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La catastrophe du barrage de Brumadinho au Brésil inquiète dans l’État de São Paulo, qui compte plus de 7.000 retenues

Catégories: Amérique latine, Brésil, Catastrophe naturelle/attentat, Environnement, Médias citoyens

Des habitants assistent à une session de l'Assemblée législative | Image: Guilherme Gandolfi/Utilisation autorisée

Cet article est publié dans le cadre d'un partenariat entre Global Voices et Agência Mural. Il a été écrit par Jéssica Moreira et Ira Romão.

Le 25 janvier 2019, un barrage s'est rompu à la Mina do Córrego do Feijão [1], exploitée par la compagnie minière Vale à proximité de la ville de Brumadinho, dans l’État de Minas Gerais. La tragédie a fait 235 morts et 35 disparus. Le Procureur public du Minas Gerais a parlé de crime environnemental et d’homicide volontaire [2]. [2]

Cette catastrophe est devenue un sujet de préoccupation très discuté dans l’État voisin de São Paulo, et plus particulièrement à Perus, un district de la capitale de l’État. Sur les 7.449 barrages de l’État de São Paulo, deux sont situés à Perus, mais la plupart des habitants n'en ont pas connaissance, même trente ans après leur construction.

Le 20 mars, les habitants et les membres de mouvements sociaux du district ont tenu une soirée “Sommes-nous en sécurité ?” pour parler de l'état des retenues et informer sur les mesures préventives prises par la compagnie minière et la Défense civile régionale.

La directrice d'une école locale, la professeure Franciele Busico Lima, a raconté qu'on lui posait quotidiennement des questions sur les barrages. L'enseignante de 49 ans a rejoint les membres d'autres mouvements sociaux du voisinage pour organiser des réunions et trouver des moyens d'informer les riverains sur les risques liés aux barrages.

“On a tous appris par les médias. On ne savait pas. On connaissait l'existence des carrières mais pas des barrages, ni des problèmes que ça génère. On veut savoir”, dit-elle.

Lorsque des membres du Mouvement des personnes affectées par les barrages (MAB [3]), un groupe national de défense des droits, sont allés dans les bureaux de la Défense civile d’État pour recueillir le plan d'urgence des barrages, il leur a été répondu qu'il serait à leur disposition le 8 mars. Fin mars, ils n'en avaient toujours pas vu la couleur.

Franciele travaille à Cieja Perus, où les élèves ont interrogé sur les barrages | Image: Ira Romão/Agência Mural

Sollicitée par Agência Mural pour commenter, la Défense civile a déclaré que la version préliminaire a été distribuée. Cependant, “avant de le rendre public pour la collectivité, il y aura un examen institutionnel avec des ajustements et modifications subséquentes au Plan d'urgence”.

Mobiliser après Brumadinho

Les habitants de São Paulo se mobilisent depuis les premiers jours après les dommages causés à Brumadinho (une ville à 554 km de là).

En février, le MAB a organisé une audition publique de l'Assemblée législative (Alesp), à laquelle ont participé plus de 200 personnes concernées par les barrages à travers l'État, dont le quartier de Perus et les villes de Pedreira, Americana, Votorantim, Vale do Ribeira, Santos, Cubatão and Bertioga.

“C'est étonnant, le nombre de barrages présents dans l'État. Il y en a plus de sept mille – une sorte de “bombe” pouvant exploser à tout moment”, dit Liciane Andrioli, 38 ans, une membre de MAB.

La rencontre a servi de point de départ à l'activisme public autour de ces développements. “L'impression que ça nous donne est d'ouvrir une boîte noire dans l'État de São Paulo avec des incidents qui, à notre surprise, ont été invisibilisés”, explique Liciane. “Tant Vale que l'entreprise allemande de certification [TÜV-Süd, responsable du diagnostic qui a certifié la sécurité du barrage à Brumadinho] ont présenté l'information qu'il n'y avait aucun problème, et pourtant nous avons connu une des plus grosses tragédies sociale, de travail et environnementale de l'histoire du pays”.

“Nul ne sait ce qui se passe à l'intérieur des compagnies. On sait seulement leur volonté d'exploiter. Et la question de la sécurité est laissée à leur bon vouloir. Tout le monde a peur, chacun qui vit près d'une retenue est inquiet”, dit Cleiton Ferreira, 34 ans, un habitant de Perus et coordinateur de la communauté culturelle Quilombaque.

Sans accès aux plans d'urgence, difficile de savoir combien d'habitants pourraient être affectés dans la région. Un peu plus de 144.000 personnes vivent dans le district de Perus, et depuis la catastrophe de Brumadinho la population est dans l'inquiétude. Il y a eu beaucoup de discussions en ligne sur le sujet dans des groupes comme “Les Amis de Perus Officiel”, qui compte 77.000 membres et plus de 300 commentaires exprimant inquiétude et désarroi du fait du manque d'information.

Un sentiment de peur flotte également au-dessus des rues, écoles, dispensaires et autres lieux publics de la région. La grande question est : où se trouve le plan d'urgence et pourquoi n'a-t-il jamais été montré à la population ?

Les compagnies

Un des barrages de la région porte le nom de Pedreira Juruaçu. Son réservoir a une capacité de 3,1 millions de mètres cubes sur une superficie de 192.000 mètres carrés, et contient des résidus solides de la production de graviers, essentiellement du sable fin et de l'argile. Il appartient à la compagnie Embu S.A., créée en 1988.

Agência Mural a contacté Embu, et aux dires de l'ingénieur Marco Antônio Martins, le réservoir est déjà pratiquement plein. “La structure a été conçue, réalisée et opère en utilisant la méthode de remplissage vers l'aval, considérée par les ingénieurs comme la plus sûre pour ce type de retenue”, dit-il.

Il a ajouté que la compagnie a d'ores et déjà pris la décision de rechercher des procédés alternatifs de traitement des résidus, avant même la tragédie de Brumadinho. “La direction d'Embu S.A. et l'équipe technique n'ont pas de problème à affirmer la sécurité et la stabilité du barrage de Pedreira Juruaçu”, dit-il.

L'autre barrage comporte un réservoir d'eau et appartient à la compagnie Territorial São Paulo Mineração Ltd, créée en 2000.

Cette retenue a une hauteur de 25 mètres, une longueur approximative de 160 mètres, une capacité du réservoir d'approximativement 66 milliers de mètres cubes. Par le passé, le réservoir a servi à entreposer des matériaux pris à la roche pour la production de sable utilisé dans l'industrie du bâtiment.

Selon Patrícia Bueno Moreira, directrice des affaires juridiques de Territorial, ce barrage a également été construit selon la méthode du remplissage vers l'aval. Elle a aussi souligné le fait que le barrage est inactif depuis plus d'un an.

“Il ne reçoit plus de résidus du processus de lavage du sable. Toutes les études nécessaires de confirmation de stabilité sont continuellement réalisées et notre personnel technique affirme que la structure est sûre”, a-t-elle affirmé.

En 2017, le Procureur public de São Paulo a mené un audit des deux compagnies. Pour le barrage de Territorial, l'audit a relevé des insuffisances liées à la vidange, telles que l'impossibilité de localiser la sortie de la vidange interne du barrage. Selon le rapport, “l'obstruction de la sortie de la vidange interne d'une retenue peut contribuer aux processus causant une potentielle rupture”.