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Les autochtones brésiliens actionnaires d'une compagnie de chemin de fer pour en dénoncer le non-respect des obligations environnementales

Catégories: Amérique latine, Brésil, Droits humains, Economie et entreprises, Environnement, Ethnicité et racisme, Manifestations, Médias citoyens, Peuples indigènes

Les populations autochtones affirment que le chemin de fer nouvellement allongé a nui à la faune de la région et menace leur sécurité. Image : Pedro Biava. Reproduction autorisée.

Le 24 avril, quelques visages inattendus sont apparus à l'assemblée des actionnaires de Rumo Logística, un consortium ferroviaire brésilien. Il s'agit un groupe de cinq autochtones des ethnies Guarani et Tupi ayant récemment acheté six actions de la société.

Ils représentent chacun l'une des cinq Terres autochtones officiellement désignées dans le sud-est de l'État de São Paulo, où un chemin de fer pour le fret, vieux de 90 ans et exploité par Rumo a commencé son extension en 2014. Afin de compenser les répercussions causées par le développement du chemin de fer, l’État oblige contractuellement l'entreprise à « construire de nouvelles maisons, des lieux de prière, un pont, des jardins communautaires et à acquérir des microtracteurs » pour les communautés. Environ 5.000 personnes vivent sur les cinq terres autochtones affectées par l'expansion du chemin de fer.

Mais selon un article du journal brésilien Folha de São Paulo [pt] [1], les représentants autochtones affirment que l'entreprise n'a pas respecté ses obligations contractuelles. Le Parquet fédéral le confirme [pt] [2] : 63 des 97 travaux de rénovation prévus dans le contrat de concession sont gelés. Le 19 avril, les procureurs ont recommandé à Ibama, l'agence nationale brésilienne de l'environnement, de suspendre immédiatement la construction du nouveau chemin de fer ainsi que la licence d'exploitation de Rumo. Ils ont également recommandé à l'agence d'infliger à Rumo une amende de 10 millions de réaux brésiliens (2,25 millions d'euros).

Dans une lettre lue devant l'assemblée le 24 avril, les cinq actionnaires autochtones ont expliqué leur situation désespérée. Ils ont décrit comment les trains ont affecté la faune de la région, et limité la circulation de la population. En outre, ils ont signalé leur difficulté à dialoguer avec Rumo. Ils ont aussi remis en cause le dernier rapport annuel de la société sur le développement durable, qui affirme que Rumo « remplit parfaitement ses obligations, de manière participative et inclusive, avec les communautés autochtones affectées ».

En parlant avec le journaliste Pedro Biava du journal Brasil de Fato [3], Adriano Karai, de l’ethnie Guarani, a déclaré que le but des actionnaires autochtones était simplement de faire entendre leur voix auprès des investisseurs de la société plutôt que de tirer profit des actions (qu'ils ont acheté pour 17 réaux brésiliens chacun, environ 3,84 euros).

Karai a également décrit quel impact le chemin de fer nouvellement allongé a eu sur sa communauté de Tenondé, située dans la ville de Paralheiros :

Tem o barulho do trem, que é a noite toda. Os animais não frequentam mais os locais de caça. A gente não tem mais uma noite calma. Eles também transportam muitos grãos que acabam se espalhando pelo território, e a gente sabe que aquele alimento não é de qualidade, é transgênico. (…) E a gente acaba convivendo com o perigo: o trem passa pelos nossos territórios, onde costumamos visitar as aldeias, nas trilhas. A gente corre o perigo de ser atropelado pelo trem, porque agora o trem passa a cada dez minutos.

Il y a le bruit du train, toute la nuit. Les animaux ne fréquentent plus les lieux de chasse. Nous n'avons pas une seule nuit tranquille. Ils transportent aussi beaucoup de céréales qui finissent par se répandre sur la terre, et nous savons que cette nourriture n'est pas de bonne qualité, qu'elle est transgénique. (…) Nos vies sont aussi en danger : le train traverse nos territoires, où nous nous visitons les communautés en marchant sur les sentiers. Nous risquons constamment d'être heurtés par un train, car il y en a un toutes les dix minutes.

Selon l'article de Folha, les communautés autochtones ont d'abord proposé à Rumo de confier les travaux de rénovation à un comité local géré par les communautés elles-mêmes. Selon le Bureau du Procureur, la société avait initialement donné son accord. Mais peu après l'élection en octobre 2018 du président Jair Bolsonaro, qui s'est présenté sur une plate-forme explicitement anti-autochtone, la société a changé d'attitude. Le 20 novembre, Rumo a soudainement annulé sa participation à une réunion avec les communautés, et depuis, elle ne s'est plus présentée à aucune autre réunion.

Lors d'un entretien avec Folha, l'entreprise a déclaré qu'elle n'avait jamais signé d'accord avec les communautés autochtones pour sous-traiter les travaux de rénovation à leur comité.

L'assemblée des actionnaires du 24 avril s'est terminée sans aucun accord formel. Toutefois les représentants de Rumo ont affirmé que les revendications autochtones seront discutées lors d'une réunion interne en mai.

Les travaux d'extension ont débuté en 2014. Environ 5000 autochtones vivent dans la région. Image : Pedro Biava. Reproduction autorisée.

L'activisme actionnarial

Les Guarani et les Tupi ne sont pas les seuls à s'engager dans ce qu'on appelle « l'activisme actionnarial [4] », une pratique qui n'est guère courante au Brésil.

En 2010, le groupe Coordination des victimes de Vale (Articulação dos Atingidos e Atingidas pela Vale) a acheté les actions de la société afin de participer à ces assemblées.

Vale, est l'une des plus grandes sociétés minières du monde, et l'exploitant du barrage qui s'est rompu dans la ville de Brumadinho [5] en janvier 2019, tuant 236 personnes (34 sont toujours portées disparues).

Le journal O Globo [pt] [6] rapporte que le 30 avril, jour de l'assemblée des actionnaires, les membres de la Coordination ont épinglé des affiches avec les noms des personnes décédées sur les murs du siège social de Vale.

En exprimant leurs préoccupations lors de ces réunions, les entreprises sont obligées d'inscrire les revendications des militants dans leurs procès-verbaux. Une des membres de la Coordination, Carolina de Moura, elle-même actionnaire de Vale, l'a affirmé à O Globo :

Não vamos nos calar. A empresa tem que investir tudo o que ganha na melhoria dos rios e se preocupar com vidas humanas.

Nous allons continuer à parler. L'entreprise doit investir tout ce qu'elle produit dans l'amélioration de la qualité de nos rivières et se soucier des vies humaines.