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Le rapatriement des réfugiés rohingyas par le Bangladesh, remis à plus tard, aurait encore empiré leur situation déjà désespérée

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Myanmar (Birmanie), Action humanitaire, Droits humains, Ethnicité et racisme, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Réfugiés, Relations internationales
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Lombasia, un quartier du camp de réfugiés de Kutupalong. Image de l’auteur sur Instagram.

[Article d'origine publié sur GV en anglais le 15 novembre 2018] L’année 2018 a été le témoin d'événements mettant continuellement en lumière la situation désespérée des Rohingyas [2]. En mars, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme au Myanmar (nom officiel de la Birmanie) a décrit [3] la crise comme portant les « caractéristiques d'un génocide ». Cinq mois plus tard, la mission internationale d’enquête indépendante a accusé le Myanmar d’avoir « un projet de génocide ». Elle l'a reconnu aussi coupable de crimes contre l’humanité [4] et de crimes de guerre. Et en octobre, la Birmanie a connu un autre revers lorsque la Cour pénale internationale a décidé [5] qu’elle pouvait exercer sa compétence à l’égard du crime de déportation des Rohingyas de Birmanie au Bangladesh.

Les groupes de défense des Rohingyas, confiants, s'autorisèrent à estimer que ces évolutions étaient un signe de progrès. Puis soudainement, en l’espace d’un mois, pour 1,1 million de réfugiés rohingyas au Bangladesh [6], les perspectives ont changé. Brusquement, mais sans surprise lors d'une année électorale, le gouvernement du Bangladesh a décidé d'appliquer l'accord sur le rapatriement [7] qu'il avait signé avec la Birmanie en janvier 2018.

Le rapatriement des réfugiés rohingyas devait initialement commencer le jeudi 15 novembre. Mais apparemment des manifestations de réfugiés [8] dans un camp près de la frontière entre le Bangladesh et la Birmanie ont conduit au report [9] du projet. Face à la possibilité d'un retour forcé [10] en Birmanie, les réfugiés ont été très inquiets et affolés. Car des informations constatent [11] en effet que la Birmanie n'est pas encore prête à les accueillir. La décision a été qualifiée de dangereuse [12] à la fois par le Haut commissaire pour les droits de l'homme et plusieurs organisations humanitaires [13] venant en aide aux réfugiés.

Le commissaire à l'assistance et au rapatriement des réfugiés du Bangladesh a déclaré que deux camps de transit ont été créés à Kerontali et à Ghumdum, Naingkongchori. Ils se préparent au rapatriement des Rohingyas.

Avant le rapatriement des Rohingyas, la sécurité des personnes, les droits de citoyenneté, les droits de l'homme et les autres droits basiques doivent être garantis.

Si les musulmans rohingyas retournés au Myanmar sont internés dans des camps, l'organisme des Nations Unies pour les réfugiés ne fournira pas d'aide humanitaire. Il suit en cela la circulaire interne diffusée des jours avant le début du rapatriement initial.

Ce n'est pas la première fois que le rapatriement involontaire a été envisagé et mis en œuvre dans un tel contexte. L'année dernière, des centaines de milliers de Rohingyas ont fui l'État de Rakhine. Les conditions ne sont donc pas favorables. L'article que nous reprenons ci-après, publié par le Dhaka Tribune le 6 juillet 2017 [24] et toujours d'actualité, résume quarante longues années d'histoire.

Tolérance face à l'injustice

En traversant à pied le camp de réfugiés de Kutupalong [25] vous pouvez avoir envie de démanteler l'ensemble des institutions, des pratiques, et des associations qui ont construit le site. Car il vous sera impossible de comprendre comment des personnes peuvent tolérer le genre d'incohérence et d'injustice que vous constatez autour de vous. Si vous êtes Bangladais(e) et que vous réalisez que ce camp fait partie de votre pays, vous trouverez difficile de concevoir que des motivations ou des incitations puissent pousser les pouvoirs et autres forces variées à créer et maintenir un tel lieu. Même si vous voyez Kutupalong comme une étape du drame qui s'est déroulé dans l'histoire récente, vous questionnerez le sens de telles opérations répétitives et coûteuses.

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Mares fétides, eau stagnante, parsèment les camps de réfugiés rohingyas au Bangladesh. Image de l'auteur sur Instagram.

Les crimes contre l'humanité [27] du Myanmar [nom officiel de la Birmanie] et les crimes contre la paix peuvent ne pas avoir encore été correctement débattus au sein des enceintes internationales. Mais qui prendra en compte et soutiendra que les crimes perpétrés par le Mynamar [28] se sont multipliés dans des endroits comme Kutawpalong—un lieu qui est supposé fournir un refuge à une population vulnérable ?

Ici, au Bangladesh, oublier, ignorer ou contourner ce qui est soit désagréable soit difficile, au profit de tout ce qui va à l'encontre des principes fondamentaux de l'humanité et du droit international est une faculté ahurissante. Remontons à la fin des années 70 avec le premier exode massif [29] de plus de 200 000 réfugiés. Human Rights Watch déclarait dans son rapport de 1996 [30] :

Expecting to find protection, these refugees only found further persecution by a (Bangladeshi) government that was as keen to see the back of them as their own. Over 12,000 refugees starved to death as the Bangladesh government reduced food rations in the camps in order to force them back, and following a bilateral agreement between the two governments, the majority of refugees were repatriated less than 16 months after their arrival.

