La France recherche trois responsables syriens de haut rang pour le meurtre de binationaux franco-syriens

Mazen Dabbagh (à droite) et son fils Patrick (à gauche). Image largement partagée sur les réseaux sociaux, utilisation autorisée.

Dans une rare décision saluée comme le signe avant-coureur d'une nouvelle ère de justice pour les victimes de crimes de guerre et crimes contre l'humanité en Syrie, des juges français ont émis des mandats d'arrêt en novembre 2018 à l'encontre de trois responsables de haut rang du renseignement syrien, sur des charges de ‘complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité’.

Les trois fonctionnaires sont recherchés en lien avec la détention et la disparition subséquente de deux ressortissants franco-syriens : Mazen Dabbagh et son fils Patrick. Ceux-ci ont été arrêtés par des agents des services de renseignement de l'armée de l'air syrienne en novembre 2013 et détenus à la base aérienne de Mezzeh. La famille Dabbagh a été informée officiellement par la suite que Mazen et Patrick étaient morts en détention respectivement en novembre 2017 et janvier 2014.

La guerre en Syrie laisse un sillage sinistre de mort et de destruction. Les estimations chiffrent les disparus depuis mars 2011 à plus de 95.000, dont plus de 80.000 que l'on croit disparus de force par le régime syrien. Beaucoup sont morts en détention sous la torture brutale dans les tristement célèbres prisons et centres de détention de l’État.

Les magistrats français ont émis des mandats d'arrêts contre le Major général Ali Mamlouk, Abdul-Salam Mahmoud, et Jamil Hassan.

Le Major général Ali Mamlouk est né à Damas en 1946. Mamlouk est un nom familier de la répression utilisée pour mater le soulèvement populaire syrien de 2011. Il a été le directeur des renseignements de l'Armée de l'air de 2003 à 2005 après avoir gravi les échelons pendant le règne de feu Hafez Assad et l'ascension au pouvoir de son fils Bachar Al-Assad.

En 2005, Assad [fils] l'a nommé à la tête du Département de sécurité générale pendant la période politiquement chargée qui a suivi l'assassinat de l'ancien Premier Ministre libanais Rafik Hariri, généralement attribué au régime syrien.

Les organisations de droits humains lui prêtent la supervision de l'arsenal chimique de la Syrie, et de son utilisation contre les prisonniers politiques détenus à Palmyre entre 1985 et 1995.

A la suite de l'attentat à la bombe contre la ‘cellule de crise’ à Damas en juillet 2012, Mamlouk fut nommé directeur du Bureau national de sécurité, en remplacement de Hisham Bakhtiyar décédé des suites de ses blessures lors de l'attentat.

Un ancien ministre libanais de l'Information, Michel Samaha, a reconnu avoir été payé par Mamlouk pour faire assassiner des personnalités politiques libanaises. Des juges libanais délivrèrent un mandat d'arrêt contre Mamlouk le 4 février 2013.

En 2015 des rumeurs affirmaient qu'il projetait de faire défection, et avait été placé aux arrêts domiciliaires. D'autres rumeurs le disaient malade et mourant dans un hôpital de Damas. Des rumeurs qu'il infirma en se rendant à Djeddah (Arabie saoudite), et à Mascate (Oman). Il est aussi allé à Rome, en Italie fin février 2018, au mépris des sanctions de l'Union européenne (UE) de mai 2011 qui lui imposaient une interdiction de voyager et un gel de ses avoirs en lien avec des accusations d'orchestrer les violences contre les contestataires du pouvoir syrien.

Abdul-Salam Mahmoud a été nommé directeur de la branche des renseignements de l'Armée de l'air en 2010. Il est impliqué dans les tueries de civils syriens, entre autres des victimes du massacre de Saïda en avril 2011, parmi lesquels Hamza al-Khatib, un garçon de 13 ans dont le corps mutilé après son arrestation devint ensuite un symbole de la révolution syrienne et le visage de la brutalité du régime contre les contestataires. Mahmoud est sous sanctions de l'UE depuis 2012.

