Osaka a officiellement mis fin à son jumelage avec San Francisco aux USA, après que cette ville a autorisé le maintien sur un terrain lui appartenant d'un monument à la mémoire des “femmes de réconfort”.
Le monument était une commande de la “Coalition Justice pour les femmes de réconfort”, une association de la société civile dédiée à la sensibilisation aux femmes qui avaient été recrutées dans toute l'Asie et asservies par l'armée japonaise pendant la deuxième guerre mondiale. Il est constitué de quatre statues représentant des femmes coréennes, chinoises et philippines, ainsi qu'une femme morte, témoignant d'outre-tombe de leur calvaire.
Le monument a provoqué de vives réactions au Japon lors de son inauguration en septembre 2017. Les autorités municipale, préfectorale et nationale ont élevé des protestations officielles contre San Francisco un mois plus tard, lorsque dans le cadre d'une transaction sans rapport, la municipalité étasunienne a acquis la parcelle. Le maire d'Osaka Yoshimura Hirofumi a alors menacé de rompre les liens de jumelage si le monument n'était pas retiré de l'emplacement, ou si les inscriptions n'étaient pas modifiées.
Il a finalement mis sa menace à exécution le 2 octobre 2018, en rendant publique pour cela une lettre de 10 pages et 3.800 mots en anglais adressée à la maire de San Francisco London Breed, énumérant — souvent en caractères gras et soulignés — une litanie de motifs de rupture.
Il se plaint, par exemple, que les inscriptions sur le monument présentent “des affirmations hasardeuses et unilatérales comme si elles étaient des faits historiques”, et écrit qu'il existe des désaccords entre historiens sur le nombre total de “femmes de réconfort” enrôlées et sur le degré d'implication de l'ex-armée impériale japonaise.
Si M. Yoshimura reconnaît le traitement déplorable des femmes pendant la guerre, il défend que le Japon est injustement “singularisé” :
[…] This issue should not be treated as an issue specific solely to the Japanese military. As long as widespread sexual problems on the battlefields by countries other than Japan are not openly recognized, past offenses, which the whole world must face, will go uncorrected, and those violations in other parts of the world will not be resolved.
[…] Cette question ne doit pas être traitée comme une question seulement particulière à l'armée japonaise. Aussi longtemps que les problèmes sexuels généralisés sur les champs de bataille de pays autres que le Japon ne seront pas reconnus ouvertement, les abus passés, que le monde entier doit regarder en face, resteront non corrigés, et ces violations dans d'autres pays du monde ne seront pas résolues.
Sans répondre directement à la lettre, la maire de San Francisco London Breed a publié une déclaration sur la décision d'Osaka de rompre les liens, disant :
One Mayor cannot unilaterally end a relationship that exists between the people of our two cities, especially one that has existed for over sixty years. In our eyes, the Sister City relationship between San Francisco and Osaka continues today through the connection of our people, and San Francisco looks forward to strengthening the bonds that tie our two great cities together.
Un seul Maire ne peut pas mettre fin unilatéralement à une relation qui existe entre les populations de nos deux villes, surtout si elle existe depuis plus de soixante ans. A nos yeux, la relation de jumelage entre San Francisco et Osaka continue aujourd'hui à travers la connexion entre nos habitants, et San Francisco se réjouit de renforcer les liens noués entre nos deux belles cités.
“Le Japon doit encore des excuses sincères”
Les femmes enrôlées et asservies par l'armée japonaise étaient pudiquement appelées ianfu (femmes de réconfort) en japonais, et sont depuis longtemps source de controverse politique.
Pendant la deuxième guerre mondiale, au moins 200.000 femmes de plus de dix pays de toute l'Asie furent contraintes à l'esclavage sexuel par l'armée impériale japonaise (les États-Unis, pendant leur occupation du Japon de 1944 à 1952, ont opéré un semblable réseau de bordels).
Osaka elle-même compte un grand nombre d'habitants d'origine coréenne, et le prédécesseur de Yoshimura, le populiste et nationaliste Hashimoto Toru, s'est rendu célèbre par les nombreuses polémiques qu'il a allumées, comme sa déclaration de 2013 que les femmes de réconfort avaient été “une nécessité militaire” pendant la deuxième guerre mondiale. Yoshimura, un ancien avocat de 41 ans, est lui aussi impliqué dans le mouvement populiste national aux niveaux local et national depuis 2011.
Un accord entre le Japon et la Corée du Sud fin 2015 avait voulu résoudre de manière “définitive et irréversible” la question des “femmes de réconfort”, mais s'est traduit par des manifestations de grande ampleur en Corée du Sud.
C'est alors que Park Geun-hye, la présidente sud-coréenne qui avait signé l'accord, fut destituée, contrainte à démissionner et finalement emprisonnée pour des faits de corruption sans lien avec l'affaire. Le successeur de Mme Park, le président Moon Jae-in, a déclaré que le Japon doit encore présenter des excuses sincères et reconnaître que les “femmes de réconfort” étaient par système réduites en esclavage et exploitées pendant la guerre.
Le monument de San Francisco n'est pas le seul à provoquer la controverse. Des militants se sont battus sans succès pendant trois ans pour faire enlever un mémorial similaire érigé à Glendale (Californie), et une statue à Manille a été ôtée soi-disant pour laisser place à des améliorations d'infrastructures, bien que le retrait soit intervenu après des protestations officielles du gouvernement japonais. Celui-ci a aussi protesté contre une “statue de la paix” érigée face à l'ambassade japonaise à Séoul, en Corée du Sud.
Cet article incorpore des recherches d’Eric Johnston.
1 commentaire
Les crimes commis par l’armée japonaise en Corée et en Chine sont particulièrement abominables, et le Japon pratique encore aujourd’hui une forme de négationnisme. Mais les États-Unis sont loin d’avoir été irréprochables. Pour info, en France, des milliers de femmes ont été violées (et parfois assassinées ) par des GI’S. Selon les historiens, l’armée américaine a même commis plus de viols à la Libération que l’armée allemande durant toute l’Occupation. La réalité ne ressemblait pas à “le jour le plus long ” ou “il faut sauver le soldat Ryan”…