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Les généraux retraités du Nigeria à la manoeuvre pour l'élection présidentielle de 2019

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Nigéria, Élections, Gouvernance, Médias citoyens, Politique

Olusegun Obasanjo, ancien président du Nigeria. [Creative Commons (CC BY 2.0)/ Flickr, 27 juin 2011.]

Alors que le Nigeria s'apprête à une nouvelle élection présidentielle en février, les généraux à la retraite devenus politiciens sont indispensables à la compréhension de l'espace politique nigérian. Le Nigeria est gouverné par d'anciens généraux ou des hommes bénéficiant de leur appui, et ce depuis 1999 avec le retour de la gouvernance démocratique.

La récente querelle entre l'ancien Président Olusegun Obasanjo [1] et le Président sortant Muhammadu Buhari — tous deux dictateurs retraités de l'armée — pèse largement sur les élections du mois prochain.

Dans une exceptionnelle lettre ouverte à Buhari, [2] Obasanjo a accusé ce dernier d'avoir des projets de trucage pour les élections de 2019. Il a écrit :

Democracy becomes a sham if elections are carried out by people who should be impartial and neutral umpires, but who show no integrity, acting with blatant partiality, duplicity and imbecility.

La démocratie devient une imposture si les élections sont mises en œuvre par des gens qui devraient être des arbitres impartiaux et neutres, mais qui ne montrent aucune impartialité, et agissent avec une partialité, une duplicité et une imbécillité flagrantes.

Obasanjo martelait que Buhari n'assurerait pas “des élections libres, loyales, crédibles et dans le calme” et mettait en garde que “ce qui se passe sous le contrôle de Buhari est comparable à ce qu'on a vu sous le général Sani Abacha.”

En 1998, le dictateur militaire Sani Abacha [3] avait convoqué des élections générales mais il devint vite évident qu'il n'avait aucune intention de céder le pouvoir aux civils. Les cinq partis politiques de l'époque avalisèrent Abacha comme leur unique candidat à la présidentielle. Décédé depuis, Abacha est devenu tristement célèbre pour sa répression des droits humains et sa corruption. [4] Obasanjo a affirmé que Buhari marchait “dans les pas” d'Abacha “par folie du désespoir”.

Shehu Garba, le conseiller médias du Président Buhari, a rejeté [5] la lettre d'Obasanjo :

The elections starting in February will be free and fair as promised the nation and the international community by President Buhari.

Les élections de février seront libres et loyales comme promis au pays et à la communauté internationale par le Président Buhari.

Obasanjo, épistolier

Olusegun Obasanjo, ancien chef d’État militaire (1976-1979) et ultérieurement président démocratiquement élu du Nigeria (1999-2007), n'a cessé de critiquer les gouvernements successifs du pays.

L'année dernière, Obasanjo a recommandé à Buhari de ne pas briguer sa réélection, mais plutôt de “réfléchir à un repos mérité [6] dans les temps actuels et à cet âge”. Un conseil qui a fait des vagues au Nigeria car Obasanjo était un vigoureux défenseur [7] de la candidature Buhari lors de l'élection présidentielle de 2015.

Précédemment, Obasanjo avait réprimandé Goodluck Jonathan [8] dans une lettre publique écrite en 2013. Obasanjo y accusait Jonathan [9] de “mener le pays au précipice et de permettre à la tromperie, à la corruption et à la méfiance mutuelle de déchirer le tissu de la nation”.

Ironiquement, Obasanjo avait également soutenu l'élection de Jonathan en 2011. Et en 2007, il facilita l'élection du prédécesseur de Jonathan Goodluck, Umaru Musa Yar’Adua [10]. Mais Obasanjo se retourna contre Yar’Adua quand ce dernier tomba malade et ne transféra pas le pouvoir comme il l'aurait dû à Jonathan, son vice-président d'alors.

L'ancien Président Nigérian Goodluck Jonathan avec le Président tout juste investi Muhammadu Buhari lors de la cérémonie d'investiture le 29 mai 2015. Domaine public, par le Département d’État des États-Unis.

Au Nigeria, les généraux en retraite ne se reposent jamais

Le paysage politique au Nigeria est sous la coupe des généraux retraités ou de leurs amis et obligés. Obasanjo, par exemple, a grandement contribué à l'émergence des présidents nigérians de 2007 à 2015. Pourtant, à la différence des civils – Yar’Adua and Jonathan – qu'il a à la fois poussés et critiqués, Buhari est d'une autre étoffe.

Si Obasanjo a soutenu l'élection de Buhari en 2015, il ne peut pas s'en attribuer seul le mérite. La raison en est que l'accession au pouvoir de Buhari a été rendue possible par son allégeance au défunt Action Congress of Nigeria (ACN) de Bola Tinubu [11] . Le Congress for Progressive Change (CPC, Congrès pour le changement progressiste) de Buhari a fusionné ultérieurement avec l'ACN, en février 2013, pour former le All Progressives Congress [12] (APC, Congrès de tous les progressistes) .

Qui plus est, Buhari, ancien chef d’État militaire (1983-1985) est un membre du ‘club’ des généraux retraités qui ont dominé l'espace politique du Nigeria. De ce fait, aussi sévère que puisse sonner la réprimande d'Obasanjo, beaucoup dépend de la dynamique du bloc de pouvoir auquel ils appartiennent tous deux.

Pour autant, Obasanjo n'est pas seul dans sa critique de Buhari.

Theophilus Danjuma [13], lui aussi général à la retraite, avait accusé en mars de l'an dernier [14] “les forces armées nigérianes de contribuer aux massacres actuels au Nigéria”. Danjuma, un ancien chef d'état-major puis ministre de la Défense, reprochait à l'armée de prendre parti dans le conflit éleveurs contre agriculteurs [15] dans le pays et plus particulièrement dans son État de Taraba. De même, Danjuma a récemment sonné l'alarme contre les projets d'utiliser “les policiers et les soldats” pour manipuler [16] les élections de 2019.

De même, en février de l'année dernière, l'ancien chef de l’État militaire Ibrahim Babangida [17]publiquement conseillé [18] au Président Buhari de ne pas briguer sa réélection, arguant que le Nigeria du 21ème siècle devait puiser dans les générations plus jeunes. Par conviction qu'il “vient un temps dans la vie d'un pays où l'ambition personnelle ne doit pas primer sur l'intérêt national”.

Mais il faudra peut-être encore du temps avant que le Nigeria ait pour président un civil dépourvu de liens ou d'appuis du côté du ‘club’ des généraux à la retraite.