Jamil Hassan est né à Qarniya, dans la campagne de Homs, en 1952. Il a été nommé directeur du renseignement de l'armée de l'air en 2009. Auparavant, il gérait la branche Syrie de l'Est des renseignements de l'Armée de l'air pendant l'année 2009 et était l'officier du renseignement de l'Armée de l'air de l'a base aérienne de Mezzeh depuis 2007.

Le nom de Hassan est étroitement lié à la répression violente des manifestations en 2011. Il a été cité une fois suggérant dans un rare communiqué de presse  que Bachar aurait dû copier la tactique brutale utilisée par son père dans le massacre de Hama dans les années 1980.

En juin dernier, l’Allemagne a également émis un mandat d'arrêt international à l'encontre de Hassan. Le magazine allemand Der Spiegel a rapporté que les procureurs l'accusaient de superviser les crimes commis par la sécurité syrienne, soit la torture, le viol et le meurtre de centaines de personnes entre 2011 et 2013.

Des mandats d'arrêt symboliques ?

Mohammad Al-Abdullah, un militant des droits humains et directeur général du Syria Justice and Accountability Centre (Centre pour la justice et la reddition de comptes en Syrie), a dit à Global Voices que ces mandats sont des outils de pression sur les agents du régime :

These warrants are symbolic up to a point. They serve more as a tool of pressure than a means of criminal prosecution, as the possibility of the three officials visiting Europe is very unlikely. Some opine that the warrants would diminish their role in Syria’s future and spell an end for their political life, and that negotiations shall exclude them from security posts during the interim phase. There are no guarantees that this would be the case, though. Until now, these opinions are mere wishful thinking.

Ces mandats sont symboliques à un certain degré. Ils servent plus d'outil de pression que de moyen de poursuite pénale, puisque l'éventualité que ces trois responsables se rendent en Europe est très improbable. Certains font remarquer que les mandats vont réduire leur rôle dans la Syrie future et annoncent la fin de leur vie politique, et que les négociations les excluront de postes sécuritaires pendant la phase intérimaire. Rien ne garantit cependant que ce pourrait être le cas. Jusqu'à présent, ces opinions restent des vœux pieux.

La Syrie n'est pas signataire du Statut de Rome, et pour cette raison, les tentatives de saisine de la Cour pénale internationale se sont heurtées à chaque fois au veto de la Russie et de la Chine, deux puissances disposant du droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU, et alliées fidèles d'Assad. Ce qui fait obstacle à la possibilité d'une enquête sur les crimes de guerre en Syrie et de la traduction en justice de leurs auteurs.

Il ne reste alors  guère d'autre choix aux familles de victimes que la juridiction extra-territoriale, définie comme la capacité d'un État à exercer une compétence juridique au-delà de ses frontières nationales. Des activistes syriens et des familles de victimes ont entrepris des actions en justice hors de Syrie dans leurs pays de résidence, en Allemagne, Suède et France.

En août 2010, le parlement français a adopté une loi donnant aux tribunaux français la juridiction sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis dans un autre pays. Aux termes de la loi française, tout suspect trouvé sur le territoire français peut être poursuivi et jugé en France sur des charges de torture. C'est pourquoi les victimes de torture et de disparition forcée peuvent saisir un procureur français d'une plainte quel que soit leur pays de résidence.

Toutefois, l'espoir s'amenuise d'obtenir justice et réparation. En juillet 2018, le gouvernement syrien a publié des avis de décès de détenus politiques à un rythme sans précédent, invoquant pour causes des décès des “crises cardiaques”.

Ces mandats d'arrêt secoueront peut-être l'apathie sur le sort de dizaines de milliers de victimes de guerre syriennes. Rendre des comptes est essentiel pour raccommoder la Syrie déchirée par la guerre, et beaucoup espèrent que les mandats seront un pas courageux dans cette direction.

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