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Vieillesse, discours de haine, liberté de la presse : les sujets-phares de la présidentielle 2019 au Nigeria

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Nigéria, Censure, Droits humains, Élections, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique

Opérations de vote lors de l'élection présidentielle du 28 mars 2015 à Abuja (Nigeria). Photo : Ambassade des États-Unis/Idika Onyukwu. Attribution image : Non-Commercial 2.0 Generic (CC BY-NC 2.0)

Le Nigeria tiendra une élection présidentielle le 16 février 2019, et tous les regards sont tournés vers ce scrutin, un test de la vigueur des normes et valeurs démocratiques et de l'unité du pays.

Cette année, il y a dans la course cinq candidats principaux [1] qui se distinguent sur un total de 73 postulants à la présidence [2]. Les deux premiers concurrents sont le Président sortant Muhammadu Buhari [3] (Congrès progressiste) et le candidat d'opposition et ancien Vice-Président Atiku Abubakar  [4](Parti démocratique populaire).

Les trois autres candidats du quintette de tête, Obiageli Ezekwesili, Kingsley Moghalu et Omoyole Sowore, ont été appelés la “troisième force” parce qu'ils n'ont pas d'expérience politique mais présentent quand même une concurrence sérieuse.

Au milieu de la cacophonie des campagnes électorales et de la participation passionnée des supporteurs — tant en ligne que dans la vie réelle — voici les thèmes-clés qui pourraient se perdre dans le bruit médiatique.

Lire aussi: Qui sont les candidats à la présidentielle 2019 du Nigeria ? [1] [en anglais, non traduit]

Les vieux et le syndrome de l'homme fort

Les deux principaux rivaux nigérians, Buhari, 76 ans, and Atiku, 72 ans, ont tous deux un long passé d'engagement politique, d'où les interrogations nombreuses sur leur santé et leur longévité d'aspirants-présidents.

La fin des dirigeants accrochés au pouvoir comme le président sud-africain Jacob Zuma, 76 ans, et celui du Zimbabwe Robert Mugabe, 94 ans, parti sous la contrainte après 37 années de présidence, a pu sembler un coup d'arrêt aux régimes conduits par les vieillards hommes forts [5] en Afrique. L'espoir a été de courte durée. Paul Biya [6], 84 ans, a été réélu président du Cameroun, ce qui fait de lui le dirigeant politique le plus âgé de l'Afrique sub-saharienne.

L'état de santé des dirigeants nigérians est devenu un sujet politique majeur depuis le décès pendant son mandat du Président Umaru Musa Yar’Adua [7] le 5 mai 2010. La maladie et les absences continuelles de Yar’Adua ont créé un vide du pouvoir [8] parce qu’il ne transférait rien à son vice-président [9] Goodluck Jonathan avant d'aller se faire soigner à l'étranger.

Le Président sortant Buhari s'est rendu [10] une dizaine de fois au Royaume-Uni pour le traitement médical d'une pathologie non révélée. Il a passé “plus de 170 jours à Londres [11] pour congés-maladie officiels depuis qu'il est devenu président en 2015,” selon le New York Times.

Des candidats plus jeunes ont-ils une meilleure chance ? Cette année il y en a 10 de moins de 40 ans [12] et 16 entre 45 et 49 ans. Mais les candidats plus jeunes pourraient avoir du mal à percer, car le long passé de régimes militaires du Nigeria a enraciné une tradition d'acteurs politiques ayant à la fois l'influence et la richesse pour financer les partis politiques,qui nécessitent temps et relations pour les cultiver.

Buhari et Abubakar ont tous deux des bases politiques solides. Buhari a une clientèle fidèle dans la partie nord du pays, tandis que Abubakar est perçu comme largement accepté dans différents clans et religions à travers le pays. Leurs âges respectifs ne semble pas un facteur pour engranger soutien et loyauté.

