Restons en famille : Le président du Kazakhstan Noursoultan Nazarbaïev démissionne, mais laisse peu d'espoir de véritable réforme

Le centre d'Astana, Kazakhstan. Photo: Ken and Nyetta via Wikimedia Commons (CC BY 2.0)

Le 19 mars 2019, le président du Kazakhstan Noursoultan Nazarbaïev a démissionné après presque 30 années de règne incontesté sur cet État d'Asie centrale gorgé de pétrole.

Une décision qui n'était pas tout à fait inattendue, puisque M. Nazarbaïev a 78 ans et que sa santé est déclinante. Mais l'annonce elle-même en a pris beaucoup par surprise. Pourtant il y a déjà des signaux évidents que le nouveau régime ressemblera de près à l'ancien.

Une approche précautionneuse de la transition politique

Le départ de Nazarbaïev marque un changement historique. Il était déjà Premier secrétaire de la République kazakhe en 1989, lorsque le pays faisait encore partie de l'Union soviétique, et il devint le premier président du Kazakhstan indépendant né sur les ruines de l'URSS en 1991.

Pendant près de 30 ans il a maintenu jusqu'à ce jour un règne sans partage à travers les réélections et les amendements constitutionnels. En application de la constitution du Kazakhstan, c'est le président du Sénat, Kassim-Jomart Tokaïev, qui a officiellement accédé au pouvoir le 20 mars.

Mais si M. Nazarbaïev a renoncé à son titre présidentiel et introduit un successeur — phénomène rare dans les pays post-soviétiques — sa démission apparaît au mieux comme un changement cosmétique.

En effet, il conserve des fonctions essentielles qui lui assurent un contrôle total sur l'avenir politique du Kazakhstan. Il préside le tout-puissant Conseil de sécurité, ainsi que le parti au pouvoir Nour Otan. Il conserve aussi à vie le titre de “Père de la nation”, ce qui accorde à lui et à sa famille une immunité à vie contre les enquêtes et poursuites judiciaires.

Une société toujours aux prises avec la transition socio-économique

Avec sa population relativement modeste de 18 millions d'habitants et ses considérables ressources énergétiques en pétrole et gaz naturel, le Kazakhstan possède une des économies les plus fortes d'Asie centrale. En même temps, de profonds clivages socio-politiques entre habitants ethniquement Kazakhs et Russes ont généré dans le pays une tenson sociale palpable. Autres problèmes, la distribution déséquilibrée des ressources énergétiques aux investisseurs étrangers et à une élite économique restreinte, la présence grandissante de mouvements extrémistes violents, et un fossé qui s'élargit entre populations rurales et urbaines.

La présence de puissants voisins, précisément la Russie et la Chine, suscite aussi de grandes inquiétudes. Ces deux puissances sont des investisseurs et partenaires commerciaux majeurs de l'économie du Kazakhstan, et toutes deux attendent certaines faveurs en retour. La Chine réclame une allégeance politique sur des questions sensibles, dont le silence du Kazakhstan sur le sort des Ouïgours et Kazakhs chinois actuellement détenus dans des camps au Xinjiang.

S'agissant de changement politique, l'émergence d'une action d'importance de l'opposition est improbable. Si des voix retentissantes d'opposants politiques existaient bien dans le pays au début des années 1990, des mesures brutales de censure et de contrôle politique les ont décimées.

Aujourd'hui, la plupart des médias réellement indépendants informant sur le Kazakhstan fonctionnent depuis l'étranger. Quand Moukhtar Abliazov, un des rares leaders d'opposition, bien que controversé, a voulu faire connaître son opinion via YouTube le 19 mars, l'internet était coupé dans tout le pays, peut-être à cause des vidéos.

La fille de Nazarbaïev au premier rang de la succession au pouvoir ?

Qui va prendre la relève ? La question est dans tous les esprits, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Les scénarios possibles sur le ou la bénéficiaire du transfert de pouvoir abondent, notamment parce que le Kazakhstan est une société hautement patriarcale où le pouvoir tend à rester “dans la famille”.

Nazarbaïev n'a pas de fils, mais trois filles, Dariga, Dinara et Aliya. Dariga Nazarbaïeva a été largement vantée dans la sphère publique comme une personnalité médiatique et politique influente, et a été vice-premier ministre en 2015-2016.

Un des scénarios d'avenir plausibles est que Tokaïev convoque des élections dans les prochains mois, permettant à Dariga Nazarbaïeva d'être candidate du parti au pouvoir Nur Otan.  Un.e candidat.e de la famille étendue ou au minimum du même parti politique va quasi-certainement émerger comme tête de liste.

