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Mort par bureaucratie ? Les régulateurs russes infligent une amende record au site d'informations indépendant The New Times

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Censure, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, RuNet Echo, Advox

Yevguenia Albats est une animatrice radio, journaliste d'investigation, politologue et écrivaine russe. Son journal, The New Times, a été condamné à une lourde amende pour avoir omis de se déclarer en temps et en heure auprès de l'organe de surveillance des médias du gouvernement russe. Photo de Evgueni Isaev (CC 2.0)

[Article d'origine publié le 26 octobre] The New Times [1], un site internet indépendant et hebdomadaire ancien à la voix sensiblement critique, a été condamné à une amende record de 22 millions de roubles (soit 295.020€).

C'est une somme paralysante pour un petit organe de média en Russie. À titre de comparaison, MediaZona, le média de journalisme d'investigation de taille et de portée similaires au New Times, récolte un peu moins d'un million de roubles (soit 13.410€) par mois, ce qui suffit à peine pour couvrir les charges opérationnelles.

Alexeï Venediktov, le rédacteur en chef de l’Écho de Moscou, premier réseau de radio indépendant de la Russie post-soviétique, a annoncé la nouvelle sur son compte Telegram [2] :

Журнал Нью Таймс и Евгения Альбац оштрафованы решением мирового суда на 22 миллиона рублей за несвоевременное предоставление сведений в Роскомнадзор.

Это, конечное, разорение и закрытие журнала.

[…]Информация о штрафе от адвоката журнала и Альбац Вадима Прохорова.

Le magazine The New Times et Yevguenia Albats [la rédactrice en chef du New Times] ont été condamnés par un tribunal à une amende de 22 millions de roubles  pour avoir omis de soumettre à temps un rapport au Roskomnadzor [l'organe de surveillance des médias du gouvernement russe].
Pour le journal, c'est évidemment synonyme de faillite et de fermeture imminente.

[…] J'ai appris l'existence de cette amende dans le magazine et par l'avocat de Yevguenia Albats, Vadim Prokhorov.

Alexeï Venediktov a rappelé à ses abonnés que Yevguenia Albats avait présenté lundi sur Écho de Moscou un entretien avec Alexeï Navalny, le principal militant de l'opposition russe.

The New Times a été condamné en vertu d'une loi du code administratif russe rarement utilisée et qui oblige les médias à déclarer toute source de financement étrangère auprès du Roskomnadzor, le régulateur des médias russes. Si aucune statistique de son utilisation n'est disponible, MediaZona note [3] que de similaires infractions à la législation sur les médias ont à peine cumulé plus 7 millions de roubles (soit 93.870€) en amendes depuis 2015.

La loi exige des médias russes qui acceptent des subventions ou des dons étrangers, de déposer des rapports trimestriels auprès du Roskomnadzor — seulement parfois on ne leur laisse pas de temps pour le faire. Plus tôt dans l'année, The New Times a reçu une requête de la part du procureur général de Russie leur demandant de déclarer leur financement étranger. Cette demande a été émise le 10 mai alors que la date limite de dépôt des rapports était le 7 mai.

Instaurée à la fin 2015, la loi faisait partie d'un ensemble de mesures législatives visant les médias indépendants, les associations de la société civile et les ONG. Au sein d'une structure de régulation de plus en plus labyrinthique en Russie, il est devenu bien trop facile pour les structures d'aller à la faute sur la base du “trois fautes et vous perdez votre licence de radiodiffusion”, ou de se voir imposer des amendes pour avoir omis de préciser que l'État Islamique est une organisation terroriste interdite en Russie, à chaque fois qu'il est mentionné dans un article.

Bien que ces lois et réglementations aient été écrites dans le cadre d'un programme pour prévenir le terrorisme, l'extrémisme et d'autres crimes majeurs, l'application des règles par les autorités suggère que le journalisme indépendant aurait pu être la véritable cible : aucun média pro-Kremlin n'a ainsi été averti ou sanctionné suites à ces lois.

Lorsque tout cela est combiné à la réticence des annonceurs à acheter des encarts publicitaires dans des publications politiquement risquées, les petits médias comme le New Times, qui n'appartiennent pas directement ou indirectement au gouvernement russe, se rendent compte qu'ils sont toujours au bord du précipice.

En Russie, il reste relativement peu de moyens légaux de gagner de l'argent par la publicité ou la vente de versions papier. The New Times a arrêté sa propre version imprimée au début de 2017, faisant la transition complète vers le numérique après des problèmes continus avec la distribution. Le journal a finalement accepté des dons venant de l'étranger, ce qui le confronte désormais à une possible lent étouffement par la bureaucratie.

Et à côté de ces obstacles réglementaires, il existe un flot continu de violence, de menaces et d'intimidation à l'encontre des journalistes indépendants en Russie, à l'instar de ces effroyables “cadeaux” livrés à la porte [4] d'un autre journal éminent, Novaïa Gazeta.