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Les activistes remportent la lutte pour l’accès à l’eau potable en Macédoine malgré des années de déni par l'ancien gouvernement populiste

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Macédoine, Censure, Cyber-activisme, Développement, Economie et entreprises, Good News, Idées, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique, Santé
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L'événement promotionnel pour la marque parodique d'eau minérale “Arsena, l'eau enrichie en arsenic, directement depuis les robinets de Gevgelija” à Skopje le 17 février 2014. Photo : Vanco Dzambaski, CC BY-NC-SA.

[Article d'origine paru le 11 novembre 2018]

La lutte des activistes en Macédoine qui mettaient en garde contre la contamination de leur eau potable par l’arsenic aura duré plusieurs années. Mais les militants peuvent désormais crier victoire : un nouveau système d’approvisionnement en eau vient d’être construit dans la municipalité méridionale de Gevgelija.

Le 7 novembre 2018, les autorités ont inauguré une nouvelle infrastructure d'approvisionnement en eau qui recueille de l'eau de trois nouveaux puits et comprend une station d'épuration des eaux ainsi que des canalisations. D’après le site d’actualités locales Gevgelijanet.com [2], ce système fournira de l'eau potable pour 19 500 habitants des zones voisines.

Cette infrastructure, d’un coût de 1,7 million d'euros, résout enfin le problème de l'arsenic toxique qui s’infiltrait dans l'eau potable. Cette pollution avait commencé 15 ans plus tôt : suite à un tremblement de terre, des roches riches en arsenic étaient entrées en contact avec la nappe phréatique.

C’est pour dénoncer cette contamination que le groupe « Arsena » s’est formé, composé d'activistes locaux qui tentaient d'alerter le public sur la toxicité de l'eau depuis plusieurs années. Assimilés à des agitateurs par le régime populiste de droite qui régnait de 2006 à 2017, les activistes étaient persécutés du fait de leurs actions.

Même si l'Institut de la santé publique de la République de Macédoine avait établi en 2012 que l'eau était dangereusement toxique, les autorités politiques refusaient d'admettre l'existence d'un problème d'approvisionnement en eau. La priorité du parti populiste VMRO-DPMNE, à l'époque au pouvoir, était de conserver l'image d'un pays qui prospérait sous leur régime au lieu de résoudre les problèmes bien réels qui nuisaient à la qualité de vie, comme la pollution de l’air [3] et de l'eau. C'est pourquoi, tant la municipalité que l’État niaient tout problème, et affirmaient que tous ceux qui osaient dire le contraire n'étaient que des pions de l'opposition.

Arsena [4] a mené des analyses complémentaires de l'eau du robinet dans plusieurs laboratoires différents en 2014 et a voulu en publier les résultats. Le gouvernement a réagi en les traitant en pestiférés et en les soumettant à diverses formes de harcèlement au long des années, avec des campagnes de calomnies et  des inspections malveillantes pour empêcher leur travail [5]. Qui plus est, la plupart des médias locaux ont censuré (de leur propre initiative) toutes les informations fournies par les militants. Une censure tellement béton que même les entreprises d'affichage publicitaire refusaient de leur louer des espaces [6] pour rendre publics les résultats d'analyses.

En vue de transmettre leurs éléments à leurs audiences locales, les militants ont dû recourir à des méthodes détournées et à une diffusion de l'information en premier au niveau national. Pour cela, le 17 février 2014, ils ont organisé une conférence de presse dans la capitale, annoncée non pas comme une initiative de la société civile (celles-ci étant généralement passées sous silence par les médias), mais comme la présentation commerciale d'une nouvelle marque d'eau minérale : Arsena.

