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Pourquoi le peuple autochtone Pemón a serré les rangs face au gouvernement de Nicolás Maduro

Catégories: Amérique latine, Venezuela, Droits humains, Gouvernance, Manifestations, Médias citoyens, Peuples indigènes, Politique
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Sur une fresque de la ville de Guarenas, au nord du Venezuela, on peut lire : « Non au massacre du peuple autochtone. ». Photo partagée par Provea sur Instagram. Reproduction autorisée.

[Article d'origine publié en espagnol le 7 mars 2019] Fin février, lorsque les foules menées par le chef de l'opposition Juan Guaidó ont tenté d'apporter de l’aide humanitaire [2] [en anglais, comme pour tous les liens ci-dessous] par les frontières de la Colombie et du Brésil, le peuple autochtone Pemón a fait la une de la presse internationale après que certains de ses membres se sont heurtés aux forces de sécurité vénézuéliennes.

Les 22 et 23 février, les militaires ont affronté les manifestants [3] dans les villes frontalières de Pacaraima (Brésil) et Santa Elena de Uairén (Venezuela). Ils ont utilisé la force létale [4] contre les autochtones Pemón dans le village vénézuélien de Kumarakapay, localisé à 70 km de la frontière, faisant un mort et seize blessés. Les jours suivants, six autres Pemón sont morts [5] dans les hôpitaux de la région.

Certains Pemón ont réagi en capturant [6] un nombre indéterminé [7] d'officiers de la Garde nationale bolivarienne du Venezuela, qui ont été libérés peu après. Dans les semaines qui ont suivi, la police a arrêté au moins 58 personnes [7] dans les environs, dont 16 du peuple Pemón. Certains ont déclaré avoir subi des tortures et des traitements cruels pendant leur détention.

Lors d'un entretien [8] avec Sic magazine, une publication de Centro Gumilla, un centre de recherche jésuite, une activiste Pemón, Lisa Henrito, a condamné la répression à Gran Sabana, la municipalité vénézuélienne élargie qui inclut Kumarakapay et Santa Elena de Uairén :

…hasta esta fecha y hora, martes, 26 de febrero 2019 a las 5:55 pm sigue la guerra psicológica, hostigamiento y persecución militar. La intimidación donde a cada rato pasan los tanques, los convoy full de efectivos militares, vehículos oficiales con supuestos efectivos de la policía allanando casas y en hora de la noche hay toque de queda, una situación que ya vienen afectando a nuestros ancianos y ancianas, a nuestros niños y niñas…

…Jusqu'à ce jour, mardi 26 février 2019, 17h55, la guerre psychologique, le harcèlement et la persécution par les militaires se poursuivent. C'est l'intimidation à tout moment avec des blindés militaires qui passent, ainsi que des convois pleins d'effectifs militaires, et des véhicules officiels avec des prétendus policiers fouillant les maisons. Il y a un couvre-feu la nuit. Cette situation affecte nos aînés et nos enfants…

Mais les tensions entre les Pemóns et le gouvernement de Nicolás Maduro sont bien antérieures à l'impasse politique actuelle au Venezuela.

Habitant principalement dans l'État vénézuélien du Bolívar, qui borde à la fois le Brésil et le Guyana, les Pemóns constituent le quatrième plus grand [9]groupe autochtone du Venezuela. Ces dernières années, le président bolivarien a autorisé les projets d'extraction minière sur leur territoire sans leur accord et a déployé régulièrement des forces militaires sur leurs terres.

Certains de ces projets font partie du développement stratégique national de l’arc minier de l’Orénoque, un grand projet du gouvernement Maduro de 2016, qui souhaite augmenter l'activité minière légale dans le bassin de l'Orénoque, riche en ressources — et longtemps dominée par des gangs aux activités minières illégales.

L’Arc Minier, comme on l'appelle communément, alloue à l'exploitation une zone correspondant à 12 % du territoire national du Venezuela. Jusqu'à présent, plus de 150 entreprises de 35 pays ont manifesté leur intérêt [10] à concourir pour obtenir des concessions.

Mais l'initiative a été critiquée [11] du fait de l'absence d'études concernant son impact potentiel sur l'environnement et l'homme. Plusieurs groupes autochtones vivent dans la zone désignée — dont les Pemóns, qui expliquent qu'ils n'ont pas été consultés sur le projet. La zone empiète [12] [en espagnol] aussi sur les réserves protégées, telles que les parcs nationaux et sites sacrés.

En août 2018, la section vénézuélienne d'Amnesty International a averti [13] que de hauts responsables de l'armée prennent régulièrement pour cible des militants Pemón qui protestent contre les projets de l'Arc minier. Les officiers de l'armée les accusent [14] couramment d'être des « séparatistes. »

Lors d'un entretien avec Global Voices Juan Carlos La Rosa, un membre du groupe éducatif Wainjirawa, une organisation autochtone interculturelle [15], explique que les Pemóns sont parvenus à un tel niveau d'autonomie que le gouvernement les considère maintenant comme une menace :

[La unidad y la organización de los pemón] no le gusta a un gobierno que tiene un plan minero como el Arco Minero del Orinoco. [Tampoco] le gusta a las bandas criminales, consentidas de manera ya muy clara por el ente encargado de la administración de seguridad de la región y del negocio del oro y el coltán.  

[L'unité et l'organisation du peuple Pemón] ne plaît pas au gouvernement qui a un plan minier avec l'Arc minier de l'Orénoque. [Elles déplaisent également] aux bandes criminelles, clairement tolérées par les responsables en charge de la sécurité de la région, et les barons de l'or et du coltan.

La Rosa ajoute que ces communautés autochtones sont dans des situations dangereuses, entourées de gangs illégaux et de militaires. Elles ont alors créé des alternatives pour défendre leurs territoires et leurs droits :

El pueblo pemón creó el Consejo de Caciques Generales del Pueblo Pemón, los liderazgos comunitarios y la Guardia Territorial Indígena Pemón, que no le pertenece a nadie sino a las comunidades. Se subordina a la autoridad ancestral electa por todos los pemón y no es un grupo paramilitar como lo están señalando las matrices producidas desde el gobierno nacional.

Le peuple Pemón a créé le conseil général des caciques Pemón, les chefferies communautaires, et la garde territoriale des autochtones Pemón. Et aucun d'eux ne relève de personne d'autre que des communautés. Ils sont subordonnés à une autorité ancestrale, élue par tout le peuple Pemón. Il ne s'agit pas de groupe paramilitaire, contrairement à ce que disent les éléments de langage du gouvernement national.

Suite au conflit sur l'aide humanitaire, La Rosa exhorte le monde à suivre attentivement la situation du peuple Pemón :

Estamos hablando de la posibilidad de una masacre y es importante que la opinión pública mundial vuelque su mirada hacia los territorios indígenas […] Hoy el gobierno que levanta las banderas de defensa de la soberanía frente a una eventual invasión militar extranjera, es un gobierno que le entrega a esas mismas potencias y a otras potencias, las concesiones mineras del 12 % del territorio nacional.

Nous parlons de la possibilité d'un massacre. Il est important que l'opinion publique mondiale tourne son attention vers les territoires indigènes […] Alors que le gouvernement lève l'étendard de la souveraineté face à une intervention militaire potentielle, il cède également à celles-ci et aux autres puissances mondiales les concessions minières correspondant à 12 % du territoire national.