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L'armée indonésienne suspectée d'utiliser des armes chimiques contre les séparatistes de Papouasie occidentale, selon un journal australien

Catégories: Asie de l'Est, Indonésie, Droits humains, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens
[1]

Arrêt sur image d'une vidéo YouTube à propos d'un bombardement allégué dans le district de Nduga en Papouasie occidentale.

Note de la rédaction : L'article d'origine, paru le 30 décembre 2018, a été mis à jour le 2 janvier 2019 à 15:45 GMT, pour attribuer les informations sur l'usage d'armes chimiques par l'armée indonésienne au magazine australien The Saturday Paper. Nous avons aussi retiré certains (mais pas tous) tweets aux images explicites.

Avertissement : Les images incorporées dans cet article risquent de perturber des lecteurs. 

L'hebdomadaire indépendant australien The Saturday Paper a rapporté [2] le 22 décembre 2018 que les frappes aériennes indonésiennes sur des cibles en Papouasie occidentale [3] étaient “suspectées de comporter une arme chimique interdite, le phosphore blanc”.

L'Indonésie a intensifié ses opérations militaires en Papouasie occidentale après le massacre de 31 ouvriers routiers en décembre dans la région de Nduga. L'Armée de libération nationale de Papouasie occidentale (acronyme en anglais TPNPB) a reconnu sa responsabilité tout en affirmant [4] que les ouvriers étaient en réalité des soldats. La TPNPB fait partie de l'organisation de résistance plus vaste Organisation pour une Papouasie libre [5] ou Organisasi Papua Merdeka (OPM).

L'article de The Saturday Paper contient des photos montrant “les chairs paraissant avoir été déchirées ou creusées, les vêtements des victimes fondus ou découpés”.

Une source militaire anonyme qui a parlé à la publication a confirmé l'usage d'armes chimiques :

A military source confirms the weapons “appear to be incendiary or white phosphorus”. The source says “even the smallest specks burn through clothing, skin, down to the bone and keep on bubbling away. I have seen it up close and personal and it’s a horrible weapon.”

Une source militaire confirme que les armes ” paraissent être incendiaires ou du phosphore blanc”. La source indique “que même le moindre grain brûle à travers les habits, la peau, jusqu'à l'os et continue à bouillonner. Je l'ai vu de près et de mes yeux et c'est une arme affreuse.”

Un Australien aborigène a réagi à l'article sur les médias sociaux et a joint à son tweet une photo publiée par l'article du Saturday Paper :

L'Indonésie utilise des armes chimiques interdites sur les civils de Papouasie occidentale. Le silence constant de l'Australie face au génocide se déroulant en ce moment en Papouasie occidentale dit tout d'un gouvernement et d'un pays sans moralité ni compassion ni la moindre décence humaine.

La Papouasie occidentale [3]  est une province de l'Indonésie. C'est aussi le nom utilisé par les séparatistes pour la totalité du territoire de la Papouasie colonisée par les Pays-Bas jusqu'en 1962. La partie qui est devenue l'Irian Jaya a été cédée à l'Indonésie à la suite d'un référendum sur l'indépendance en 1969. Elle a été annexée après ce qu'on a appelé ‘l'Acte de Libre-choix’, rejeté par les mouvements indépendantistes locaux. A l'opposé de la TPNPB, la Campagne pour une Papouasie occidentale libre [12] défend une auto-détermination pacifique.

Au début de 2018, la TPNPB a publié sur son site web une déclaration de guerre à l'Indonésie [13]. En 2015, l'OPM avait déclaré une guerre ouverte contre l'Indonésie [14], y compris non seulement le gouvernement et l'armée, mais aussi tous les civils et intérêts privés non papous.

Après la mort des ouvriers de chantier, la Chambre des représentants indonésienne (DPR) a rallié le gouvernement pour demander à l'ONU de déclarer l'OPM organisation terroriste [15].

