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Après l'attaque sanglante d'une figure de l'opposition, les critiques du pouvoir serbe craignent une descente dans le fascisme

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Serbie, Dernière Heure, Droits humains, Gouvernance, Médias citoyens, Politique
Borko Stefanović

L'homme politique serbe Borko Stefanović montre sa chemise ensanglantée lors d'une conférence de presse le 24 novembre 2018. Source photo : profil Twitter de Alliance for Serbia [1].

Dans la soirée du vendredi 23 novembre 2018, des voyous masqués armés de battes et de barres de fer ont attaqué Borko Stefanović, le président du parti de la Gauche serbe et cofondateur de la coalition d'opposition Alliance pour la Serbie.

Selon le site d'information Istinomer Vesti [2], les voyous masqués ont également violemment battu deux militants du parti de la Gauche serbe. Boban Jovanović a eu deux dents cassées et la lèvre fendue, tandis que Marko Dimić a subi de multiples coups à la tête. Tous trois ont dû être hospitalisés aux urgences. Stefanović et les militants du parti devaient participer à un événement politique dans la ville de Kruševac en Serbie centrale.

Selon le communiqué publié par la Gauche serbe :

“A group of attackers armed with rods intercepted Stefanović in front of Local Community Rasadnik in Kruševac, pinned him to the asphalt and brutally beat him. After Jovanović and Dimić tried to aid him, the attackers assailed them as well.”

Un groupe d'agresseurs armés de bâtons a intercepté Stefanović devant le jardin communautaire local de Kruševac, l'a plaqué au sol et l'a brutalement passé à tabac. Quand Jovanović et Dimić ont voulu lui venir en aide, les assaillants les ont attaqués eux aussi.

En apprenant l'agression, membres de l'opposition et simples internautes sont allés sur les médias sociaux pour alerter l'opinion sur ces faits. En particulier, ils ont partagé des photos de la scène du crime. L'ancien maire de Belgrade Dragan Djilas [3] a tweeté :

L'agression contre Borko est une attaque contre tous ceux qui pensent librement et différemment de ce gouvernement. Les appels au lynchage lancés par Aleksandar Vučić et ses médias ont déclaré l'ouverture de la chasse contre nous tous. L'agression contre Borko est une conséquence directe du climat délétère dans lequel nous sommes tous contraints de vivre.

Selon Srđan Milivojević du Parti démocrate (DS), l'événement auquel Stefanović et les militants étaient supposés assister était un forum public régulièrement programmé de l'Alliance pour la Serbie, en présence de ses dirigeants, de sorte que l'agression visait également les adhérents du mouvement Dveri, du DS, du Parti populaire et d'autres partis. Milivojević a déclaré au journal Danas [6] que trois personnes de plus ont été blessées dans l'attaque.

L'Alliance pour la Serbie a affirmé que l'attaque était une conséquence de la campagne de calomnies orchestrée quotidiennement par le gouvernement du Président Aleksandar Vučić contre ses adversaires politiques.

Le soir suivant, la police serbe annonçait [7] l'arrestation de deux suspects identifiés seulement par leurs initiales et leurs âges : M.Ž. (30) et D.G. (31). Les suspects resteront 48 heures en garde à vue, après quoi ils seront présentés au procureur compétent qui fixera les charges criminelles appropriées.

Avant même que la police fasse son annonce, le Président Vučić avait tenu une conférence de presse pour révéler l'arrestation des agresseurs. “L’État a réagi en urgence et a fait son travail, montrant que la Serbie n'est pas une république bananière [8] dans laquelle on peut taper quelqu'un pour une raison quelconque”, a dit M. Vučić, ajoutant qu'il n'était pas habilité à exiger un verdict plus grave, ce qui constituerait une ingérence dans l'indépendance du pouvoir judiciaire.

A la conférence de presse [9] tenue par l'Alliance pour la Serbie le samedi matin, Borko Stefanović, apparu portant un bandage, a déclaré que l'incident devait être considéré comme une tentative d'homicide, car les attaquants l'ont intentionnellement frappé à l'a nuque avec des barres métalliques, puis lui ont donné des coups de pieds bottés sur la tête. “Tout était prémédité et organisé”, a-t-il dit.

Stefanović a montré aux journalistes la chemise ensanglantée qu'il portait au moment de la violente agression. Exprimant sa gratitude pour les innombrables soutiens de ses confrères et collaborateurs, il a affirmé : “Nous nous battrons pour faire en sorte que la Serbie ne reste pas un pays de chemises ensanglantées, et un pays où on verse le sang de ceux qui pensent autrement que le régime.”

De nombreux utilisateurs serbes des réseaux sociaux ont vu dans l'attaque une indication de la descente du pays dans un fascisme non dissimulé. Faisant le parallèle avec la trajectoire du parti nazi [10] en Allemagne, le réalisateur de cinéma renommé Srđan Dragojević a tweeté [11] “nous entrons en 1936,” une période d'entrelacement du parti et de l’État.

Quand des gens ont mis en garde que c'est du fascisme, vous avez seulement ri d'eux.

D'autres ont partagé des comparaisons similaires, évoquant les purges par les Nazis de leurs compatriotes désignés comme indésirables :

Quatre individus avec des barres métalliques ont attaqué Borko Stefanović. Ils n'y arrivent pas avec des arguments, alors ils passent à la liquidation physique. Une nuit de Cristal [14] est descendue sur la Serbie.

Dans les années 1990, l'actuel président serbe Aleksandar Vučić était le ministre de l'Information du dictateur Slobodan Milošević. Les comparaisons entre les deux régimes ont aussi foisonné.

La différence entre les gouvernements de Slobodan Milošević et Aleksandar Vučić est que Milošević utilisait la police et les services de sécurité pour s'occuper des gens en désaccord avec lui. Mais Vučić s'est entouré de criminels, de hooligans du football, de faux patriotes et de petites frappes de toute sorte. L'opposition doit en prendre acte, et ôter pour de bon les ‘gants blancs’.

A la conférence de presse du samedi, Borko Stefanović a fait écho [16] partiellement à ce discours. “C'est ensemble que nous devons nous débrouiller ! Ils nous guettent dans le noir. Si nous sommes ensemble, ils ne pourront pas nous attaquer de façon aussi lâche et fasciste, par derrière”, a-t-il déclaré.