Être femme et lesbienne dans le Caucase du Nord, c'est s'exposer aux violences sexuelles, mariages forcés et meurtres

Photo d'illustration publiée dans OC media.

Sauf mention contraire, les liens renvoient à des pages en anglais.

L'article qui suit a été publié initialement sur le site partenaire OC Media.

Les femmes homosexuelles vivant dans le Caucase du Nord russe se heurtent à des tentatives de les «soigner», sont victimes de passages à tabac, de viols, de mariages forcés et de meurtres, révèle une enquête pour laquelle ont été interrogées une vingtaine de femmes de cette région. Bien qu'un certain nombre d'hommes homosexuels aient réussi à s'enfuir, le rapport souligne que c'est plus difficile pour les femmes, car leur argent, leurs déplacements, leur carrière et leur vie privée sont contrôlés par des «gardiens».

Ce rapport sur les persécutions contre les lesbiennes, bisexuelles et transsexuelles dans le Caucase du Nord a été publié en décembre 2018 par Queer Women North Caucasus (QWNC, «Femmes queer du Caucase du Nord»).

Avec le soutien du bureau de Moscou de la fondation allemande Henrich-Böll, QWNC a interviewé 21 femmes (17 lesbiennes, trois bisexuelles et une transsexuelle) vivant dans le Caucase du Nord. La plupart sont originaires de Tchétchénie, les autres du Daghestan, d'Ingouchie et d'Ossétie du Nord.

Neuf de ces femmes ont déclaré subir des violences sexuelles de la part de leur mari, et huit avoir été mariées contre leur gré.

Selon le rapport, la révélation de leur orientation sexuelle ou de leur identité transgenre leur a systématiquement valu des violences psychologiques et physiques de nature à déraper facilement jusqu'au meurtre.

«J'ai promis à notre père de ne pas te tuer. S'il te plaît, je t'en supplie, tire-toi une balle, supprime-toi.» L'une de ces femmes se rappelle cette supplique de son frère après qu'elle a été identifiée comme lesbienne.

Sur les 21 femmes interrogées par QWNC, huit connaissaient parmi leurs amies, parentes ou voisines quelqu'un qui a été tuée par des hommes de sa famille pour un comportement qui «faisait honte à la famille».

Contrôle

Toutes les personnes qui ont répondu à l'étude de QWNC ont indiqué qu'elles subissaient des violences psychologiques et physiques depuis leur tendre enfance, ce qui témoigne d'un climat de violence général envers les femmes et les jeunes filles dans la région.

L'une des participantes à l'étude, harcelée sexuellement par son oncle, se souvient que les membres de sa famille l'ont accusée, elle, de «débauche sexuelle» quand elle a raconté ce qui se passait.

Plusieurs femmes ont déclaré que leurs familles contrôlaient leur liberté de manière stricte — y compris leur liberté de mouvement.

Habillement imposé, interdiction de parler aux autres hommes, pas moyen de sortir le soir, telles sont les conditions de vie habituelles des femmes dans le Caucase du Nord.

Une femme du Daghestan a raconté que son mari l'avait battue en pleine rue rue pour «des cheveux qui dépassaient de son hijab».

Le rapport relate combien il est difficile pour que les femmes homosexuelles dans le Caucase du Nord de quitter leur famille et leur région. Outre le défi de l'indépendance économique, les femmes qui s'enfuient sont généralement dénoncées et rendues à leur famille, même si elles ont fui à l'étranger [ru] et il leur reste comme seules perspectives l'isolement et la violence, voire la mort.

Mariages forcés et violences domestiques

Selon le rapport, il n'est pas d'usage dans le Caucase du Nord de demander aux femmes avec qui elles veulent se marier, ni même si elles veulent se marier tout court. En conséquence de quoi elles n'ont, en pratique, pas le contrôle de leur statut matrimonial. De simples rumeurs ou un coup de fil parental peuvent suffire à déclencher des projets de mariage.

