Au moment où le Japon prévoit une augmentation du nombre d'immigrants et de touristes étrangers dans les années à venir, une nouvelle émission télévisée fait du divertissement avec les expulsions de migrants. Ce programme a provoqué des réactions scandalisées de téléspectateurs ainsi que des réflexions sur la difficile situation des sans-papiers et des migrants dont le visa a expiré.
Taikyo no Shunkan (タイキョの瞬間) (traduction en français : “A l'instant même de leur expulsion”) a débuté sur Fuji Television en prime time du samedi soir, le 6 octobre 2018.
Dans un format de téléréalité, lla caméra suit pendant deux heures une équipe de soi-disant “agents spéciaux”, des fonctionnaires de l'immigration travaillant pour l'antenne régionale de Tokyo du service national de l'Immigration dans leur traque d'individus dont le visa a expiré, et de ceux appelés “étrangers illégaux” (fuhotaizaisha, 不法滞在者) et squatters (fuhosenshu, 不法占有).
Dans une séquence, les agents de l'immigration planquent près de l'appartement d'un Vietnamien suspecté d'enfreindre les conditions de son visa de stagiaire. L'homme est arrêté avec deux autres et interrogé devant la caméra avant d'être expulsé 24 heures plus tard.
Dans une autre séquence, les agents de l'immigration envahissent une usine et embarquent un groupe d'Indiens suspectés d'être des ouvriers sans papiers. A aucun moment les propriétaires n'apparaissent à l'image.
Une séquence finale enquête sur le problème des “squatters” chinois qui ont créé un potager sur un terrain public sur un bout isolé d'une berge à Kyoto.
Pour le moment, l'enregistrement vidéo de l'intégralité de l'émission par un fan est visible sur DailyMotion.
Le contenu et le ton de Taikyo no Shunkan a été largement critiqué. Le Collectif d'Action anti-raciste japonais a relevé que le Service japonais de l'Immigration, qui emploie les “agents spéciaux” montrés dans l'émission, a fait une active publicité pour ce programme :
This program is officially backed up by Tokyo Immigration Bureau, which makes the least refugee approvals in the world and daily abuses immigrants and refugee applicants, sometimes to death. https://t.co/HLuMOZf72e
— C.R.A.C. (@cracjp) October 6, 2018
Ce programme a le soutien officiel des Services de l'Immigration de Tokyo, qui admettent le moins de réfugiés au monde et maltraitent journellement les immigrants et demandeurs d'asile, parfois à mort.
[Traduction du tweet cité du Service de l'Immigration de Tokyo]
Communiqué du Service régional de l'Immigration de Tokyo :
Le Tokyo Keizai Shimbun publie un résumé de l'émission Taikyo no Shunkan de samedi soir [sur le service de l'immigration.] Ne manquez pas de le lire avant de regarder l'émission !!! Lisez l'article du Tokyo Keizai ici : https://t.co/3fDFDaQKhV
Ce programme télévisé sort au moment où le Japon se prépare à muscler ses services d'immigration : l'État veut recruter pas moins de 500.000 travailleurs étrangers pour aider à faire face à une pénurie ressentie de main d’œuvre (les femmes japonaises restent moins présentes sur le marché du travail, d'où les difficultés à pourvoir des offres d'emploi).
Une bonne partie des 500.000 travailleurs étrangers potentiels sont supposés servir de main d’œuvre temporaire à bas salaires et emplois précaires, ce qui leur fournira de multiples incitations à rechercher, une fois arrivés, des postes mieux payés mais non déclarés.
Un article sur Buzzfeed Japan par Kota Hatachi à propos de Taikyo No Shunkan a rassemblé des commentaires en ligne sur l'émission, ainsi que des aperçus sur la vie des travailleurs étrangers au Japon. Un de ces commentaires notait que loin d'être une menace pour le Japon comme on les présente, ces travailleurs sont en réalité eux-mêmes traqués, interrogés et ensuite expulsés ; ce sont sans aucun doute eux qui subissent le plus de risques.
Hatachi souligne qu'au moins 13 personnes sont mortes en détention pour immigration au Japon depuis 2009, un chiffre jamais cité dans l'émission Taikyo No Shunkan.
Mogi Kenichiro, un spécialiste de neurosciences et personnalité médiatique, a également fustigé l'inconscience d'un programme télévisé qui traite les rafles de migrants comme un divertissement :
フジテレビ「タイキョの瞬間」は、今の日本の地上波テレビの、何事も深く考えず、批判的思考のかけらもなく、表面的なちゃらちゃらしたエンタメにしてしまうという愚劣さが、最悪のかたちで表れた番組だと思います。国際的な恥です。
こんな地上波テレビなんて、一秒たりとも見なくていい。
— 茂木健一郎 (@kenichiromogi) October 8, 2018
Dépourvu de connaissances approfondies, sans même une miette d'analyse critique et avec la bêtise du divertissement superficiel, Taikyo no Shunkan de Fuji TV est le pire programme japonais de télévision aujourd'hui. Une honte internationale.
Après le diffusion de l'émission, des militants japonais se sont mobilisés pour que les travailleurs sans papiers arrêtés et incarcérés dans un centre régional de rétention et les autres sachent qu'ils ne sont pas seuls :
フジテレビ #タイキョの瞬間 に抗議する渋谷街宣の写真を牛久入管の被収容者に郵送しました。今週、面会してきます。#FREEUSHIKU#密着ガサ入れ pic.twitter.com/8UIx1RgVbr
— ARAKI, yuichi (@ark_yz) October 8, 2018
Nous avons envoyé ces photographies de gens qui manifestent contre le programme de Fuji Television Taikyo no Shukan à Shibuya (à Tokyo) à des expulsés de Ushiku (le centre d'iimmigration Higashi Nihon). Nous irons les visiter cette semaine. Libérez Ushiku Fouilles à domicile télévisées
Les programmes télévisés exploitant l'exécution des lois sur l'immigration pour du divertissement avec le soutien et la coopération des polices des frontières n'existent pas qu'au Japon.
Les médias du Royaume-Uni et d’Australie diffusent depuis longtemps sur les ondes des émissions où des voyageurs et migrants non autorisés sont filmés en train d'être raflés, interrogés, enfermés et parfois expulsés.
Une émission canadienne du même genre, produite avec la coopération directe de l”agence canadienne des services frontaliers (CBSA), a été annulée en 2016 pour cause d'infractions à la vie privée. Le programme reste visible en rediffusions.