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En pleins troubles civils, les coupures d'accès à Internet aggravent la crise économique au Zimbabwe

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Zimbabwe, Médias citoyens, Advox

Le Président du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa arrive à la base de l'armée de l'air Waterkloof avant le sommet des BRICS consacré à l'ouverture à l'Afrique tenu à Johannesbourg, en Afrique du Sud, le 26 juillet 2018. Les récentes manifesttations et la répression de l'armée cotre les civils remettent en question l'autorité de Mnangagwa. DIRCO News Service/Jacoline Schoonees via Creative Commons / Wikimedia.

[Article d'origine publié le 29 janvier 2019] A la suite d'une déclaration en date du 12 janvier au sujet d'une hausse officielle du prix du carburant au Zimbabwe, des troubles civils et la paranoïa politique ont secoué le pays.

Le Président Emmerson Mnangagwa a annoncé que le prix du carburant à 1,30 dollars américains le litre devrait augmenter de 150%, faisant du carburant au Zimbabwe l'un des plus chers au monde. Le lendemain, il a quitté le pays pour un déplacement de cinq jours en Russie et en Europe de l'Est, prétendument à la recherche d'accords pour des investissements. Le chaos et l'anarchie [1] ont éclaté le lundi suivant.

L'armée a aussitôt été déployée pour mater les protestations à la suite de pillages et de l'incendie de plusieurs supermarchés et commerces. Des signalements d'agents de l’État tuant des civils non armés ont circulé sur les réseaux sociaux avant que l'Autorité de régulation des postes et télécommunications du Zimbabwe (POTRAZ) ne coupe complètement l'accès à Internet [1] et à toute forme de réseaux sociaux du 14 au 19 janvier.

Durant ces six jours de coupure d'accès à Internet, le commerce a connu un véritable arrêt alors que les entreprises et les investisseurs demeuraient incertains sur la trajectoire de l'économie.

La Haute Cour de Justice se prononce contre une coupure du réseau Internet

Suite à la décision du ministre de la Sécurité de l’État, Owen Ncube, de couper l'accès à Internet, les défenseurs des droits de l'homme ont préparé et soumis à la justice une requête urgente pour la faire annuler.

La Haute Cour de Justice a jugé [2] le 21 janvier 2019 qu'Owen Ncube n'avait pas l'autorité pour forcer les opérateurs mobile à suspendre leurs services. Le juge Owen Tagu a dit à la cour que le ministre n'avait pas le pouvoir de prendre une telle décision et a ordonné aux entreprises de télécommunications “de reprendre la fourniture de services sans conditions et de façon pleine et non restreinte aux abonnés, et ce sans délai”.

L'arrêt de la cour cite des lois qui ne donnent qu'au seul Président le pouvoir de couper les services Internet.

Le porte-parole du gouvernement George Charamba a déclaré à des journaux contrôlés par l’État que le gouvernement ne resterait pas inactif alors “que de tels petits intérêts entraînaient une violence pareille”.

“La réponse apportée jusqu'ici n'est qu'un avant-goût de ce qui allait venir”, a annoncé Charamba aux médias publics. Il a poursuivi :

The internet was the tool used to coordinate the violence. But is it not interesting how when we are carrying our dead to the cemetery, at a time when we are counting losses that run into millions of dollars, someone is worried about the internet? You expect us to preserve the internet and ensure that there is maximum damage to our society?

Internet a été l'outil utilisé pour coordonner la violence. Mais n'est-ce pas intéressant, alors que nous portons nos morts au cimetière, à l'heure où nous comptons des pertes qui se chiffrent en millions de dollars, quelqu'un se préoccupe d'Internet ? Vous attendez de nous que l'on préserve Internet et permettions que notre société subisse un maximum de dégâts ?

Dhewa Mavhinga, Directeur Afrique australe au sein de la division africaine de Human Rights Watch a déclaré à Global Voices que la coupure du réseau Internet était une grossière violation des droits de l'homme car une telle action perturbe la vie quotidienne et les transactions commerciales. La majorité des Zimbabwéens dépendent de l'argent en ligne pour les services tous les jours. Mavhinga a expliqué :

It is possible that President Mnangagwa could shut down the internet again because the court said the president has that authority. During the shutdown, without internet, medical doctors were unable to communicate and respond to emergency cases or to coordinate medical support.

Il est possible que le Président Mnangagwa coupe à son tour l'accès à Internet car le tribunal a déclaré que le Président en a le pouvoir. Durant cette coupure, sans Internet, les médecins étaient incapables de communiquer et de répondre aux cas d'urgence et de coordonner l'assistance médicale.

