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Pour la première fois, une application de sécurité numérique est disponible en aymara grâce aux militants linguistiques boliviens

Catégories: Amérique latine, Bolivie, Cyber-activisme, Langues, Médias citoyens, Peuples indigènes, Technologie, Rising Voices

Les membres de Jaqi Aru, pendant un événement au sujet de la traduction de Orbot, l'application de sécurité numérique, à El Alto, Bolivie. Global Voices a interviewé le directeur exécutif de Jaqi Aru, Edwin Quispe Quispe (au premier rang : le troisième sur la droite), Rubén Hilare Quispe, secrétaire général (au dernier rang : troisième sur la droite) et la présidente Victoria Gimena Tinta Quispe (au premier rang : troisième sur la gauche). Photo de Localization Lab. Reproduction autorisée.

L'auteur de cet article est la Community Manager de Localization Lab. Elle a travaillé avec Jaqi Aru sur le projet consistant à traduire l'application Orbot en aymara.

En Bolivie, une communauté virtuelle de militants pour la langue amayra a traduit l'application de sécurité Orbot. Elle aide ainsi leur communauté à se protéger en ligne — et permet ainsi à leur langue d'être mieux représentée dans le cyberespace.

Orbot [1], une application téléchargeable sur Android, génère une connexion internet mobile privée en cryptant le trafic et en le cachant par rebond via une série d'ordinateurs à travers le monde. C'est une fonction utile lorsque vous accédez à des informations bancaires privées via le wifi public ou envoyez des informations personnelles en ligne.

Ce type d'application est pour la première fois disponible pour les locuteurs de langue aymara grâce à Jaqi Aru [2]. Depuis 2009, Jaqi Aru [2], une communauté de volontaires, promeut la traduction en aymara et la création de contenu en ligne. Les derniers projets du groupe incluent la traduction de l'interface de Facebook [3]. De plus, des articles traduits de Global Voices [4] ainsi que la promotion de la traduction et de la création de contenu en aymara sur Wikipedia  [5]sont actuellement en projet.

Pendant la traduction de Orbot, Jaqi Aru avait coordonné l'assistance de Localization Lab, qui travaille avec des communautés linguistiques à travers le monde afin de concevoir des technologies open source disponibles pour des publics locaux. Selon Dragana Kaurin, la directrice exécutive de Localization Lab, la traduction technique est tout autant une question de bon sens qu'une question de droits linguistiques :

Chaque utilisateur d'internet a besoin de veiller lui-même à sa protection en ligne, de la protection de ses mots de passe à celle contre les virus et de naviguer en toute sécurité sur le web. Mais parler de sécurité numérique peut créer des confusions chez beaucoup d'entre nous et ajouter une barrière linguistique de plus empêchant la population d'accéder à une technologie indispensable.

L'Aymara [6], la langue officielle de Bolivie et de plusieurs régions du Pérou, est aussi parlée dans le nord du Chili et de l'Argentine. C'est une des rares langues autochtones des Amériques avec plus d'un million de locuteurs — pourtant, comme beaucoup de langues minoritaires [7], sa représentation en ligne se révèle faible.

Rubén Hilare Quispe, secrétaire général de Jaqi Aru, a dit à Global Voices :

La gente quieren saber como protegerse en el Internet y, ahora que tenemos esta aplicación en nuestra propia lengua, podemos empezar a enseñarles como usarla

Les gens veulent savoir comment rester en ligne en toute sécurité. Et maintenant que nous disposons de cette application dans notre propre langue, nous pouvons commencer à apprendre aux gens comment l'utiliser.

L'aymara, enfin dans l'ère du numérique

Rubén se souvient d'un temps où dans la salle de classe il était interdit de parler sa langue natale. « À l'école primaire, si on parlait aymara on était puni. Tout devait être en espagnol. » 

Au cours des années 1980 et 1990, énormément d’élèves abandonnaient l'école dans les communautés rurales de Bolivie. Plusieurs études ont attribué ce haut taux d'abandon aux politiques linguistiques pro-espagnol agressives [8] qui aliénaient les locuteurs de langues autochtones.

Des siècles de règles coloniales établies par l'Espagne, couplées avec des politiques favorisant l'espagnol dans les établissements éducatifs et institutionnels ont conduit à l'extrême marginalisation des communautés autochtones. Cela signifie que leurs langues se retrouvent « exilées dans la sphère privée » [9] — en laissant beaucoup d'individus gênés de parler leur langue maternelle en public.