Les femmes répondantes ont raconté aux enquêteurs que le père ou le frère de la fiancée, soit les «tuteurs» habituels d'une femme, peuvent signer au nom de la fiancée, et qu'il arrive souvent que les épousées ne se voient même pas remettre copie de leur acte de mariage.

Le rapport de QWNC mentionne des femmes homosexuelles qui ont subi des coups et des viols réguliers après un mariage non désiré.

«Le premier viol a eu lieu dans les jours qui ont suivi la noce. Je lui ai dit que je ne voulais pas avoir de rapports sexuels avec lui. Mais trois jours après la noce, il l'a fait quand même. C'est comme ça ici. Il m'a plaqué une main sur le nez et la bouche, je ne pouvais plus respirer. Je me suis mise à saigner. Je ne sais plus d'où venait le sang. De mes cris ou des coups que je recevais sur le visage.»

Selon l'enquête, quand les femmes parviennent à faire annuler un mariage forcé, elles n'ont pas d'autre choix que de revenir dans leur propre famille, où elles seront en général encore plus mal traitées qu'avant.

De plus, il apparaît que les victimes ont du mal à s'adresser aux forces de l'ordre, tellement elles ne s'attendent pas à être protégées.

Le texte rapporte l'histoire d'une femme à qui la police locale faisait subir harcèlement et chantage parce qu'elle avait hébergé une lesbienne qui s'était enfuie de chez elle.

Le mariage comme couverture

L'enquête révèle que quelques-unes des femmes qui y ont participé ont décidé de contracter un mariage fictif. Une telle union se conclut habituellement avec un homme homosexuel ou bisexuel, qui n'est pas suspecté d'avoir une orientation autre qu'hétérosexuelle.

Selon le récit de l'une des répondantes, ce n'est pas parce qu'elles se marient que les femmes homosexuelles échappent au contrôle de leur famille.

Une Tchétchène se souvient que son frère, qui travaillait dans la police, la soupçonnait d'avoir fait un mariage fictif. Selon ses dires, il aurait promis de vérifier qu'elle était enceinte après son mariage avec un homme qu'il soupçonnait d'être gay.

Cette répondante, complétant ce que disaient d'autres personnes, a aussi affirmé que les autorités locales ont une liste des personnes homosexuelles, qu'elles peuvent utiliser à tout moment pour les poursuivre ou les faire chanter.

Le mariage fictif est une stratégie qui permet d'éviter la violence, mais qui ne marche pas à tous les coups. Une femme tchétchène a ainsi raconté aux enquêteurs que son «mari» s'était mis à la régenter, et l'avait même obligée à interrompre sa grossesse.

«Cette forme dure de patriarcat est transmise non seulement par les hommes hétérosexuels, mais aussi par les hommes gays ou bisexuels. Ils perpétuent ces tentatives d'exercer un contrôle total sur les femmes ainsi que des pratiques violentes», est-il écrit dans le rapport.

Les femmes homosexuelles restent invisibles

Le sort des homosexuels dans le Caucase du Nord a attiré l'attention de la communauté internationale après la publication en 2017 d'un rapport de Russian LGBT Network et les révélations du journal russe «Novaïa Gazeta» sur les homosexuels détenus en masse et assassinés en Tchétchénie.

Reste que les médias se sont, dans l'ensemble, limités au cas des hommes homosexuels en Tchétchénie.

A la fin de leur enquête, les intervieweurs demandent à ces femmes ce qu'elles envisagent pour l'avenir.

«Je vais me chercher un mari qui soit aussi un ami, faire un enfant, et plus personne ne pourra rien me faire», répond une femme tchétchène. «Je vais me marier et partir loin d'ici. Je vais fonder ma propre famille. Avec mon meilleur ami, qui me couvrira. Il va prendre mon amoureuse comme seconde épouse.»

Les enquêteurs disent avoir perdu contact avec une femme après l'avoir interviewée, tandis qu'une autre, qui avait auparavant tenté de s'enfuir de chez elle, est morte «d'empoisonnement», selon sa famille, avant la publication de l'étude.

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