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Pour voter le 30 décembre, les Bangladais auront dû surmonter de multiples obstacles

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Censure, Droit, Droits humains, Élections, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique
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Image via Pixabay. Domaine public.

Dimanche 30 décembre 2018, des millions d'électeurs bangladais se rendront [l'article d'origine est paru le 29 décembre] dans 42.000 bureaux de vote de 299 circonscriptions pour glisser leur bulletin aux 11èmes élections parlementaires [2] de ce pays. Les votants sont cependant confrontés à de nombreux défis du fait de l'environnement restrictif que le gouvernement a créé autour du scrutin, avec interdictions et fermetures au milieu d'un climat de peur [3]. Pour couronner le tout, dans la soirée du 29 décembre, le gouvernement a décrété la suspension totale des services d'internet mobile [4].

Les élections au Bangladesh ont toujours été entachées de violences sporadiques [5], aussi cette fois les autorités ont-elles pris des mesures pour muscler la sécurité. 600.000 paramilitaires et policiers [6] sont déployés, aux côtés de 50.000 hommes de l'armée [7].

Sans transports, comment aller au bureau de vote ?

Samedi, à la veille du scrutin, les tristement célèbres embouteillages de Dacca [8], la capitale, avaient disparu.

La capitale Dacca avait l'air totalement déserte aujourd'hui, avec très peu de véhicules dans les rues à la veille des élections. Même les autoroutes qui d'habitude connaissent une circulation pare-choc contre pare-choc paraissaient vides.

Une raison possible à cela est que des millions d'électeurs auront quitté la capitale pour voter dans leurs villages ou villes. Pas seulement : une interdiction pèse aussi sur les déplacements. Tous les transports motorisés publics et privés, y compris l'auto-partage et les embarcations à moteur et hors-bords, ont interdiction d'opérer [12] pendant 24 heures à partir de 0 heure le 30 décembre. Quant à la circulation des motos, y compris les services de partage comme Pathao [13], elle a été suspendue depuis samedi matin de bonne heure jusqu'à 0 heure le 1er janvier 2019.

Seuls les services d'urgence, les forces de sécurité, les journalistes roulant dans des véhicules portant les macarons appropriés, les fonctionnaires et observateurs des élections, sont exemptés de l'interdiction des transports.

Une situation qui fait s'interroger les électeurs sur comment aller voter s'ils habitent loin de leur bureau de vote ? Ils peuvent marcher, ou y aller en bicyclette ou cyclo-pousse, mais ceci ne vaut que pour de courtes distances. Comme l'écrit [14] sur Facebook Sadmaan Bin Omar Saikat :

আমি ঢাকা-১০ আসনের(ধানমণ্ডি) ভোটার । কিন্তু আমার বর্তমান বাসা বসুন্ধরা আবাসিক এলাকা । আমি ভোট দিতে যাব কিভাবে?

Je suis un électeur de la circonscription Dacca-10 ((Dhanmondi). Mais j'habite dans le quartier résidentiel de Basundhara (à 15 km de là). Comment aller au bureau de vote pour voter ?

Le site web satirique Earki [15] a publié samedi quelques mèmes sur la façon de se rendre aux urnes avec des moyens de transports alternatifs : un char à bœufs, une machine à remonter le temps…

Dans l’Égypte ancienne, c'est comme ça que les gens allaient voter puisqu'il y avait aussi une interdiction des transports en place les jours d'élections.

Pas d'Internet, pas de rumeurs

Samedi 29 décembre, avant l’arrêt complet du service d'internet mobile, les FAI locaux avaient ralenti les vitesses de connexion [16] de la 4G à la 2G, apparemment pour empêcher “la propagande” de se diffuser par les informations live sur les médias sociaux. Ce qui n'a pu qu'avoir un fort impact sur les usagers des médias sociaux, Dacca étant considérée comme la deuxième ville la plus active [17] du monde des utilisateurs de Facebook.

