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Avec des centaines de prisonniers politiques toujours derrière les barreaux, le conflit au Nicaragua est loin d'être fini

Catégories: Amérique latine, Nicaragua, Droits humains, Jeunesse, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Image principale de la campagne pour la libération des prisonniers politiques du collectif “Nicaragua Libre Sin Presxs Políticxs. Utilisation autorisée.

[Article d'origine publié le 7 mars 2019] Le Nicaragua a fait les gros titres en avril 2018 en raison des manifestations qui ont débuté avec la réforme de la sécurité sociale et ont continué avec la forte répression qui a fait de nombreux morts. Du fait de la répression, le mouvement de protestation a quitté la rue et la résistance contre le gouvernement a épousé différentes causes, dont l'une des plus importantes est celle des prisonniers politiques, qui représentent plusieurs centaines de personnes.

Avec la libération de plusieurs détenus [1] au cours des protestations, le Nicaragua voit enfin s'ouvrir une possibilité de dialogue entre gouvernement et opposition. Toutefois, la situation de ces jeunes reste peu claire [2] malgré le fait qu'ils soient sortis de prison. Ni les charges, ni les condamnations n'ont été retirées. Par ailleurs, des efforts continuent d'être mis en œuvre pour libérer les centaines d'individus qui sont toujours incarcérés et pour faire valoir les dénonciations pour violations des droits humains.

2018 : le début de la crise

Suite aux manifestations qui ont enflammé les rues [3] en avril 2018, la répression policière et les arrestations politiques ont renvoyé de nombreuses personnes chez elles. Dans le même temps, des militantes féministes [4] et des défenseurs des droits humains [5] ainsi que des journalistes [6] ont été la cible de différentes attaques ou ont été contraints d'abandonner le pays, et poursuivent leur travail en exil.

Les manifestations ont démarré en réaction à une décision du gouvernement qui cherchait à réformer le système de retraite. La répression de ces premières protestations a abouti aux suivantes, et l'escalade de morts et de blessés a donné lieu à des manifestations qui exigeaient que le président Daniel Ortega et la vice-présidente Rosario Murillo quittent le pouvoir [7].

En raison des difficultés liées à son calcul et à la collaboration difficile avec les organismes de l’État, le total de morts, de blessés et de prisonniers politiques varie en fonction des périodes et des organisations [8] [fr] qui les comptabilisent. Pour septembre 2018, un rapport d'Amnesty International [9] avait dénombré 322 personnes tuées, principalement par des agents de l’État, plus de 2000 blessés et 300 personnes incarcérées pour leur participation aux manifestations. De son côté, la Commission inter-américaine des droits de l'homme (CIDH) avait comptabilisé 325 morts [10] en décembre 2018 avant d'être expulsée [11] du pays par le président Ortega.

Étudiants devenus prisonniers politiques

Pour novembre 2018, le Centre nicaraguayen pour les droits humains (CENIDH) a confirmé qu'il y aurait plus de 600 prisonniers politiques [12] dans le pays. La situation des personnes en prison en raison des manifestations est complexe, en particulier depuis que ces dernières ont été déclarées illégales [13] en septembre 2018.

Un rapport d'Amnesty International [9] dénonce et documente des cas de détention arbitraire et sans contrôle judiciaire [14]. Autrement dit, de nombreuses personnes ont été arrêtées sans que leur soit expliquée la cause de leur détention, et elles sont maintenues derrière les barreaux sans avoir été jugées par un tribunal compétent. Selon la loi nicaraguayenne [14], une personne détenue doit “être [remise] en liberté ou déférée devant l'autorité compétente” dans un délai de 48 heures.

Il est difficile de calculer le nombre de prisonniers politiques, mais il est élevé : en janvier 2019, le comité de soutien aux familles des détenus, connu sous le nom de “Nicaragua Libre Sin Presxs Políticxs [15]” a recensé et localisé 767 personnes [16]. Le groupe partage également des profils et des témoignages sur Facebook et Twitter, et fait circuler des dénonciations sur la situation des prisonniers politiques et de leur famille auprès du lectorat international :

The majority of the political prisoners are young, many of them students. Most of them are held in the capital city of Managua, at the police jail ‘El Chipote‘ or the state penitentiary ‘La Modelo‘. Female political prisoners are largely held at ‘La Esperanza’ women’s prison. Conditions at the Chipote jail are horrific and stories of torture and (sexual) abuse rampant. At La Modelo political prisoners are purposely kept separate from the regular prisoner population in the maximum security pavilion known as ‘La 300’. They are thus purposely kept in isolation and, even though not yet convicted, kept under a regime meant for long-sentenced prisoners with disciplinary issues.