Les changements récents dans le système éducatif [8] ont déplacé l'accent vers la diversité linguistique. Mais en Bolivie les locuteurs de langues autochtones font encore face à des niveaux disproportionnés de discrimination [10] — avec de graves conséquences pour la population parlant aymara.

Bien que près de 17 pour cent de Boliviens [11] s'identifient comme locuteurs de langue aymara, cette langue s'avère en danger [12]. Car selon certaines estimations il y aurait 2 pour cent de locuteurs en moins [13] chaque année.

Jaqi Aru signifie « langue du peuple » ou « voix du peuple ». Ici les membres de Jaqi Aru traduisent conjointement l'application Orbot en aymara. Photo de Localization Lab. Reproduction autorisée.

Les militants linguistiques de Jaqi Aru travaillent d'arrache-pied pour inverser cette tendance. Pour le directeur exécutif, Edwin Quispe Quispe, derrière le travail de l'organisation, une partie de la motivation s'appuie sur des questions plus profondes d'identité, de langue et de ce que signifie être membre de la communauté aymara :

Casi en la mayoria de los pensum académico de carerras está introducido lo que es la historia cultural andina. A muchos de nosotros nos genera preguntas sobre la identidad. Nos preguntamos, ¿quiénes somos?¿cuál es nuestra identidad? […] La lengua es nuestra identidad. Si perdemos la lengua, perdmos nuestras tradiciones, nuestra cultura, nuestras historias, nuestros conocimientos ancentrales — perdemos todo.

La quasi majorité des programmes de cursus académiques intègre une formation sur la culture et l'histoire des Andes. Pour beaucoup d'entre nous, ceci suscite des questions sur notre propre identité. Nous nous interrogeons : qui sommes-nous ? Quelle est notre identité ? […] Pour nous, la langue est notre identité. Si nous perdons notre langue, nous perdons nos traditions, notre culture, nos récits, notre savoir ancestral — nous perdons tout.

Comme le taux de pénétration d'Internet continue d'augmenter [14] dans différentes régions du monde, il en va alors de même de l'exigence pour une technologie en différentes langues. Il y a un besoin croissant de « localisation [15] », d'un processus d'adaptation du contenu aux publics locaux.

Bien sûr, les entreprises privilégient uniquement la localisation si elle se traduit dans leur bénéfice net. Rendre la technologie disponible en langues minoritaires ne satisfait presque jamais ce critère, laissant les locuteurs de langues comme l'aymara, relégués aux périphéries d'internet. Rubén explique :

Depende de que lengua nace una herramienta, entonces es la que tiene el privilegio y las otras lenguas carecen de su prescencia como es el caso de la Aymara

Si un outil est développé dans une langue particulière, alors cette langue devient prioritaire. Ceci signifie que d'autres langues, comme l'aymara, ne sont pas représentées.

Selon Kaurin, les développeurs de Orbot travaillent avec ardeur à faire de l'accès au langage une priorité :

The Guardian Project [développeurs de l'application Orbot] est réellement dédié à la réalisation de leurs applications disponibles dans le plus grand nombre de langues possibles. Nous avons coordonné la localisation de Orbot pendant un certain temps, et saisi l'occasion de coopérer sur un événement portant sur la langue aymara.

La sécurité numérique mise à part, les membres de Jaqi Aru voient cette application comme un moyen de plus de veiller à ce que l'aymara reste vivant, grandisse et obtienne son espace mérité dans le monde en ligne. Lorsqu'on a demandé à Rubén ce que signifie pour sa communauté le fait d'avoir une application semblable à celle en aymara. Il répond :

Hay gente que dice con menosprecio: ¿pero que tienen en Aymara? [Orbot] es una de esas muestras de lo que podemos hacer con la Aymara. La gente ve y dice, “Wow, la Aymara si tiene lugar en las cuestiones tecnológicas”.

Il y a des personnes qui demandent de manière méprisante : Qu'existe-t-il en aymara ? [Orbot] est un des exemples de ce que nous pouvons faire en aymara. Ces personnes le constateront et s'exclameront, « Génial ! L'aymara a bien sa place dans la technologie. »