Netizen Report : levée de boucliers face aux projets européens de censure préalable des violations de droits d'auteur et des contenus « terroristes »

Manifestation le 2 mars à Berlin contre l'article 13 de la nouvelle directive européenne sur le droit d'auteur. Photo de Tim Lüddemann, (CC BY-NC-SA 2.0.)

Le Netizen Report de Global Voices Advox offre un aperçu des défis, des victoires et des tendances émergentes en matière de libertés numériques à travers le monde. Ce numéro couvre des informations et événements qui concernent la période du 29 février au 8 mars 2019.

Le 2 mars 2019, près de 5 000 personnes ont bravé les fraîches températures berlinoises pour protester contre un projet européen de réglementation du droit d'auteur qui pourrait radicalement modifier notre façon de poster et partager du contenu en ligne.

La dernière version en date de la Directive européenne sur le droit d'auteur exigerait des plateformes digitales telles que YouTube qu'elles installent des « filtres de mise en ligne » — un système qui empêcherait les utilisateurs de mettre en ligne des contenus protégés par les droits d'auteur, imposant de facto un système de « censure préalable » sur les principales plateformes et médias sociaux du Net.

Sur les pancartes colorées brandies par les manifestants, on pouvait lire entre autres « Nous ne sommes pas des bots », « Des filtres à particules plutôt que des filtres de mise en ligne » et « Sauvez Internet », tandis que retentissaient les paroles de la chanson « Wir sind keine bots » (Nous ne sommes pas des bots) composée par le YouTubeur Willboy spécialement pour l'occasion. La chanson, mise en ligne la veille de la manifestation, est rapidement devenue virale avec plus de 500 000 vues en quelques jours.

Que la Directive sur le droit d'auteur soit adoptée ou non, la bataille sera loin d'être terminée pour les défenseurs des libertés numériques, qui devront se mobiliser à nouveau chaque fois que l'on envisagera de faire appel à des solutions techniques automatisées pour régler des questions liées au contenu en ligne.

Un comité de la Commission européenne chargé de s'attaquer aux « contenus à caractère terroriste » en ligne a proposé une solution similaire prévoyant d’obliger les plateformes en ligne à s'équiper d'outils automatisés pour « détecter, identifier et retirer ou désactiver avec diligence l'accès au contenu à caractère terroriste ».

Le projet de règlement exige une suppression plus agressive des « contenus à caractère terroriste » (dont la définition demeure vague) et des délais de réponse rapides pour leur retrait. Mais il n'instaure pas de juridiction dédiée ou autre mécanisme judiciaire pouvant offrir des lignes de conduite aux entreprises peinant à évaluer des contenus en ligne complexes.

Au contraire, il contraindrait les fournisseurs de services d'hébergement à user d'outils automatisés pour prévenir la diffusion de « contenus à caractère terroriste » en ligne. Ce qui exigerait des entreprises qu'elles utilisent le type de système déjà mis en place de son propre chef par YouTube, qui a par le passé censuré des preuves de violations des droits humains et de crimes de guerre.

Cette proposition européenne ainsi que la Directive sur le droit d'auteur placent toutes deux leur foi dans ces outils, faisant peu de cas des inquiétudes quant aux conséquences qu'ils pourraient avoir sur la liberté d'expression, le journalisme et l'information publique.

Lors d'une conférence publique au mois de janvier, Evelyn Austin, qui travaille pour l'organisation néerlandaise de défense des libertés numériques Bits of Freedom, a fait part de ses profondes inquiétudes quant aux politiques empruntant le chemin de la censure préalable automatique :

We see as inevitable a situation in which there is a filter for copyrighted content, a filter for allegedly terrorist content, a filter for possibly sexually explicit content, one for suspected hate speech and so on, creating a digital information ecosystem in which everything we say, even everything we try to say, is monitored.