Espérant obtenir une protection, ces réfugiés trouvèrent uniquement une nouvelle persécution par un gouvernement (celui du Bangladesh) qui était aussi désireux de les voir partir que le leur. En effet, le gouvernement bangladais a réduit les rations de nourriture dans les camps afin de les forcer à repartir. Plus de 12 000 réfugiés sont alors morts de faim. Ainsi, suivant un accord bilatéral entre les deux gouvernements, la majorité des réfugiés étaient rapatriés moins de 16 mois après leur arrivée.

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On voit un camp de réfugiés où se développent la pauvreté, l'apatridie, le racisme, l'égoïsme, la criminalisation, l'exclusion, la radicalisation, la contradiction. Et le déni ! Image de l'auteur sur Instagram.

En 1991, un autre grand exode s'est produit depuis le Myanmar. Puis en 1992 et 1993, de nombreux rapatriements forcés [32] eurent eu lieu, tout aussi impitoyables. Il y a eu des affrontements entre les réfugiés et les autorités bangladaises, [33] et même des morts. Les quelques 50 000 réfugiés qui ont été rapatriés ne pouvaient pas être suivis [34] par le UNHCR trois ans après. Un peu plus d'une décennie plus tard, en novembre 2004, de nombreux réfugiés rohingyas sont morts et des dizaines ont été blessés durant un autre épisode de rapatriement forcé [35] depuis les camps du Bangladesh.

Pour justifier ce plan d'action à l'égard de l'opinion et du monde, la première défense du gouvernement bangladais était la suivante : un pays pauvre, comme le Bangladesh, ne pouvait pas s'en sortir convenablement [36] avec un si grand nombre de réfugiés. Et même si la couleur politique du gouvernement a changé depuis, la substance du discours, de la réflexion et des déclarations politiques, elle, n'a pas évolué en quatre décennies. Le gouvernement bangladais est résolument déterminé [37] à renvoyer tous les réfugiés rohingyas. Au fil des années, ce gouvernement a trompé [38] l'UNHCR. Car il effectuait ses demandes en classant les Rohingyas en « migrants économiques » et non en demandeurs d'asile. Il s'ensuit alors que les besoins et les vulnérabilités des individus dans les camps n'entrent pas en ligne de compte. Ces personnes ont uniquement vocation à être renvoyées.

15 Rohingyas qui ont quitté Sittwe ont été arrêtés à Ann Tsp par les autorités pendant qu'ils se rendaient à Yangon le 12 novembre 2018. Source- Le gouvernement du Bangladesh doit stopper le rapatriement des Rohingyas vers le Myanmar car rien n'a changé dans l'État de Rakhine.

À maintes reprises nous avons vu que rapatrier les Rohingyas n'a jamais fonctionné, et pourtant dans 48 heures le rapatriement des Rohingyas du Bangladesh va commencer. Le rapatriement forcé et involontaire n'est plus un rapatriement, mais un refoulement. C'est illégal et un crime contre l'humanité.

A coup sûr, l'incapacité à encourager une prise de conscience des défaillances de cette méthode représente une des contre-performances insignes dans les annales de l'histoire des réfugiés. Il est incompréhensible que [en juillet 2017, le gouvernement de Sheikh Hasina] puisse encore voir le rapatriement comme un objectif, alors que tout prouve que ces afflux cycliques au Bangladesh sont ancrés dans la persécution pernicieuse par le Myanmar et dans le refus de la citoyenneté aux Rohingyas [49] alors qu'ils vivent dans le pays depuis des générations. S'ils sont renvoyés, les réfugiés rohingyas subiront une série d'exactions : meurtre, viol, torture physique, déménagement forcé, enfermement dans les camps, confiscation de la terre et de la propriété, travail forcé, limitations de l'accès à l'éducation [50], à l'emploi, et aux services publics, restrictions [51] au mariage, limitation de la pratique religieuse, destruction des mosquées,  etc…

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Saut à la corde au crépuscule. Il y a un terrain de jeu situé à une hauteur élevée dans le camp de réfugiés de Kutupalong. C'est toujours plein d'activités. Alignés sur un côté avec leurs petites boutiques vendant des boissons pétillantes, collations, cigarettes et paan. Image de l'auteur sur Instagram.

Pendant ce temps, des générations d'enfants apatrides grandissent dans les camps [53], dans la pauvreté, sans opportunités, sans aucune possibilité d'ascension sociale, et à la condition qu'aucune image ne pourra être transmise. Il faut vraiment visiter ces « camps » pour se rendre compte de l'ambiance exacte.

Il existe une différence entre le deuil et la mélancolie. Le deuil c'est accepter qu'une personne disparaisse et passer à autre chose. Avec la mélancolie, on n'accepte pas la perte, qui se trouve alors incorporée en soi au point de s'en souvenir constamment.

En traversant à pied Kutupalong, on ressent de la mélancolie, car cela convient parfaitement au gouvernement du Bangladesh.

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Un camp de réfugiés n'est pas un endroit pour éduquer un enfant. À tout âge, tout se révèle très difficile dans les camps de Rohingyas. Les afflux cycliques au Bangladesh s'expliquent par le refus du Myanmar d'accorder la citoyenneté aux Rohingyas et la persécution incessante qui leur est infligée. Image de l'auteur sur Instagram.