- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Le Burundi s'en prend aux ONG internationales et rejette les critiques sur les droits de l'homme

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Burundi, Action humanitaire, Censure, Droits humains, Élections, Gouvernance, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Réfugiés, Relations internationales

Rapport sur le Burundi: Présentation des rapports des experts indépendants au Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Crédit: Représentation des États Unis à Genève/ Flickr [1], 27 septembre 2016.

Le gouvernement burundais a tenté à de nombreuses reprises de focaliser l'attention internationale sur les élections à venir de 2020 et de clore le débat sur la crise [2] électorale de 2015 et ses conséquences [3], dont notamment la crise sécuritaire qui a suivi et la médiation régionale pour rétablir le dialogue avec les opposants en exil. En mai, des modifications constitutionnelles controversées ont été sans surprise approuvées par référendum [4], mais le Président Nkurunziza avait alors annoncé de manière inattendue [5] qu'il ne se représenterait pas.

Bien que les positions divergent, les critiques internationales [6] et burundaises se poursuivent contre la répression [7] politique et la situation économique difficile [8], tandis qu'à Bujumbura, la capitale du Burundi, les représentants du gouvernement renforcent le contrôle exercé sur les organisations non gouvernementales.

Enquêtes sur les droits de l'homme

Lors de la 39ème session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, en septembre 2018, la Commission d'enquête des Nations unies (UNCOI) a renouvelé son mandat [9] pour une année supplémentaire, suivant la demande d’opposants [10] et de nombreuses [11] organisations [12] de défense des droits de l'homme [13]. Elle avait été créée en 2016 pour enquêter sur les violations des droits de l'homme commises depuis 2015.

Malgré les menaces [14] de Bujumbura de quitter le Conseil, la motion [15] a été adoptée [16] avec 23 votes pour, 17 abstentions et 7 votes contre. La plupart des États africains se sont abstenus [17]. L’ambassadeur du Burundi auprès de l’ONU a déclaré que les États européens avaient essayé d'“imposer [18] leur volonté”.

Un rapport [19] de l'UNCOI indiquait en 2017 qu'elle avait «des motifs raisonnables de croire» que des crimes contre l'humanité avaient été commis au Burundi. Le président de l'UNCOI, Doudou Diène, avait déjà averti [20] que le référendum constitutionnel avait exacerbé les problèmes [21] existants et, en juin [22], la Commission a indiqué être toujours préoccupée [23] par la répression en cours, citant la lourde peine de prison [24] prononcée à l’encontre de l'activiste Germain Rukuki. Elle a également déclaré [25] que l’annonce du président Nkurunziza selon laquelle il ne se représenterait pas aux élections ne devait pas occulter la situation.

Un rapport [26] de l’UNCOI [27] publié en 2018 indique que les violations des droits de l'homme au Burundi se sont poursuivies en toute impunité, y compris des actes de torture et des disparitions forcées perpétrés par les services de sécurité et les Imbonerakure [28], la ligue des jeunes de plus en plus puissante du parti au pouvoir. Le rapport déplore [29] le “rétrécissement de l'espace démocratique” et “l'appauvrissement croissant de la population”, et critique le président de manière directe pour ses incitations à la violence.

Le gouvernement ayant refusé [30] que l'UNCOI mette les pieds au Burundi, les enquêteurs ont dû avoir recours à des centaines d'entretiens téléphoniques et en personne avec des réfugiés.

Le gouvernrment [31] et ses partisans [32] ont systématiquement [33] rejeté [34] ces rapports, affirmant que les informations qu’ils contiennent sont fausses et visent à alimenter des complots contre la souveraineté nationale. Un porte-parole du gouvernement a déclaré [35] que l’un des rapports était “nul et non avenu” et servait un “agenda caché”, et les représentants du régime ont boycotté [36] sa présentation, allant même jusqu’à exiger des réparations. Les enquêteurs de l'UNCOI ont été, quant à eux, déclarés ‘personae [37] non gratae’ au Burundi.

L'envoyé de l'ONU [44] Michel Kafondo, en sa qualité de médiateur, a adopté un ton [45] plus positif que l’UNCOI. Selon les représentants du gouvernement, il s’agit là d’un signe que l'UNCOI n’a pas su saisir tous les tenants et les aboutissants de la situation. Au même moment, l’enquête [46] de la Cour pénale internationale [47] sur les violences et l'impunité [48], ouverte en 2017, se poursuit [49]. Bujumbura a, une fois de plus, refusé de coopérer et [50], dans une démarche sans précédent [47], a quitté le tribunal.

Répression contre les ONG

Après la crise de 2015, les restriction [51] imposées aux détracteurs [52] du gouvernement se sont intensifiées, déclenchant un harcèlement des opposants, des médias [53] et de la société civile, ainsi que la fermeture [54] de plusieurs radios indépendantes. Le journaliste Jean Bigirimana  [55]a été victime d'une disparition forcée et le militant Pierre Claver Mbonimpa [56] a dû s’exiler après avoir été grièvement blessé par balle. D'autres, comme l'activiste Nestor [57] Nibitanga [58], ont dû faire face à des poursuites judiciaires pour atteinte à la sûreté de l’État.

En 2016, plusieurs organisations burundaises de défense des droits de l’homme ont été désenregistrées [59] et, récemment, des organisations non gouvernementales (ONG) internationales ont également subi des pressions.

