communications sur les cas de “tirs croisés” ou de tueries arbitraires reprennent seulement les déclarations du gouvernement. Shafiqul Alam [30] appellent les journalistes à être plus fidèles à leur métier et à poser les vraies questions avant de rédiger leur communiqué :

Crossfires are the worst human rights violation in Bangladesh and many other countries in the world. Yet many reporters here don't know how to report a crossfire killing. They just copy and paste an official press statement, describing a story (most often lies) just the way the authorities wanted to tell it.

Les tirs croisés sont les plus grandes violations des droits de l'homme commises au Bangladesh et dans de nombreux autres pays dans le monde. Et pourtant de nombreux journalistes ne savent pas comment communiquer sur un décès par tir croisé. Ils ne font que copier-coller un communiqué de presse officiel, rapportant l'événement (souvent des mensonges) exactement de la manière souhaitée par les autorités.

Le Ya ba est déjà une drogue interdite, mais le gouvernement devrait l'élever au statut de drogue de Catégorie A, une liste incluant l'héroïne, la cocaïne, la péthidine, la morphine et l'opium. Les crimes relatifs aux drogues de cette catégorie peuvent impliquer la peine capitale comme la peine maximale, et d'autres morts pourraient être causées à l'avenir dans cette guerre contre la drogue.