Interrogée par Global Voices, Irina Petrouchova, rédactrice en chef du portail d'information à direction indépendante KazakhSTAN 2.0, a commenté ainsi la prévalence des liens familiaux dans la direction kazakhe :

Думаю, Дарига может стать президентом, несмотря на то, что она женщина. И несмотря на то, что у нее безусловно есть оппоненты в существующих в окружении Назарбаева кланах. Гарантию может дать только очень доверенный человек во власти.. эти персоны, конечно, в идеале должны быть из Семьи: дочь, племянник, зять.  Именно поэтому Дарига стала сегодня спикером Сената – если вдруг что не так с Токаевым, она сразу подхватит выпавшее знамя власти.

Je pense que Dariga peut devenir présidente, même si c'est une femme, et malgré le fait qu'elle a sans aucun doute des opposants dans les clans qui entourent Nazarbaïev. Seul quelqu'un de très fiable à l'intérieur du pouvoir peut [leur] donner des garanties… ces personnes, évidemment, doivent dans l'idéal être de la famille : fille, neveu, gendre. C'est précisément pour cela que Dariga est devenue aujourd'hui présidente du Sénat : au cas où soudain ça n'irait pas avec Tokaïev, elle pourra immédiatement ramasser l'étendard du pouvoir tombé à terre.

Réactions mêlées au Kazakhstan

Certains Kazakhs se sont réjouis de la transition, pendant que d'autres restaient apathiques, le dénouement du transfert de pouvoir restant brumeux.

Pour Irina Petrouchova :

Сам по себе факт смены власти (пусть даже формальной) это позитивно, поскольку в стране три десятка лет не было вообще никакой смены власти.

Le fait même du changement de pouvoir (bien qu'encore seulement sur la forme) est positif, puisqu'en trois décennies dans ce pays il n'y pas eu de transfert de pouvoir du tout.

Mais des signes existent aussi de puissant rejet de l'actuel culte de la personnalité entourant Nazarbaïev et sa famille. Le nouveau gouvernement a promptement annoncé dès le 20 mars une de ses premières mesures : la capitale Astana va être renommée Noursoultan, le prénom de Nazarbaïev. Nazarbaïev avait lui-même déplacé la capitale d'Almaty à Astana en 1997.

Le jour même, une pétition en ligne réunissait plus de 13.000 noms pour s'opposer à cette décision, un nombre élevé selon les normes kazakhes.

Le président kirghize Almazbek Atambayev et son homologue kazakh Noursoultan Nazarbaïev en des temps plus heureux. Photo du service de presse présidentiel du Kazakhstan reprise par RFE/RL.

Des voisins attentifs

Les pays voisins suivent tout ceci de près, à l'affût de changements de politique étrangère. Il y a aussi des signes que la “méthode” Nazarbaïev de transition puisse devenir un modèle dans la région.

Les utilisateurs de médias sociaux dans la blogosphère russophone se sont interrogés sur la possibilité que le transfert de pouvoir à la Nazarbaïev puisse inspirer la Russie, où Vladimir Poutine perd en popularité et n'a pas désigné de successeur. Dans la même veine, au Turkménistan et Tadjikistan voisins, les dirigeants indiscutés Berdymoukhammedov et Rakhmon préparent leurs fils à leur succéder.

La nouvelle a également pris par surprise la République kirghize contiguë, pays qui a vécu une transmission pacifique du pouvoir fin 2017. Bektour Iskender, cofondateur de la plateforme de média citoyen Kloop a commenté :

В Кыргызстане новость об отставке Назарбаева была скорее сюрпризом — наверное, потому что мы не так особо понимаем процессы, которые там происходят. Назарбаев увидел, как печально сложилась история семьи Ислама Каримова в Узбекистане после его смерти. Поэтому надо как-то укрепить позиции наследников, передать им власть при жизни, убедиться, что их все слушаются, а потом можно и умирать

Au Kirghizstan, la nouvelle de la démission de Nazarbaïev a davantage surpris : probablement parce que nous ne comprenons pas vraiment les processus à l’œuvre. Nazarbaïev a vu comment l'histoire a tristement mal tourné en Ouzbékistan pour la famille d'Islam Karimov après sa mort. C'est pourquoi il faut consolider d'une façon ou d'une autre la position des successeurs, leur transférer le pouvoir pendant qu'on est en vie, s'assurer que tous obéissent, après quoi on peut mourir.

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