TPNPB-OPM is the last defense of West Papuan peoples [16]

Arrêt sur image de la vidéo YouTube sur l'attaque dans le district de Nduga en Papouasie occidentale. Publiée le 26 juillet 2018.

Dénégations du gouvernement indonésien

Le ministère indonésien des Affaires étrangères a promptement nié [17] la possession ou l'utilisation d'armes chimiques, tweetant que :

1. L'Indonésie déplore gravement les pratiques de journalisme irresponsable telles que démontrées par un média papier et sur internet basé en Australie, dénommé The Saturday Paper, le 22 décembre 2018, accusant l'Australie d'utiliser des armes chimiques dans ses opérations à Nduga, Papouasie occidentale.

2. L'allégation mise en lumière par ledit média est totalement sans fondement, non-factuelle, et gravement trompeuse. L'Indonésie ne possède pas d'armes chimiques.
3. En tant que membre conforme de l'OIAC, l'Indonésie ne possède aucun des agents chimiques énumérés dans le programme 1 de la Convention sur les armes chimiques.

4. Conformément à cela, l'Indonésie importe, utilise et stocke aussi des agents chimiques des programmes 2 et 3 pour des usages strictement pacifiques à l'appui de son industrie nationale, ce que confirment pas moins de 19 inspections de l'OIAC depuis 2004.
5. L'implication de composante militaire dans l'opération, en l'espèce d'hélicoptères, était strictement en assistance à l'appareil de maintien de l'ordre, et non un déploiement militaire en soi dans des opérations par ailleurs de sécurité intérieure.

Certains utilisateurs de Twitter étaient d'un autre avis :

C'est bien, ministère des Affaires étrangères, mais comprenez que votre bilan en Papouasie occidentale a détruit votre crédibilité. Les crimes et atrocités de vos forces sont déjà très bien documentés.

L'Indonésien B Arifrn a averti que la situation restait dangereuse :

Selon l'équipe d'évacuation dans le district de Nduga : Les gens cherchent toujours refuge.

La journaliste de la BBC Rebecca Henschke rapportait :

Un garçon de 14 ans de la région de Nduga a dit à BBC Indonésie que son père a été tué.
“J'ai vu deux hélicoptères se poser, tout le monde a fui y compris mon père. Puis des policiers et des militaires en sont sortis. Et les militaires ont tiré sur mon père.”

[tweet précédent: Le gouverneur de la Papouasie Lukas Enembe a dit que l'armée devait s'en allait à présent.
“Nous rendons hommage aux victimes passées et présentes, mais ça suffit”, a dit le gouverneur Lukas Enembe.
“Il ne doit plus y avoir d'autres victimes civiles, les civils n'ont pas été évacués.”]
Le président du Parlement de Papouasie Yunus Wonda, a déclaré à la BBC Indonésie :
“Les villageois sont traumatisés et très effrayés. Ils ont fui dans la jungle. Noël devrait être un temps de paix et non de peur.”

La militante locale des droits humains Raga Kogeya a dit que la collectivité devait pouvoir enterrer ses morts en paix.
“Nous ne sommes pas les ennemis de l’État. Nous sommes citoyens d'Indonésie. Il faut que le gouvernement assume la pleine responsabilité pour ceux qui ont été tués”, dit-elle.

Un militant basé à Java Central qui a requis l'anonymat a confirmé que de nombreux habitants de Nduga ont cherché refuge dans les montagnes. Cette personne a déclaré à Global Voices que l'attaque par la TPNPB a été suivie d'une répression des activistes dans de nombreuses villes indonésiennes où se trouvent beaucoup d'étudiants papous. La personne a été obligée d'entrer dans la clandestinité par crainte d'autres répercussions par les autorités.

Une autre source à Jakarta a d'autre part dit à Global Voices que les informations étaient plus rares que jamais, comme si le gouvernement indonésien s'efforçait de cacher quelque chose.

