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La fuite en Hongrie de l'ex-homme fort de la Macédoine déclenche une avalanche de désinformation

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Hongrie, Macédoine, Serbie, Dernière Heure, Droit, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
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Ce montage photographique de l'humoriste macédonien Alekandar Dojranliev montrant l'ex-premier ministre anti-migrants Nikola Gruevski habillé comme une réfugiée à la frontière hongroise est devenu un mème populaire. Reproduit avec autorisation.

Avec leur publication d'informations non confirmées, non vérifiées et trompeuses sur la fuite en Hongrie de l'ex-premier ministre macédonien Nikola Gruevski à fins d'échapper à sa condamnation à deux ans de prison [2], de nombreux organes de médias des Balkans ont contribué à créer la confusion et la méfiance dans le public. Principale source de la confusion, le va-et-vient des reprises d'articles entre les médias macédoniens, hongrois, serbes et albanais en l'absence de vérification journalistique élémentaire.

Selon Balkan Insight [3], on sait désormais que Gruevski est passé clandestinement de Macédoine en Albanie, avant d'être transporté dans des véhicules diplomatiques à travers le Monténégro et la Serbie par du personnel des ambassades de Hongrie dans ces pays.

Sur un vol d'une compagnie aérienne fantôme ?

Un des morceaux de désinformation de plus de poids est venu du jusque là fréquentable journal serbe Politika, qui a publié le 15 novembre un article affirmant que Gruevski avait “fui” sur un vol de la Malév Hungarian Airlines en partance de Tirana, la capitale albanaise, à destination de Budapest. A l'avantage du gouvernement serbe, aux liens étroits avec les populistes macédoniens et hongrois impliqués dans l'opération, l'article de Politika omettait opportunément la Serbie dans sa description de l'itinéraire emprunté par le fugitif.

Tandis que de nombreux médias balkaniques reprirent l'article tel quel, d'autres prirent exceptionnellement la peine de vérifier et déconstruire l'information de l'intérieur. L'agence macédonienne Meta a ainsi révélé [4] que Malev avait cessé ses opérations depuis 2012 [5].

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Illustration du fact-check (vérification des faits) de l'article de Politika “Exclusif : Gruevski a fui par l'Albanie” par Raskrikavanje.rs, utilisée avec autorisation. L'article mêlait le vrai (il a bien été en Albanie) et le faux (il a pris l'avion au lieu de voitures pour traverser la Serbie) pour égarer le public sur sa piste.

Le site serbe de vérification des médias Raskrikavanje.rs a poursuivi le démontage de l'article de Politika [7]en établissant que l'unique vol de Tirana à Budapest sur n'importe quelle compagnie le 13 novembre partait tard le soir, et était opéré par la compagnie à bas coût Wizz Air. Gruevski ayant lui-même annoncé sur Facebook [8] aux alentours de 13h10 ce même jour sa présence à Budapest, il aurait été impossible qu'il ait pris le vol Wizz Air ou tout autre vol depuis Tirana.

L'article en question a été retiré du site web de Politika sans explication. Mais le site macédonien CriThink – Pensée critique pour un usage judicieux des médias [9] a conservé une capture d'écran de la page [10] dans le cadre de sa vérification de faits. A côté de son analyse de l'information, CritThink a pointé que l'auteur anonyme de l'article trompeur n'avait pas cité la moindre source à l'appui de ses assertions.

За ниедна информација во написот, или за ниедно тврдење нема наведено од каде тие потекнуваат и кој ги дал информациите. Нема ни повикување на анонимни извори – било официјални или неофицијални, што, исто така, дополнително го зголемува сомневањето дека она што е објавено е, всушност, невистина.

Il n'y a pas un seul élément d'information dans l'article, pas une seule affirmation qui indique la source dont elle émerge ou l'individu qui l'a fournie. Ils ne disent même pas qu'il y a eu des sources anonymes – officieuses ou officielles, ce qui en plus suscite des doutes si ce qui a été publié était réellement véridique.

Gruevski s'est-il évadé déguisé en femme ?

Un autre morceau de désinformation répandu a été l'affirmation largement reprise que Gruevski avait traversé les frontières habillé en femme. Une thèse qui a inspiré d'innombrables mèmes, peut-être une revanche contre l'instrumentalisation par son gouvernement de la misogynie et de l'homophobie, ainsi que son maniement de propagande anti-LGBTI pour mobiliser ses soutiens.

Made in Hungary. M. Nikolas vole et détale.

La source de cette affirmation était un entretien donné par un professeur de droit macédonien bien connu, Vlado Kambovski, [15] au respectable site web SDK.mk le 14 novembre. A un moment où les détails de l'incident n'étaient pas encore connus, Kambovski a conjecturait que tout était possible, même l'extravagance d'un politicien macho conservateur s'affublant de vêtements de femme pour échapper à la loi.

Големиот херој и патриот Никола Груевски, кој можеби и во женски алишта се скри и побегна од Македонија, стори двоен прекршок покрај кривичното дело за кое е осуден на двегодишна затворска казна која требаше да ја издржува… Тој со бегството си ја зацементира вината.

L'[auto-proclamé] grand héros et patriote Nikola Gruevski, qui s'est peut-être déguisé en femme et a fui la Macédoine, a ajouté un double outrage au crime pour lequel il a été reconnu coupable et condamné à deux ans de prison qu'il était supposé purger… Par sa fuite il a donné une preuve en béton de sa culpabilité.

Plusieurs médias hongrois ont pris cette saillie à la lettre et ont publié des articles aux titres sensationnalistes affirmant que Gruevski avait réellement passé les frontières habillé en femme [16], citant SDK comme la source de l'information.

Ajoutant un niveau supplémentaire d'enfumage, certains médias macédoniens ont amplifié la désinformation provenant de ces sources avec des manchettes comme “Les médias hongrois disent que Gruevski a franchi la frontière habillé en femme [17].” Ces médias se sont reposés si lourdement sur ces sources de troisième main que cela les a empêchés de réaliser que la rumeur était en fait née dans leur propre pays.

Le gouvernement Gruevski, qui a régné sur la Macédoine de 2006 à 2017, a lourdement investi dans la propagande et la désinformation. Une grande partie de l'infrastructure mise en place, y compris certains médias alliés, est toujours en place et continue à manipuler l'information qui souvent croît en sensationnalisme et inexactitude avec les allers-retours de part et d'autre des frontières dans la région.

Les journalistes et les opérations de vérification des faits ont du pain sur la planche pour les démonter. Il n'en reste pas moins que le flux de fausses affirmations et contre-affirmations érode la confiance du public dans le journalisme comme pilier de la démocratie, et enfonce plus profondément les gens dans l'apathie politique.