Une chouette refuse de quitter le parlement tanzanien. Est-ce un présage ?

La place Nyerere  à Dodoma, capitale de la Tanzanie, et le siège du parlement. Photo de Pernille Baerendtsen, reproduite avec autorisation.

Le 29 janvier, quand le parlement tanzanien (« Bunge » en swahili ) s'est réuni à Dodoma pour la première session de 2019, une chouette a pénétré dans le bâtiment, s'est juchée sur un perchoir et s'est mise à observer l'assemblée d'en haut.

L'incident a attiré l'attention nationale et suscité bien des questions sur les réseaux sociaux et dans les journaux. Que pouvait bien signifier la présence d'une chouette au parlement ?

La chouette a été vue par deux fois dans la salle où siège le parlement, à Dodoma. Comment interpréter ce signe?

« Mauvais présage ? » a suggéré l'hebdomadaire régional, The East African.

Ben Talor, blogueur britannique et analyste des médias, est allé plus loin :

La chouette qui a pénétré dans le parlement annonçait-elle la mort prochaine de la démocratie tanzanienne ?

‘Dctionnaire : un groupe de chouettes est appelé un parlement. – Bonjour collègue !'Dessin de Samuel Mwamkinga (Joune), reproduit avec autorisation.

Le dessinateur tanzanien Samuel Mwamkinga (Joune), a par la suite illustré l'incident en faisant référence à l'expression anglaise “a goup of owls” (un groupe de chouettes/de sages, employée au sens de “parlement”) qui trouve son fondement dans la sagesse attribuée à l'animal par les Grecs (dessin reproduit avec autorisation).

La chouette est cependant perçue comme un présage de mort et de malheur en Tanzanie.

Et la chouette … était bien déterminée à rester au Bunge, d'après The Citizen :

The owl, a nocturnal bird, could not leave … despite several attempts by parliament officials to evict it.

On ne parvenait pas à faire partir l'oiseau de nuit … malgré les tentatives répétées de membres du parlement pour l'évacuer.

Il n'est pas inhabituel de voir des chouettes en Tanzanie, et l'inclination des Tanzaniens à la superstition ne l'est pas davantage. Une enquête datant de 2010 a révélé que 93 % des Tanzaniens croient en la sorcellerie.

Une session parlementaire peu ordinaire

Pour cette session en particulier, la présence de la chouette a revêtu une dimension symbolique, même aux yeux des non-superstitieux, trop évidente pour être ignorée.

À l'ordre du jour de la première session parlementaire de Tanzanie de 2019, figuraient les propositions d'amendement du “Political Parties Act” (Loi sur les partis politiques), après de longs mois d'intenses débats dans un climat politique de plus en plus instable.

La Tanzanie est entrée dans l'histoire en 1992 comme l'un des premiers pays d'Afrique à établir un système garantissant le pluralisme des partis et autorisant les partis d'opposition. Le “Political Parties Act” (ici avec les amendements proposés) est également entré en vigueur en 1992 et a été amendé au fil du temps, le dernier amendement datant de 2009.

Avec la chouette perchée au-dessus de l'assemblée, les parlementaires tanzaniens ont accepté de voter les amendements — une décision que les voix critiques regardent comme un sérieux coup porté au pluralisme des partis en Tanzanie, et par conséquent, à la démocratie.

Pour faire court, la réforme de la loi confère plus d'autorité au greffier nommé par le gouvernement non seulement pour interdire des partis politiques, mais aussi pour infliger des peines d'emprisonnement si un parti politique mène, par exemple, un programme d'éducation civique encourageant l'inscription des électeurs ou toute autre action à finalité politique, d'après Reuters.

Plusieurs médias ont cité les propos de Zitto Kabwe, leader du parti d'opposition ACT-Wazalendo, qui, en août 2017, avait déjà critiqué la proposition d'amendement de la loi, en prédisant qu'elle saperait les droits politiques. Kabwe l'avait alors comparée à la réforme des médias de 2016, qui a fait reculer la liberté et l'indépendance des médias. Aujourd'hui, Kabwe attire l'attention sur la contradiction interne engendrée par le “Political Parties Act” :

« On ne peut pas avoir une constitution qui autorise la liberté d'association et qui, dans le même temps, donne à quelqu'un le pouvoir de révoquer cette liberté d'association. »

Le leader des @ACTwazalendo Brothers @zittokabwe expliquant les relations entre démocratie et développement à l'aide de statistiques de la Banque Mondiale

Une démocratie mourante ?

La démocratie tanzanienne en déclin sous la houlette du Président Magufuli est devenue un sujet récurrent dans les médias, notamment comme sujet de satire populaire.

Le 30 Janvier, Fatma Karume, Présidente de la Tanganyika Law Society, association représentant la profession juridique tanzanienne, a tweeté un dessin du dessinateur kényan Gado (22 septembre 2017) pointant le rôle joué par le Président de la Tanzanie Magufuli dans la mort de la démocratie :

(Magufuli policier – procureur – juge – bourreau – grand-prêtre) Bonjour à tous. Je vous souhaite une bonne journée.

Ces dernières années, La Tanzanie a adopté des lois de plus en plus autoritaires, étouffant ainsi l'expression des opposants politiques et des médias indépendants. Désormais, disent les voix critiques, le “Political Parties Act”, tel qu'il a été amendé, va rendre plus difficile la mise en œuvre d'actions politiques visant à contrer le pouvoir du président et de Chama Cha Mapinduzi (« Le Parti de la révolution » ), aux commandes depuis 1961.

L'opposition est essentielle à la vie d'une démocratie. Une forte opposition surveille le gouvernement et conteste son action. S'il n'y a pas d'opposition, la diversité des besoins des citoyens risque de ne pas être correctement représentée.

Dans une série de 15 tweets, la doctorante Rachel McLellan fait envisager à ses lecteurs les conséquences possibles de la nouvelle loi, et décrit la situation dans laquelle une opposition critique va se trouver acculée :

[tweet au-dessus : Ils ne peuvent déjà pas tenir de réunions pour gagner des électeurs, sont déjà sujets à l'emprisonnement s'ils tiennent des conférences de presse. Ce projet de loi interdit le type d'éducation civique et de renforcement des capacités locales sur lesquelles reposent aujourd'hui les partis d'opposition. Il soumetle soutien extérieur aux partis d'opposition à l'approbation du gouvernement] 4/n

Ainsi la plupart de vos moyens de convaincre les électeurs ont disparu. Que faire alors quand vous êtes un parti d'opposition ? Se remettre à la table de travail et revenir avec de nouvelles idées, n'est-ce pas ? Eh bien, cette réforme confère un pouvoir de surveillance sans précédent au greffier chargé d'enregistrer les partis autorisés, rendant cela très difficile 5/n

Superstitieux ou pas, ceux qui dénoncent le virage autoritaire de la Tanzanie ont trouvé un malicieux réconfort dans la présence de la chouette et dans les tentatives infructueuses pour la faire partir.

La chouette est restée. Le président du Parlement, Job Ndugai, a essayé d'altérer la croyance traditionnelle par une explication pragmatique :

« Mesdames et Messieurs les députés, nous avons vu une chouette dans le Parlement ce matin, mais selon la tradition des gens de Dodoma, une chouette vue pendant qu'il fait jour ne peut avoir d'effet sur personne. Cela signifie que sa présence ne doit susciter aucune inquiétude. »

Pour les critiques du pouvoir, en revanche, la nouvelle loi n'a rien de pragmatique.

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