La majorité des prisonniers politiques sont jeunes, et pour beaucoup étudiants. Ils sont pour la plupart détenus dans la capitale, Managua, dans la prison policière de El Chipote ou dans la prison d’État de La Modelo. Les femmes sont incarcérées en grande partie dans la prison pour femmes de La Esperanza. Les conditions de vie à El Chipote sont épouvantables et les récits de torture et d'abus sexuels se multiplient. A La Modelo, les prisonniers politiques sont intentionnellement séparés des détenus de droit commun et gardés dans le pavillon de sécurité maximale connu sous le nom de “La 300″. Ils sont ainsi délibérément laissés à l'isolement et, bien qu'ils n'aient pas encore été condamnés, sont maintenus sous un régime prévu pour des prisonniers incarcérés pour de longues peines et ayant des problèmes de discipline.

Accusations de torture et abus sexuels

Le rapport d'Amnesty International [9] expose aussi des témoignages de torture et d'intimidation qui mettent en évidence certaines irrégularités du processus de détention, comme c'est le cas pour C.D., une femme de 19 ans :

C.D. describió que durante el interrogatorio escuchaba gritos desgarradores de una mujer, y la amenazaban diciéndole “vos estas aquí y ella allá, pero si no hablas, vos vas a estar con ella”. Tras devolverla a la celda, en horas de la noche, habría llegado un hombre encapuchado y vestido de civil a interrogarla, y la habría amenazado diciéndole […] vos decidís [o te mato o te violo].

C.D. a expliqué que pendant l'interrogatoire, elle entendait les cris déchirants d'une femme, et qu'on la menaçait en lui disant “tu es ici et elle là-bas, mais si tu ne parles pas, tu vas aller avec elle”. Après l'avoir ramenée dans sa cellule, dans la nuit, un homme encapuchonné et habillé en civil serait venu l'interroger et l'aurait menacée en lui disant […] tu décides [soit je te viole, soit je te tue].

Un groupe de prisonnières de la prison de La Esperanza (à Managua) a décrit ses conditions de détention au cours de la visite de plusieurs eurodéputés. L'eurodéputée socialiste Ana Gomes a ainsi partagé les vidéos des témoignages sur les réseaux sociaux.

Dans la cellule, elles nous expliquent comment elles ont été arrêtées et accusées de détenir des armes chimiques et des bombes nucléaires… Absurde !!!

Les dénonciations ne sont semble-t-il pas passées inaperçues. Les proches des prisonnières de La Esperanza ont fait savoir qu'un grand nombre d'entre elles auraient été durement frappées [19] et que certaines sont portées disparues [20]. On soupçonne que ces agressions auraient pu être perpétrées en représailles contre les dénonciations publiques.

#SOS Nicaragua

“Nicaragua Libre sin Presxs Políticxs” est un comité de soutien aux prisonniers politiques et à leur famille qui cherche à créer des réseaux de solidarité et des coalitions au Nicaragua et en dehors du pays. Le comité entreprend également de dénoncer et d'expliquer les conditions de vie des prisonniers politiques via des témoignages partagés sur les réseaux sociaux, comme celui mentionné quelques lignes plus haut.

Les profils partagés par le groupe [21] et quantité d'autres collectifs solidaires de la cause [22] font connaître l'histoire de nombreux prisonniers ainsi que les circonstances de leur détention.

L'exemple donné ci-dessous raconte sur Facebook l'histoire de María Adilia Peralta, qui a été arrêtée par les autorités avec son conjoint, Cristian Fajardo, avant d'être condamnée pour “terrorisme” [23]:

On peut suivre la plupart des campagnes pour la libération des prisonniers politiques et la dénonciation des abus commis à leur encontre via #SOSNicaragua [24] et #Libertadparalospresospoliticos [25]:

C'EST ÇA le Nicaragua SOS Nicaragua Liberté pour les prisonniers politiques

D'autres campagnes sur Twitter dénoncent les arrestations et les disparitions ainsi que les conditions précaires dans lesquelles se trouvent nombre de personnes détenues, comme le fait l'organisation Initiative méso-américaine des femmes pour la défense des droits humains:

?Nous sommes 179 organisations à exiger la liberté pour Ruth Matute !!
?Elle est prisonnière politique au Nicaragua depuis octobre 2018.
⚠Elle souffre d'une grave maladie cardiaque et sa vie est en danger.