Internet demeure une clé de voûte pour l'activité économique du Zimbabwe. Avec des taux de chômage et de sous-emploi astronomiques [3], la plupart des entrepreneurs dépendent d'Internet et des réseaux sociaux tels que Twitter et Whatsapp pour vendre leurs produits et services.

Une perte massive de liberté et de revenu

Depuis la coupure, les petites entreprises du Zimbabwe ont connu une perte estimée à 12,5 millions de dollars américains par jour, selon le think tank TheBehaviourReport.com.

Les réseaux sociaux sont restés une source d'information essentielle pour informer les citoyens alors que les organes de presse contrôlés par l’État sont influencés par le parti au pouvoir, le ZANU-PF (Union Nationale Africaine du Zimbabwe – Front Patriotique). Pendant la coupure, les médias d’État ont à peine évoqué les débordements.

“J'ai le sentiment que les personnes du gouvernement ont supprimé notre liberté de parole et d'expression”, dit Allan Chino, un jeune homme de 21 ans. Il poursuit :

I lost out greatly on a cheaper means of communication with my friends and family. The only option I have left is to download a good VPN (Virtual Private Network) because as long as this government is in power, there is no guarantee that the social media will not be shut down again.

J'ai été vraiment perdant en utilisant des moyens de communication moins chers pour être en lien avec mes amis et ma famille. La seule option qu'il me reste est de télécharger un bon VPN (réseau privé virtuel) parce que tant que ce gouvernement est au pouvoir, il n'y a aucune garantie que les médias sociaux ne soient pas encore coupés.

Des milliers de citoyens qui voulaient simplement être protégés et restés informés sont restés bloqués.

Adolf Mavheneke, un activiste qui défend les droits de l'homme, a dit qu'il était naïf de penser que la récente coupure d'accès à Internet ait pu être menée par le ministre sans que le Président ne le sache, le valide et l'admette.

Il a ajouté que “le fait qu'un ministre nommé par Mnangagwa agisse en obéissant à l'ordre sans se soucier de la légalité de la chose confirme à quel point cet homme est prêt à se débarrasser de la constitution nationale et à agir selon ses caprices politiques.

Mavheneke a déclaré qu'en reconnaissant que la liberté d'expression telle qu'elle est définie dans la section 61 de la Constitution du Zimbabwe n'était pas un droit absolu, la coupure d'accès à Internet établissait un mauvais précédent et que cela laissera une cicatrice sur le futur de la liberté et les droits humains des citoyens:

In fact, these were and remains self-made attempts to hide state-sponsored violence as everything now happened under the cover of the internet and social media darkness. And the record is also clear on cases where the military and other state security agents went on the rampage during the internet blackout. The future of human rights in Zimbabwe remains a sad reality because we have a leadership that … is prepared to push for legitimacy through the crack of the barrel and the bullet.

En fait, il y avait et il y a toujours des tentatives individuelles de dissimuler la violence encouragée par l’État alors que désormais tout se passe à la faveur des ténèbres sans Internet ni réseaux sociaux. Et le rapport est également clair à propos des cas où l'armée et d'autres agents de la sécurité de l’État se sont déchaînés pendant la censure d'Internet. Le futur des droits humains au Zimbabwe reste une triste réalité car nous avons des dirigeants qui… sont préparés à imposer leur légitimité par les armes.

Il a remarqué qu'à la suite de l'élection disputée de novembre 2017, Mnangagwa et le vice-président Constantino Chiwenga ont autorisé l'usage de la force de l'armée contre des protestataires [4], et six civils qui ne participaient pas à la manifestation ont été tués. Une commission d'enquête a blanchi Mnangagwa et son administration mais a aussi recommandé la retenue et le respect de la loi. Donc l'usage récent de soldats pour empêcher les manifestations contre le gouvernement est illégale et viole la Constitution du Zimbabwe.

Il a déclaré que “tôt ou tard, si ce facteur n'est pas tenu à distance, il ravagera même ceux qui l'ont emplouyé en premier lieu”.

Une jeune femme qui souhaite rester anonyme a dit que la violation par le gouvernement de l'espace de discussion des citoyens était terrifiant :

You know what the most scary thing is? It's not the fuel price increases, it's not the looming hunger. It's not about the communication shutdown between friends and families. Neither is it about the soldiers going out to maim and kill innocent civilians. No. The most scary thing is that these guys in government are convinced that they are doing a good job of running this country.

Vous savez ce qui est le plus effrayant ? Ce n'est pas l'augmentation du prix du carburant, ce n'est pas la faim qui s'annonce. Ce n'est pas la coupure des communications entre les amis et les familles. Ni les soldats qui sortent pour mutiler et tuer des civils innocents. Non, le plus effrayant c'est que les gens au gouvernement sont convaincus qu'ils dirigent bien le pays.