Ethnicité et religion

Le Nigeria est ce qu'on appelle un État à ligne de faille : ethnicité et religion jouent depuis longtemps un rôle central dans les élections et la politique générale. Les élections de 2015 ont montré que les deux “principaux compétiteurs ont reçu [13] le vote en bloc de leurs différents États et zones géopolitiques,” selon un article paru dans le Journal of African Elections. Et les sentiments ethniques [14]ont été utilisés pour attirer les votants. Les discours de haine ethnique ont déferlé en et hors ligne, avant [15] et après [16] l'élection présidentielle de 2015.

De même, en 2017, des écrivains nigérians [17] ont sonné l'alarme sur les abjects discours de haine qui ont failli ravager le pays [18]. L'ancien Président Goodluck Jonathan a perdu dans les urnes à cause de son échec à traiter les attentats du groupe islamiste terroriste Boko Haram [19]qui secouaient le pays et causaient une insécurité généralisée. L'enlèvement des lycéennes de Chibok [20] par Boko Haram a produit l'indignation générale de #BringBackOurGirls (#Ramenez nos filles] quand il a paru clair aux citoyens que le gouvernement n'intervenait pas comme il l'aurait dû.

Buhari et Abubakar s’appuieront tous deux sur des alliances ethniques pour gagner des voix. Buhari, un nordiste (Fulani/musulman), a choisi pour vice-président Yemi Osibanjo en vue d'engranger des votes de la partie sud-ouest du pays (Yoruba/chrétienne). Abubakar, lui aussi nordiste (Fulani/musulman) est allé chercher son vice-président dans la partie sud-ouest du pays (Igbo/chrétienne).

Comme Buhari et Abubakar sont du même groupe ethno-religieux, les tensions seront peut-être moins fortes qu'aux élections de 2015, qui opposaient Jonathan Goodluck, un chrétien de la minorité sudiste Ijaw, à Buhari.

Liberté d'expression et de la presse

La présidence Buhari est accusée de graves violations des droits humains, et de nombreux hashtags [21] en tête de tendance en 2018 ont appelé à la remise en liberté d'internautes et de journalistes.

Le 17 mars 2016, le journaliste nigérian Yomi Olomofe a été violemment molesté [22] et détenu par la police, une attaque contre la liberté d'expression. Le journaliste nigérian Daniel Elombah et son frère Timothy ont été arrêtés le jour du Nouvel An 2017 pour un article qu'ils n'avaient même pas écrit [23]. En août de la même année, un commerçant nigérian, Joe Fortemose Chinakwe, a été arrêté pour avoir appelé [24] son chien “Buhari”.

Jones Abiri, le rédacteur en chef de Weekly Source, a été arrêté [25] le 21 juillet 2016 par des agents de la Sécurité nationale (DSS) dans son bureau de Yenagoa, dans l’État de Bayelsa. #FreeJonesAbiri [26] est resté plusieurs jours en tête de tendance sur Twitter, avant que Abiri soit finalement libéré [27] le 15 août 2018, après deux années de détention.

#FreeSamuelOgundipe a été tendance quand le journaliste nigérian Samuel Ogundipe a été retenu pendant trois jours [28] par la Brigade tactique spéciale du Nigéria après qu'il eut refusé de nommer ses sources pour un article relatant comment les agents de sécurité avaient empêché par la force des députés de pénétrer dans l'Assemblée nationale nigériane, début août  2018.

Deji Adeyanju, un militant politique et membre d'un parti d'opposition, a été arrêté une fois de plus en décembre 2018 et est toujours emprisonné pour cause de “nouvelle assignation.” [29]

Buhari exprime ouvertement son aversion pour une presse libre et la liberté d'expression. Dans une allocation devant des avocats [30] l'an dernier, il déclarait que “la règle de droit doit être soumise à la suprématie de la sécurité du pays et de l'intérêt national.”

Par ailleurs, Abubakar a promis [31] d'opérer “une structure inclusive de gouvernance” qui maîtrisera la diversité du Nigeria et maintiendra “un environnement juste et équitable où les droits de tous les citoyens soient protégés par un gouvernement transparent.”

Seul le temps pourra dire comment ces questions vont évoluer pendant toute la période électorale et au-delà.