Il nous paraît inévitable d'en arriver à un point où il existe un filtre pour les contenus protégés par droit d'auteur, un filtre pour les contenus considérés comme terroristes, un filtre pour les contenus pouvant s'avérer de nature explicitement sexuelle, un autre pour les discours potentiellement haineux, et caetera, créant ainsi un écosystème de l'information numérique dans lequel tout ce que nous disons, et même essayons de dire, est sous surveillance.

Des militants des droits humains et journalistes égyptiens ciblés par des logiciels espions

En Égypte, des dizaines d'activistes des droits humains et de journalistes ont été victimes d'attaques par phishing depuis le début de l'année, comme le révèle une enquête d'Amnesty International. Les courriels utilisaient une technique d’hameçonnage appelée OAuth, qui permet à des logiciels tiers malveillants de piéger les utilisateurs afin d’obtenir l’accès à leurs comptes.

Les attaques recensées ont coïncidé avec divers événements du calendrier politique, dont la visite du président français Emmanuel Macron, dans un contexte de répression accrue contre la société civile menée par le Président Sissi.

En Égypte, le photographe Shawkan enfin libéré

Après plus de cinq ans derrière les barreaux, Mahmoud Abu Zeid, également connu sous le nom de Shawkan, a été libéré de prison le 4 mars dernier. Shawkan avait été arrêté en août 2013 alors qu'il photographiait la manifestation de Rabaa El Adaweya, au cours de laquelle les partisans de l'ancien président égyptien Mohamed Morsi s'étaient rassemblés pour protester contre le coup d’État qui a mis fin à sa présidence le 3 juillet de la même année. Au moment de disperser la manifestation, les forces de sécurité égyptiennes auraient tué au moins 817 personnes et blessé de nombreuses autres, selon l'organisation Human Rights Watch.

Shawkan, qui travaillait pour l'agence Demotix au moment de son arrestation, a passé près de quatre ans en détention provisoire avant de recevoir sa condamnation.

Un blogueur algérien remis en liberté après deux ans de prison

Le 4 mars également, en Algérie, un tribunal à Skikda a réduit la peine de prison du blogueur Merzoug Touati et l'a libéré. Touati était détenu depuis janvier 2017 pour avoir couvert des manifestations contre l'austérité. Il avait été condamné en mai 2018 à dix ans de prison, reconnu coupable d'avoir fourni « des renseignements à des agents d’une puissance étrangère de nature à nuire à la situation militaire ou diplomatique de l’Algérie ou à ses intérêts économiques essentiels » pour avoir mené et mis en ligne l'interview d'un dignitaire israélien.

Sa libération intervient dans un contexte de manifestations à l'échelle nationale. Depuis la mi-février, les Algériens descendent dans la rue pour protester contre le déclin économique de leur pays et réclamer le retrait du président algérien actuel Abdelaziz Bouteflika de la course aux élections nationales à venir.

Un vidéaste militant tadjik arrêté puis relâché

Le cyberactiviste Sharofiddin Gadoev est de retour en Europe, après avoir été enlevé au Tadjikistan, selon toute vraisemblance avec la coopération des forces de sécurité en Russie, où il voyageait le mois dernier.

Sharofiddin Gadoev fait partie de l'opposition tadjike, dont les membres — basés à l'étranger — sont très actifs sur le Net malgré un harcèlement constant. Le 15 février dernier, dans une étrange vidéo, il annonçait être arrivé au Tadjikistan de son propre gré et coopérer avec les autorités. Lorsque des diplomates des Pays-Bas — où Sharofiddin Gadoev a obtenu l'asile — se sont enquis de son sort, les autorités du Tadjikistan ont confirmé qu'il avait été arrêté, sans préciser pour quel motif.

Par chance, le militant avait précédemment tourné une autre vidéo dans laquelle il demandait à ses soutiens d'ignorer les propos qu'il pourrait tenir si jamais il était extradé de force au Tadjikistan, confirmant qu'il n'avait aucune intention de s'y rendre. La publication de cette vidéo étrangement visionnaire le 19 février, ainsi que la pression des diplomates occidentaux et des ONG internationales, semblent avoir accéléré la libération de Sharofiddin Gadoev le 2 mars — de façon aussi théâtrale et inattendue que sa capture.