Le photo-journaliste Shahidul Alam, emprisonné [18] en août pour avoir couvert les manifestations d'étudiants, a demandé aux gens d'enregistrer sur leurs smartphones toute irrégularité électorale :

Comme il n'y aura que peu d'observateurs pour surveiller l'élection au Bangladesh dimanche, l'éminent activiste bangladais Shahidul Alam veut que les jeunes enregistrent les irrégularités sur leurs smartphones. Voici ce qu'il faut savoir sur l'opération

Les électeurs qui s'y essaieraient seront pourtant limités par le fait qu'ils ne sont pas autorisés à introduire des téléphones portables [12] dans les bureaux de vote.

Samedi, les forces de sécurité ont arrêté huit hommes [24] accusés de propager du “contenu fabriqué” sur les médias sociaux à l'approche du scrutin. 57 postes spéciaux [25] ont été installés par le Bataillon d'intervention rapide pour combattre rumeurs et fausses nouvelles.

Les services suspendus le jour du vote

Le jour de l'élection est férié au Bangladesh, et vendredi et samedi étant les jours du week-end, ce sera un week-end prolongé.

Les 28 fournisseurs de paiements par mobile du pays ont tous suspendu leurs services [26] du 28 décembre 17h au 30 décembre 17h, jour du vote, conformément à un ordre de la Banque du Bangladesh sur demande de la commission électorale. Pendant ce laps de temps il sera possible d'envoyer ou de recevoir au maximum 5.000 takas (52 euros) de ou sur son compte personnel.

Les distributeurs d'essence et de GNL (gaz naturel liquéfié) resteront fermés [27] le jour du scrutin. On signale [28] cependant que bon nombre de stations d'essence de la capitale Dacca ont déjà fermé pour cause d'absence de véhicules dans les rues.

Comment les journalistes vont-ils travailler ?

La commission électorale a finalement accepté d’autoriser les journalistes [29] à utiliser des motos le jour du vote, à condition d'y apposer les macarons approuvés. A en croire les journaux [30], beaucoup de journalistes au Bangladesh se sont auto-censurés dans la période précédant l'élection, dans la crainte des lois toujours plus restrictives sur les médias et des intimidations.

Le 24 décembre 2018, au moins 12 journalistes en reportage pour l'élection dans une circonscription de Dacca ont été attaqués [31] par un gang d'une vingtaine d'individus masqués. Amnesty International a appelé à [32] une enquête impartiale sur cette agression.

La commission électorale du Bangladesh impose des restrictions aux journalistes sur l'usage de leurs véhicules et demande aussi de s'abstenir de tout direct y compris sur les médias sociaux.

Un certain nombre de restrictions exceptionnelles ont été imposées aux journalistes par la commission électorale avant le jour des élections et sur la mesure dans laquelle les médias pourront couvrir le scrutin le 30 décembre.

La faible participation toujours un problème

Analysant la situation, le blogueur expatrié bangladais Sabhanaz Rashid Diya cite ces chiffres [40]:

A recent report published in The Daily Star [41] summarizing results from a survey indicated while 75 percent of the respondents are first-time voters, only 30 percent plan to vote on Sunday’s election. Seventy percent of respondents are still undecided or will not be voting.

Un récent article publié par le Daily Star résumant les résultats d'un sondage a indiqué que si 75% des personnes interrogées sont primo-votants, seuls 30% ont l'intention de voter dimanche. 70% des sondés sont encore indécis ou n'iront pas voter.

La commission électorale a annoncé [42] la mise en place d'un service de SMS push/pull pour fournir des informations aux électeurs. Ceux-ci peuvent envoyer un SMS avec leur identification nationale à 17 chiffres à un numéro d'appel particulier et l'information adéquate leur sera envoyée dans un SMS de réponse. Des informations [43] sont aussi disponibles sur le site web de la Commission électorale [44].

L'opposition craint [45] que les barrières érigées par le gouvernement ne soient pensées pour tenir les gens à l'écart des bureaux de vote. Si les électeurs veulent exercer leur droit de décider et choisir, il leur faut être présents et voter malgré toutes les embûches.