‘Qui a commandité l'assassinat de Marielle Franco ?’ demande le Brésil un an après le meurtre de la conseillère municipale

La veuve de Marielle, l'architecte militante Monica Benicio, a tatoué son visage sur son bras. Photo: Fernando Frazão, Agência Brasil. Reproduction autorisée sous condition d'attribution.

Le visage et le nom de Marielle Franco sont devenus familiers à travers le Brésil et dans de nombreuses manifestations depuis qu'elle a été assassinée le 14 mars 2018. Cette femme politique de Rio de Janeiro, arrivée en cinquième position des candidats les mieux élus aux élections des conseillers municipaux en 2016, a été abattue cette nuit-là, en même temps que son chauffeur Anderson Gomes qui la ramenait chez elle.

Deux jours avant le premier anniversaire de sa mort, la police a annoncé l'arrestation de deux suspects. Le policier militaire à la retraite de 46 ans Elcio Queiroz, exclu de la police pour travail illégal dans des maisons de jeux, est suspecté d'être celui qui conduisait la voiture qui a surpris Marielle Franco. Le tireur suspecté était Ronnie Lessa, 48 ans, un sergent qui n'a jamais été accusé de crime auparavant, mais dont la réputation de sniper affûté n'est plus à faire.

Selon le journal O Globo, après plusieurs retournements de situations et suite à la séparation de l'enquête en deux parties distinctes (une sur les traces du tireur, l'autre sur celles du commanditaire), la police civile de Rio a pu arrêter les suspects en remontant la piste complexe d'une liste de téléphones portables ayant borné dans la zone du crime.

Mais même après avoir appris les noms de ceux qui avaient appuyé sur la gâchette, les nombreux Brésiliens qui ont manifesté dans les rues le 14 mars de cette année ont bien senti qu'il manquait encore une réponse dans ce dossier. La grande question reste en effet posée. Celle que pose la journaliste brésilienne Eliane Brum, qui tweete tous les jours depuis un an  “qui a tué Marielle ” :

Nous voulons savoir: QUI A COMMANDITÉ LE MEURTRE DE MARIELLE? ET POURQUOI?

Le tireur

La police a eu accès à l'historique du téléphone de Lessa. Selon les enquêteurs, il avait une obsession pour “les gauchistes”. Le programme de Marielle et de son mentor en politique, le député Marcelo Freixo, faisait partie des ses recherche en ligne. La haine politique pourrait être l'un des mobiles, dit un des enquêteurs.

Mais nombreux sont ceux qui doutent de ce mobile. Lessa, le militaire à la retraite devenu policier, était un mercenaire très connu dans les cercles de la police. Il travaillait notoirement comme mercenaire pour l'un des chefs du jeu illégal à Rio depuis quelques années, jusqu'à ce que le fils de celui-ci soit tué dans une attaque à la bombe. La crédibilité de Lessa a alors été fortement entamée, puisqu'il avait failli dans la protection de la famille de son patron.

Le patrimoine de Lessa semble aussi ne pas correspondre à la pension d'un militaire à la retraite. Il possède en effet une voiture blindée estimée à 31.000 dollars, un bateau fabriqué sur-mesure, et il vit dans une maison d'un quartier luxueux de Rio, où les loyers tournent autour des 2.000 dollars plus 500 dollars de charges. Selon la Folha de São Paulo, la maison de Lessa se situe dans la même rue que celle où vit le président Jair Bolsonaro. La police a aussi confirmé que l'un des fils de Bolsonaro avait fréquenté la fille des Lessa.

Le tweet dit: Les chiens ont aboyé, mais les manifestations sont passées.
La banderole dit : Qui a donné l'ordre au voisin du président de tuer Marielle ?

Bolsonaro a répondu aux journalistes qu'il n'avait aucun souvenir de son voisin.Le président a ajouté, sur le ton de la plaisanterie, que Renan, son plus jeune fils, avait flirté avec tout le voisinage, et que donc il ne se souvenait pas de “cette fille”. La police écarte le fait que ce ne soit qu'une coïncidence.

Le jour où Lessa a été arrêté, la police a trouvé 117 armes à feu qu'il avait entreposées chez un ami. Elle a aussi découvert qu'il avait reçu une somme de 26.000 dollars en espèces sept mois après le meurtre de Marielle.

La question reste posée

En janvier, la police a arrêté des individus liés à un groupe paramilitaire (connu à Rio sous le nom de “milice”) appelé le “Bureau du Crime” et a émis l'idée qu'ils pouvaient avoir des liens avec le meurtre de Marielle Franco. La mère et la sœur de l'un des membres étaient des employées de Flavio Bolsonaro, l’aîné des fils du président, élu sénateur en 2018.

The Intercept Brazil fut le premier organe de presse à attirer l'attention, en 2018, sur le lien entre le dossier Marielle Franco et la milice du “Bureau du Crime”. L'article publié la semaine dernière par UOL révèle que cette milice dispose de membres travaillant dans l'unité d'enquête sur les homicides de la Police de Rio. Leandro Demori, le rédacteur en chef de The Intercept Brazil, a tweeté cet article et dit :

Après tout ce vacarme sur le Bureau du Crime, le nom a disparu des titres des journaux suite aux arrestations de cette semaine. Bizarre, non ? En fait, non. “La police fédérale soupçonne la milice connue sous le nom de “Bureau du Crime” d'avoir des personnels infiltrés dans l'unité d'enquête sur les homicides”

Dans sa chronique, Eliane Brum résume les questions restées en suspens dans le meurtre de Marielle Franco :

Quando finalmente for descoberto quem mandou matar Marielle Franco – e por quê –, não será apenas um crime que vai ser elucidado. É a anatomia do Brasil atual que poderá ser desvelada em todo o seu espantoso horror. Mas os mandantes – e os motivos – só serão revelados se continuarmos a perguntar: “Quem mandou matar Marielle? E por quê?”

Quand, finalement, nous découvrirons qui a commandité le meurtre de Marielle Franco – et pourquoi -, il ne s'agira pas que de l'élucidation d'un crime. C'est l'anatomie du Brésil actuel qui pourra être ainsi révélée dans sa terrifiante horreur. Mais les commanditaires – ainsi que leurs motifs – ne seront enfin révélés que si nous persistons à demander : “Qui a commandité le meurtre de Marielle? Et pourquoi ?”.

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