En septembre, le Conseil national de sécurité, présidé par Nkurunziza, a annoncé [60] que toutes les ONG – à l'exception [61] de celles travaillant dans des hôpitaux et des écoles – étaient suspendues [62] pour trois mois à compter du 1er octobre, de même que les compagnies minières [63], pour un mois.

Ces mesures visent à assurer le respect de nouvelles régulations datées de 2017, dont notamment l’instauration de quotas ethniques et de genre, initialement prévus par des accords de paix conclus après la guerre et destinés aux institutions politiques et militaires. Un porte-parole [64] du gouvernement a même accusé certaines ONG de promouvoir l'homosexualité et les conflits politiques.

De plus, le gouvernement a contraint les ONG à se conformer à de nouvelles taxes et autres exigences [65] financières, auxquelles ces dernières n’étaient pas préparées, créant une situation de blocage. L’une des motivations possibles pour expliquer ces nouvelles exigences serait la tentative de générer des revenus pour l’Etat afin de soulager les finances publiques en difficulté.

Les critiques ont fait valoir que le Conseil n'était qu’un organe consultatif [66] dépourvu de pouvoir légal, mais le ministre de l'Intérieur, Pascal Barandagiye, a déclaré que le Conseil était “au-dessus” [64] des ministres.

Lors d'une réunion [67] qui s’est tenue le 2 octobre, des responsables politiques ont annoncé que les ONG se conformant aux nouvelles régulations pourraient [68] reprendre leurs activités après avoir soumis certains documents officiels au gouvernement. Celles [69] qui ne s’y seront pas conformées dans les trois mois seront désenregistrées. Plusieurs employés [70] de l'International Rescue Committee auraient par la suite été temporairement arrêtés pour avoir continué à travailler.

Les ONG ont protesté [71] et Amnesty International [72] a averti que l'arrêt brutal des activités “déstabiliserait des services essentiels”. Le journal Iwacu a ensuite rapporté [73] que les services d'aide au retour des réfugiés au Burundi avaient dû être suspendus.

Les blogueurs Landry Burundi et Patrick Nimpagaritse, de Yaga Blog, ont qualifié les restrictions imposées aux ONG de “décision pénalisant tout le monde”, citant [74] le taux de pauvreté déjà élevé [75] et des répercussions [76] sur les approvisionnements en engrais et en énergie.

L’UNCOI et d’autres continuent de dénoncer des violations des droits de l’homme, et le gouvernement continue de les nier. Sur fond de désaccord – ou peut-être de désintérêt [77]  – de la communauté internationale, la crise politique a stagné, à l'avantage du parti au pouvoir, qui renforce son contrôle sur l'opposition et les agences internationales présentes dans le pays, mais sans pour autant apporter de solution à l’impunité toujours plus grande et aux problèmes économiques.

‘Élections crédibles’

Les divisions [78] internationales persistent sur la situation au Burundi. Alors que les relations diplomatiques avec la Chine [79] et la Russie [80] sont au beau fixe, les sanctions de l'Union européenne se maintiennent et les gouvernements voisins sont divisés. La Tanzanie a appelé [81] les réfugiés burundais à rentrer chez eux, tandis que les tensions [82] avec le Rwanda [83] s'aggravent [84] sur fond de raids [85]transfrontaliers [86] opérés par des groupes armés.

En août, un communiqué [87] du Conseil de sécurité des Nations Unies a exprimé ses préoccupations [88] sur la situation humanitaire, concernant “près de 180 000 personnes déplacées à l'intérieur du pays, 3,6 millions de personnes dans le besoin et près de 400 000 Burundais réfugiés dans les pays voisins”. Il a également déploré la lenteur du dialogue et le manque d’engagement du gouvernement, et a déclaré que le Burundi devait améliorer la liberté d'expression dans le pays pour que les élections de 2020 soient crédibles.

L’International Crisis Group a souligné [89] que les difficultés économiques ont décuplé les risques de violences, tandis que la collecte de contributions [90] financières [91] forcées [92] pour les élections de 2020 est en train d’exacerber le chômage, l’inflation [93] et la pénurie de biens [94]. Nombreux sont ceux qui ont fui les violences politiques depuis 2015 et, bien que des milliers [95] de personnes soient déjà rentrées depuis 2017, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés compte toujours 319.753 [96] réfugiés ayant quitté le pays après 2015 et s’entassant toujours dans des camps [97] sous-financés. [98]

Le Conseil de sécurité des Nations unies a salué la décision du président de ne pas se représenter et a déclaré [99] que la situation sécuritaire s’était améliorée, ce qui semble indiquer que l’attention internationale est en train de se déplacer du discours centré sur la « crise politique”  vers un discours centré sur des “élections crédibles en 2020″, reflétant la consolidation du contrôle du gouvernement.

L'ambassadeur auprès des Nations unies, Albert Shingiro, s'est félicité de cette formulation, mais l’opposant politique Leonce Ngendikumana  [100]a critiqué le manque d’action internationale et déclaré qu'un dialogue inclusif était nécessaire pour rétablir la paix et assurer un retour digne pour les réfugiés et la libération des prisonniers politiques.

Le journal Iwacu, par exemple, rapporte de manière récurrente des découvertes de corps sans vie [101] dans certaines régions du Burundi. Le crime armé et [102] les groupes [103] rebelles [104], particulièrement actifs [105] dans l'est de la République démocratique du Congo, posent également de graves menaces.

Pierre Célestin Ndikumana, de la coalition d’opposition Amizero y’ Abarundi, nous rappelle enfin que “l’absence de guerre n’est pas synonyme de paix”.