Les voisins réagissent

Si le retentissement a été considérable dans les médias sociaux des pays voisins, une grande partie des médias traditionnels australiens a soit tardé à s'emparer du sujet soit s'est abstenue de le traiter :

Quelque chose a pu m'échapper, mais je ne trouve rien là-dessus du gouvernement australien, de l'opposition, rien de News Corp, Fairfax, Channel 9, 7 ou 10. Ils savaient sans doute tous, mais se taisent. Si aucun de ces médias n'en parlent, je dirais que 95% au moins des Australiens n'en savent rien.

L'Australie a été interpelée par certains pour son inaction perçue :

L'armée indonésienne est suspectée d'avoir utilisé l'arme chimique phosphore blanc lors d'une attaque contre un village en Papouasie occidentale. Le gouvernement australien a-t-il déjà fait une déclaration quelconque ?

La ministre des Affaires étrangères Marise Payne doit faire pression pour des observateurs indépendants et l'accès des médias en Papouasie occidentale. Il faut aussi des garanties pour assurer que notre assistance militaire et policière n'appuient en aucune façon cette brutalité

Maire Leadbeater a examiné les affirmations sur des armes chimiques et leurs répercussions, sur The Daily Blog [36] de Nouvelle-Zélande :

Experts who have seen the images believe it is possible that these wounds resulted from the use of some kind of chemical agent, possibly white phosphorous. Independent verification is impossible in the absence of independent observers or journalists.

Les spécialistes qui ont vu les images croient possible que les blessures résultent de l'usage de quelque type d'agent chimique, possiblement du phosphore blanc. Une vérification indépendante est impossible en l'absence d'observateurs ou journalistes indépendants.

Leadbeater arguait que les liens économiques et militaires ont empêché de nombreux pays occidentaux, dont la Nouvelle-Zélande, d'endosser la cause de la Papouasie occidentale, mais terminait sur une note d'espoir :

Vanuatu is leading the way in promoting a peaceful diplomatic solution for West Papua and plans to take a resolution to the UN General Assembly next year calling for the West Papua to be restored to the UN list of nations still to be decolonised. New Zealand could be a game changer by ending military ties and instead opting to support Vanuatu’s principled diplomacy. There isn’t much time to waste.

Le Vanuatu montre le chemin en promouvant une solution diplomatique pacifique pour la Papouasie occidentale, et prévoit de soumettre une résolution à la prochaine Assemblée Générale de l'ONU, appelant à rétablir la Papouasie occidentale sur la liste de l'ONU des pays restant à décoloniser. La Nouvelle-Zélande pourrait changer la donne en mettant fin aux liens militaires et opter plutôt pour un soutien à la diplomatie des principes du Vanuatu. Il n'y a plus beaucoup de temps à perdre.

La résistance continue

Le 20 décembre, la campagne Papouasie occidentale libre [37] (acronyme anglais FWP) a tweeté sur les arrestations de masse aux rassemblements du 57ème anniversaire de l'annexion par l'Indonésie, et son fondateur Benny Wenda a appelé à des négociations :

Ma nouvelle déclaration : Pour une résolution pacifique du conflit en Papouasie occidentale, le Président indonésien Jokowi doit immédiatement retirer l'armée indonésienne et commencer des discussions sur la mise en œuvre d'un référendum en accord avec notre droit à l'autodétermination.

L'article de The Saturday Paper a été mis sur Reddit [45], où il a obtenu plus de 800 commentaires en quatre jours. Celui-ci, de beanzamillion21 exprimait une préoccupation largement partagée en ligne sur l'absence d'informations sur la Papouasie occidentale : “Je n'en savais rien. Ça n'est guère traité en Amérique.”

Entre temps, le gouverneur de la Papouasie Occidentale, Lukas Enembe, a appelé à une cessation [46] des hostilités et à demandé au président indonésien Joko Widodo de retirer les troupes de Nduga.