A Bogotá, une amende pour “trafic de poèmes” incite les réseaux sociaux à défendre la poésie dans l'espace public

“Jesús Espicasa dans son laboratoire poétique de rue”, photographie de Vladimir Diana, partagée sur son blog Ce Caudata. Utilisation autorisée.

L'amende infligée à un poète de rue pour avoir vendu ses poèmes sur la voie publique a mis le feu aux poudres dans le débat sur le rôle de la poésie et des arts dans la vie quotidienne en Colombie. L'histoire commence à Usaquén, une localité au nord de la capitale lors d'une foire artisanale le 10 mars dernier.

Jesús Espicasa s'était installé là avec sa vieille machine à écrire pour taper des poèmes de son cru et les offrir aux visiteurs en échange d'une contribution volontaire. Des fonctionnaires de la mairie et des vigiles ont quant à eux considéré qu'Espicasa “envahissait l'espace public” et lui ont demandé de quitter les lieux. Le poète a refusé, l'administrateur de la foire a appelé la police et l'incident s'est conclu pour Espicasa dans un commissariat de police non loin de là où il a été verbalisé pour l'équivalent de 260 dollars US (environ 230 euros), soit la sanction la plus élevée du code de police.

Interrogé sur la nature du délit commis par Espicasa, l'un des agents a répondu d'un ton goguenard que c'était “un trafiquant de poèmes”.

L'incident est parvenu jusqu'à la rubrique opinion de l'écrivain William Ospina dans le journal El Espectador, d'autres médias s'en sont fait l'écho et, quelques jours plus tard, il est sorti sur les réseaux sociaux. Toutefois, le débat est allé bien au-delà de l'incident. Non seulement l'amende a été fustigée, mais une réflexion a été ouverte sur le rejet des artistes de la part des autorités, et en particulier des artistes de rue.

Dans un entretien pour RCN radio, Espicasa a expliqué que ce n'était pas la première fois qu'il se passait quelque chose de cet ordre, et qu'il n'était pas le seul à avoir connu ce type de situations : “l'institution publique fait se déplacer [les artistes] dans la rue puis les traite comme des criminels”, observe-t-il.

Pour William Ospina, ce qu'il s'est passé en dit long sur la manière dont les institutions voient l'espace public et les artistes qui s'y trouvent. W. Ospina estime que l'amende doit être retirée et qu'il faut présenter des excuses à Espicasa :

No sólo merecen un espacio en la ciudad, merecen un homenaje de la ciudadanía y de las autoridades [pero] nuestra barbarie autoritaria les pone multas y los declara criminales. ¡En un país lleno de criminalidad verdadera y devorado por la corrupción! […]¿Por qué aquí les ha dado por llamar espacio público a un espacio del que cada vez más quieren expulsar a los ciudadanos, un espacio que privatizan cuando quieren de mil maneras distintas, donde la libertad está cada vez más restringida y donde expresiones como la música y la poesía terminan siendo tratados como delitos?

Ils méritent non seulement un espace dans la ville, mais aussi un hommage de la part des citoyens et des autorités [au lieu de quoi] notre barbarie autoritaire leur met des amendes et en fait des criminels. Dans un pays où la véritable criminalité est partout et qui est dévoré par la corruption ! […] Pourquoi a-t-on nommé espace public un espace dont on veut de plus en plus expulser les citoyens, un espace que l'on privatise à loisir de mille et une manières, où la liberté est de plus en plus restreinte et où des moyens d'expression comme la musique et la poésie finissent par être traités comme des délits ?

#PoésieÀLaRue

Sur les réseaux sociaux, on est accouru pour défendre le poète. Des utilisateurs tels que l'avocat et criminologue Daniel Mendoza ont indiqué que le fait était un moyen de faire taire la conscience collective :

La prison pour les écrivains et les poètes, la torture inquisitrice pour les traducteurs de la conscience collective, personne ne la veut toute nue, lui enlever les œillères et le bâillon c'est la laisser dans le for intérieur et afficher la vérité… c'est un attentat à la morale.

Dans le même temps, à l'initiative de la journaliste Yolanda Ruiz Ceballos a été lancé le hashtag #PoesiaALaCalle (‘Poésie à la rue’) par le biais duquel de nombreuses personnes ont partagé des poèmes et ont exprimé leur soutien à Espicasa. Dans la vidéo, Mme Ruiz Ceballos résume ce qui s'est produit et lit le début du poème Fin et début de la poète polonaise Wisława Szymborska [fr]:

Poésie à la rue Qu'ils ne verbalisent pas les vers.

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