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La Syrie suivra-t-elle les traces des Émirats arabes unis en censurant les services VoIP ?

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Syrie, Censure, Droits humains, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Médias citoyens, Technologie, Advox

Des millions de syriens ayant fui la guerre dépendent des applications VoIP pour rester en contact avec leurs proches. Photographie de Samer Daboul via Pexels

Cet article a été originellement écrit par Grant Baker et publié sur smex.org [1]. Cette version revue est reproduite par Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenus.

Le 17 octobre, l'Autorité syrienne de régulation des télécommunications (TRA) a annoncé qu'elle pourrait bientôt commencer à bloquer les appels vocaux et vidéo sur WhatsApp et sur d'autres services de VoIP (voix sur IP).

D'après Al-Watan [2]le journal proche du régime syrien, la TRA a justifié cette décision en déclarant vouloir accroître les revenus de l'industrie des télécommunications. Ibaa Oueicheke, le directeur général de l'organe régulateur, s'est plaint [3] d'une VoIP qui “réduit le retour sur investissement des entreprises [de télécommunications] et diminue leur motivation à effectuer de nouveaux investissements pour améliorer le réseau et offrir de meilleurs services à un prix inférieur.”

Comme pour d'autres gouvernements de la région et d'Afrique subsaharienne, la promesse d'une hausse des revenus des entreprises de télécommunications locales est attrayante, et ce, malgré les charges que cela imposerait aux citoyens.

Si elle est mise en place, une telle interdiction augmenterait les coûts de communications déjà onéreux du pays et réduirait les flux d'informations. Cela constituerait également une menace pour les droits des Syriens à la vie privée et conduirait probablement à une plus forte autocensure au sein du pays.

Actuellement en Syrie, deux entreprises entretiennent un duopole sur le marché des télécommunications mobiles : SyriaTel, qui appartient à Rami Makhlouf, le cousin de Bachar el-Assad, et MTN Syria, une filiale de MTN Group Limited basé en Afrique du Sud. Le régime contrôle les infrastructures et la bande passante par le biais de deux agences gouvernementales [4], la Syrian Computer Society (SCG) et la Syrian Telecommunications Establishment (STE). La SCG contrôle les installations 3G du pays pendant que la STE, qui a établi [5] le premier système de surveillance national du pays en 1999, est propriétaire [6] de toute l'infrastructure de téléphonie fixe. Cela permet [7] aux autorités syriennes de facilement espionner les utilisateurs.

Si WhatsApp et d'autres services de VoIP cryptés venaient à être censurés, les Syriens n'auraient d'autre choix que de se tourner vers les services de télécommunications contrôlés par le régime, ce qui rendrait leurs communications privées plus vulnérables à l'espionnage gouvernemental.

Cela signifie que le gouvernement syrien pourrait facilement écouter leurs conversations et collecter les métadonnées de leurs communications. C'est un secret de polichinelle, le gouvernement achète et utilise divers outils de surveillance [8] pour espionner ses citoyens. Il est ainsi facile d'imaginer que si les Syriens n'avaient pas d'autre choix que d'utiliser les services de télécommunications nationaux, les autorités tirerait profit d'une technologie relativement peu sécurisée pour accroître leur pratique d'espionnage de la population.

Un tel changement pourrait également ouvrir la voie à de nouvelles alternatives coûteuses et dangereuses. Le gouvernement des Émirats arabes unis (EAU), qui interdit les services VoIP tels que Skype, Viber et WhatsApp, a seulement donné son aval aux deux opérateurs mobiles du pays, Etisalat [9] et Du [10], pour déployer leurs propres services VoIP. Non seulement ces services coûtent de l'argent, mais le gouvernement des EAU a également accès aux métadonnées et aux informations d'appels des clients, ce qui facilite la surveillance.

Afin d'accroître leurs bénéfices, les compagnies de télécommunications syriennes pourraient déployer des prestations similaires. Les nouveaux services donneraient aux citoyens l'illusion que leurs communications sont protégées, alors qu'en réalité, elles seraient aussi vulnérables que des appels normaux.

Bien que les utilisateurs syriens puissent toujours contourner cette interdiction en téléchargeant un VPN, cela exclura ceux qui ne sont pas des passionnés de technologie et ceux qui ont des moyens financiers limités. La plupart des VPN sont payants et ceux qui sont gratuits pistent la navigation et permettent à des tiers d'accéder aux données utilisateurs, générant ainsi des vulnérabilités supplémentaires pour les utilisateurs.

Si l'organe de régulation adopte le blocage des services VoIP, la Syrie sera le dernier pays en date de la région à adopter une politique aussi restrictive. En plus des Émirats arabes unis, le Qatar bloque actuellement l'accès aux services VoIP alors que l'Arabie saoudite interdit toujours Viber et WhatsApp bien qu'elle ait assoupli ses restrictions [11] sur l'utilisation des applications VoIP l'année dernière. D'autres pays de la région, comme le Liban [12] et le Maroc [13], ont brièvement interdit l'accès au VoIP en 2010 et 2016 respectivement, mais ils ont rapidement mis fin à ces dispositions.