Quand les journalistes des médias nationaux sont arrivés à l'événement “d'entreprise”, les militants leur ont proposé des bouteilles en plastique d'eau provenant de l'approvisionnement de Gevgelija. Ils expliquèrent que la marque avait pour nom Arsena à cause du niveau élevé d'arsenic dans l'eau, et invitèrent chacun à goûter l'eau consommée quotidiennement par les habitants de Gevgelija. Ils présentèrent également les résultats des mesures scientifiques, ainsi que les données médicales indiquant les taux élevés de cancers et de mortalité dans la zone, probablement liés à la toxicité de l'eau.

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Une militante prépare la promotion d'une marque parodique d'eau minérale, “Arsena”, avec des bouteilles remplies d'eau du robinet de Gevgelija, contenant des niveaux dangereusement élevés d'arsenic. Février 2014, centre de Skopje, Macédoine. Photo : Vancho Dzhambaski, CC BY-NC-SA.

Seule une télévision nationale a couvert l'événement, mais cela a suffi pour que les habitants de Gevgelija en entendent parler, et se précipitent dans les magasins du coin pour acheter de l'eau en bouteilles.

Dans les années qui ont suivi, les militants ont fait avancer le dossier par tous les moyens possibles, lançant des pétitions [8] et des actions pour distribuer de l'eau en bouteilles aux classes socio-économiques défavorisées [9]. Ils se sont aussi battus pour d'autres causes sanitaires [10].

Progressivement, les activistes ont réussi à vaincre le déni des autorités. Si elles n'ont jamais admis la toxicité de l'eau potable, elles ont néanmoins annoncé l'ouverture de nouvelles stations de traitement de l'eau. Plusieurs mois après ce coup publicitaire dans la capitale, le gouvernement local de Gevgelija a organisé une cérémonie d'inauguration pour un nouveau puits. Cependant, le chantier est resté à l'abandon pendant les trois années qui ont suivi.

Grâce à un nouveau projet [11] cofinancé par le gouvernement de Macédoine, l'Union Européenne et la Banque Mondiale, la construction effective du nouveau système d'approvisionnement en eau a commencé en février 2017. La même année des élections locales ont eu lieu qui ont mis en place une nouvelle équipe municipale dont l’un des principaux objectifs étaient les problèmes d'approvisionnement en eau. L'infrastructure fut alors achevée en novembre 2018.

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Collage de photos de l'inauguration de la nouvelelle installation d'approvisionnement en eau de Gevgelija, Macédoine, fourni par Gevgelijanet.com, utilisation autorisée.

Comme à leur habitude, c’est tout en modestie que les activistes de l'action Arsena ont fêté cette victoire en publiant la déclaration suivante [12] qui accompagnait la bonne nouvelle sur leur page Facebook.

АРСЕНА си ја заврши својата превземена граѓанската задача – поттикна една локална власт да го признае постоењето на отровниот арсен во гевгелиската вода (за кое четири години лажеше дека не постои) и да започне проект за нов водоснабдителен систем, а новата локална власт тоа го препозна како проектен приоритет за гевгеличани и го заврши проектот со сите неопходни додатни средства вложени за изведба на констатирани недостатоци во проектот, неопходни за целосно функционирање на истиот.

Чиста вода за пиење без арсен е новиот подарок за гевгеличани по повод 74 годишнината од ослободувањето на Гевгелија и денот на општина Гевгелија „7-ми Ноември“.

Arsena a rempli la mission civique dont elle avait pris l'initiative. Elle a poussé un gouvernement local à reconnaître la présence d'arsenic toxique dans l'eau à Gevgelija (après quatre années de mensonge affirmant le contraire) et à lancer un projet pour un nouveau système d'approvisionnement en eau. Le nouveau gouvernement local a reconnu que c'était une priorité pour les citoyens de Gevgelija et a fini le projet en fournissant le complément d'investissement pour corriger les lacunes du projet et permettre au système de fonctionner.

En ce 7 novembre, jour du 74ème anniversaire de la libération de la ville [pendant la seconde guerre mondiale] qui est également le Jour de la municipalité, un cadeau attendait la population de Gevgelija : de l'eau potable saine sans arsenic.