Le conflit indo-pakistanais plonge le Net dans un chaos de désinformation

Alors que les tensions militaires entre le Pakistan et l'Inde explosaient dans le sillage du bombardement meurtrier du 14 février à Pulwama, en Inde, et des manœuvres de représailles ayant suivi des deux côtés de la frontière, la désinformation a atteint des sommets sur le Net. Les groupes de fact-checking des deux pays ont mis les bouchées doubles pour faire face à l'avalanche de fausses informations et d'images truquées. Dans les colonnes du New York Times, Farhad Manjoo décrit la réaction des médias en ligne :

Whether you got your news from outlets based in India or Pakistan during the conflict, you would have struggled to find your way through a miasma of lies…

Many of the lies were directed and weren’t innocent slip-ups in the fog of war but efforts to discredit the enemy, to boost nationalistic pride, to shame anyone who failed to toe a jingoistic line. The lies fit a pattern, clamoring for war, and on both sides they suggested a society that had slipped the bonds of rationality and fallen completely to the post-fact order.

Que l'on suive des médias basés en Inde ou au Pakistan durant le conflit, il fallait dans tous les cas se démener pour démêler le vrai du faux…

Nombreux étaient les mensonges ciblés, qui n'étaient pas d'innocentes erreurs survenues dans le brouillard de la guerre, mais au contraire le résultat d'efforts pour discréditer l'ennemi, nourrir le sentiment nationaliste et décrédibiliser quiconque s'éloignerait de la rhétorique chauvine de mise. Ces mensonges suivaient un certain modèle, acclamant la guerre, ce qui suggérait des deux côtés l'avènement d'une société s'affranchissant du rationnel et tombée complètement dans l'ère du post-factuel.

Les autorités tanzaniennes suspendent le journal et site d'informations The Citizen

Le 27 février, les autorités tanzaniennes ont ordonné une suspension de 7 jours à l'encontre du journal et site d'informations indépendant The Citizen, au motif que le média avait enfreint les interdictions du publier de fausses informations et statistiques. A l'origine de ces allégations, un papier daté du 23 février sur la chute du shilling tanzanien.

Le Comité de Protection des Journalistes, la Fédération Internationale des Journalistes et la Fédération des Journalistes Africains ont unanimement condamné cette décision.

Au Kenya, les défenseurs de la vie privée continuent de repousser le projet de registre unique des identités

Les organisations de défense des droits se mobilisent pour empêcher la mise en place d'un nouveau registre numérique de gestion d'identité à échelle nationale, qui selon elles porte atteinte aux droits à la vie privée, à l'égalité, la non-discrimination et la participation publique des Kényans.

Le Système national intégré de gestion de l’identité (NIIMS) fusionne plusieurs registres existants, rassemblant ainsi les données liées aux naissances et décès, aux statuts d'immigration, aux passeports et à l'historique des conducteurs. Ce nouveau système permet également au gouvernement de collecter les données de géolocalisation du domicile des citoyens ainsi que des données biométriques telles que l'ADN. La loi ne prévoit aucune mesure de protection de ces données personnelles.

L’Équateur cherche à bannir les « fausses informations » et les « publications abusives » 

Une loi présentée au Parlement en Équateur pourrait criminaliser les utilisateurs partageant des informations « fausses » sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, la Loi sur un Usage responsable des réseaux sociaux permettrait aux victimes de « publications abusives » — définies comme l'utilisation d'informations d'une personne sans son accord ou d'informations portant atteinte à l'honneur, la dignité, au nom ou à la vie privée d'une personne — de porter plainte contre leurs auteurs.

Sur une note plus positive, la loi exige également que tout individu ou entreprise souhaitant collecter et conserver des données personnelles en obtienne la permission préalable de l'utilisateur.

 

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