Les organisations de la société civile critiquent la nouvelle législation qui limite les droits civils en Bulgarie

Гражданский протест в Софии, Болгария. Фото: Тихомира Методиева - Тихич. Используется с разрешения.

Manifestation citoyenne à Sofia, Bulgarie. Photo: Tikhomira Metodieva, reproduction autorisée.

Cet article se base sur le texte «Moins de droits pour les citoyens»  pour le web-journal régional BlueLink, qui couvre l'Europe centrale et l'Europe de l'Est. Il est reproduit ici dans le cadre d'un partenariat avec Global Voices.

En juin 2014, la société civile bulgare a obtenu une victoire importante en matière de protection de la nature et de l’État de droit : la Cour administrative suprême du pays a finalement refusé un permis environnemental à un nouveau dépôt de déchets radioactifs sur le site de la centrale nucléaire de Kozlodouy. Pourtant, avec la réforme du Code de procédure administrative bulgare (APC) votée en septembre 2018, qui permet des audiences à huis clos, relève le coût des procédures en appel et en supprime certaines, beaucoup craignent que ces victoires de la société civile n'appartiennent désormais au passé.

Un droit civil vieux de 150 ans abrogé

Les Bulgares ont obtenu en 1868 l'accès à la cour d'appel, une instance introduite par le pouvoir ottoman. Cent cinquante ans plus tard exactement, des amendements à l'APC adoptés le 25 juin 2018 privent les citoyens de l'accès aux plus hautes instances dans certains cas, notamment dans celui de projets représentant un «intérêt national», et dans des dossiers hautement prioritaires pour le gouvernement. Selon la nouvelle loi, les taxes d’État sont calculées comme des intérêts matériels fractionnés, et les frais de justice pour les procédures en appel augmentent de 14 fois pour les personnes physiques et morales, et de 74 fois pour les personnes morales à but non lucratif.

C'est la première fois dans l'histoire de la justice administrative que les citoyens qui souhaitent être défendus dans ces affaires auront à payer environ 4.500 levs (2.250 euros). La possibilité d'audiences à huis clos a également été introduite. Le contrôle de la légalité de certains actes gouvernementaux a aussi été transféré aux tribunaux administratifs locaux.

«Les citoyens contre la mafia», un slogan porté par ces militants qui protestent contre les modifications du droit administratif devant le Parlement, à Sofia. Photo: Tikhomira Metodieva, reproduction autorisée.

L'argument en faveur de cette dernière modification? Décharger les juges de la cour suprême d'un fardeau «démesuré» ainsi que des «abus de certaines ONG». Le président de la commission juridique du parlement Danaïl Kirilov a présenté les nouvelles dispositions légales comme «un premier pas vers un allègement du poids de la bureaucratie pour les citoyens et les entreprises».

Des motivations dont certains doutent pourtant, affirmant qu'il s'agit plutôt de compliquer la tâche aux groupes de la société civile qui voudraient porter certaines affaires devant les tribunaux.

En septembre dernier, plus de 50 organisations de la société civile, parmi lesquelles BlueLink, ont fait paraître une lettre ouverte [en bulgare] demandant au président de mettre son veto à la réforme de l'APC. Le principal initiateur en était le Programme bulgare d'accès à l'information (Access to Information Program, AIP), un groupe qui se bat depuis vingt-deux ans pour les droits des citoyens à accéder à l'information.

Cette lettre ouverte mentionne un manque de transparence exceptionnel et des irrégularités de procédure lors de l'adoption du projet de loi. Aucune étude ni évaluation sur la capacité des tribunaux ou les éventuels problèmes de plaintes abusives n'a été faite, est-il expliqué dans l'exposé des motifs. Le document souligne aussi qu'aucune réponse n'a été apportée à la question suivante : pourquoi, alors que le nombre de dossiers a baissé depuis cinq ou six ans et que le nombre de juges a augmenté, le calendrier est-il beaucoup plus lent pour les affaires qui arrivent devant la Cour suprême?

Le spécialiste de droit de l'environnement et militant des droits de l'homme Alexandre Kachoumov est convaincu que la nouvelle législation affaiblit les droits démocratiques des citoyens bulgares. Photo: Fonds «Programme d'accès à l'information». Reproduction autorisée.

Selon les termes de Me Kachoumov, qui dirige le département juridique du Programme d'accès à l'information, ces amendements sont le coup le plus sévère porté aux droits des citoyens depuis plus de vingt ans. «C'est une question de contrôle judiciaire, sur lequel sont basés les droits fondamentaux de la personne — taxes, permis, projets, etc.», explique-t-il.

Le président bulgare Roumen Radev a lui aussi mis en question les récents amendements à l'APC, arguant que «c'est dans les relations des citoyens et des personnes morales avec les organes de l'État que le manque de justice se fait le plus sentir».

Le président Radev est en désaccord avec les nouvelles dispositions sur les délibérations à huis clos. Selon les paroles du chef de l’État, le principe de l'audience publique a une fonction double. D'une part, il garantit des délibérations équitables, où les parties ont le droit non seulement d'être présentes en personne mais aussi d'être protégées des dérives d'une justice qui se tiendrait à l'abri des regards. D'autre part, ce principe assure aux citoyens la réception et la diffusion de l'information.

Pour justifier son veto, M. Radev a également exprimé la crainte que l'augmentation des frais limite considérablement les possibilités, pour les citoyens et les personnes morales, de porter plainte en cas d'acte illégal de l'administration. Il se dit aussi particulièrement préoccupé par le fait que le coût d'une procédure en appel pour contester une décision de justice dans le cadre d'une affaire impactant l’environnement est désormais entièrement laissé à l'appréciation de la cour. Quant à l'introduction d'une taxe proportionnelle, elle rendra ces procédures financièrement inaccessibles.

Le 13 septembre, l'assemblée nationale a rejeté le veto de M. Radev à une écrasante majorité. Avec 146 voix pour, 69 contre et aucune abstention, les députés ont largement soutenu ces modifications. Les représentants du Parti socialiste bulgare, dans l'opposition, ont aussitôt fait part de leur intention de saisir la Cour constitutionnelle.

L'annulation de l'étude dl'impact sur l'environnement du nouveau site de stockage des déchets radioactifs de la centrale nucléaire bulgare de Kozlodouy (photo Gogo89873 / Wikipédia) fait partie de ces cas où la justice administrative a fait obstacle aux droits de la personne et aux principes de la défense de l'environnement.

Commentant les nouvelles dispositions, Me Kachoumov a averti que les administrations locales auraient désormais plus facilement gain de cause contre les simples citoyens. Il estime que le coût plus élevé des procédures en appel, l'annulation de certains recours et les audiences à huis clos ne servent qu'un seul but : ménager la possibilité d'un arbitraire administratif et d'un régime à tendances tyranniques.

Dès 2017, des représentants de la société civile bulgare tel le Programme d'accès à l'information (AIP) se sont prononcés contre ces amendements au Code de procédure administrative. Ils continuent à penser que cette décision aura des effets négatifs durables sur l’État de droit dans le pays. Nous suivrons attentivement les prochains développements pour savoir qui va payer la facture.

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