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Le nouveau décret de Bolsonaro sur les armes à feu pourrait mettre les journalistes en danger, selon leurs associations

Catégories: Amérique latine, Brésil, Droits humains, Guerre/Conflit, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique

Bolsonaro signe son décret sur les armes le 7 mai, tandis que les députés célèbrent l'évènement en faisant le signe du pistolet. Photo: Marcos Corrêa, service de presse du gouvernement brésilien, CC-BY 2.0

Bien avant de briguer un mandat présidentiel, la marque de fabrique de Jair Bolsonaro était un geste des doigts en forme de pistolet. Assouplir la législation brésilienne en matière de contrôle des armes à feu était l'une des ses principales promesses de campagne, et il souhaite désormais la tenir. En janvier dernier il a signé un décret facilitant légèrement la détention d'armes à feu pour les civils, et le 7 mai, il en a signé un nouveau [1] encore plus permissif pour une vingtaine de catégories de professionnels.

Cela concerne les travailleurs sociaux, agents de la circulation, avocats, camionneurs, politiciens en exercice et chroniqueurs judiciaires, entre autres. Durant la cérémonie de signature, Bolsonaro a assuré que le décret se situe “juste dans les limites de la loi”. “Nous sommes allés jusqu'au maximum de ce que la loi nous permet de faire,” a-t-il déclaré.

L'Association brésilienne du journalisme d'investigation (Abraji) a publié un communiqué [2] demandant au gouvernement de révoquer l'article concernant les travailleurs de la presse :

Nos 16 anos em que a Abraji  oferece treinamentos de segurança a jornalistas em parceria com organizações internacionais como o International News Safety Institute (INSI), o porte de armas jamais foi apresentado como forma de proteção.
Há ações mais indicadas para aumentar a segurança de quem se arrisca para informar a população, como a estruturação adequada do Programa de Proteção a Defensores de Direitos Humanos, Ambientalistas e Comunicadores.

Depuis 16 ans que nous offrons aux journalistes des formation en sécurité en partenariat avec des organisations internationales telles que l'INSI (International News Safety Institute), le port d'armes n'a jamais été présenté comme une forme de protection.
Il y a des moyens plus appropriés pour améliorer la sécurité de ceux qui prennent des risques pour informer la population, comme le renforcement du programme de protection pour les défenseurs des droits humains, environnementalistes et communicants.

Le communiqué cite Fernando Molica [3], ancien directeur d'Abraji : “si le port d'arme garantissait l'intégrité physique, il n'y aurait pas autant de flics tués dans le pays.” D'après Molica, le décret est une manière détournée de transférer aux gens ce qui est de la responsabilité de l’État.

Com uma canetada, Bolsonaro transformou repórteres em alvo dos bandidos – os caras vão passar a achar que todos nós estamos armados e, que portanto, podemos atirar contra eles, é bem mais provável que eles disparem na nossa direção. Assaltantes terão mais um motivo para abordar caminhoneiros: além de carga a ser roubada, eles, em tese, terão armas que poderão ser arrecadadas.

D'un trait de plume, Bolsonaro a transformé les journalistes en cibles pour les criminels – les types vont penser que nous sommes tous armés, et que donc, nous pourrions leur tirer dessus, alors il est bien plus probable qu'ils tirent sur nous en premier. Les cambrioleurs auront une raison supplémentaire d'attaquer les camionneurs : en plus de voler la cargaison, ils pourront en théorie récolter aussi des armes.

Selon Igor Gielow, reporter pour le journal Folha de S. Paulo [4], les dangers que représente ce décret pourraient avoir un effet sur la couverture des conflits au Brésil :

O argumento da autodefesa fica prejudicado em um tiroteio: ou você estará de um lado, ou de outro. Levando a interpretação ao limite, o decreto quase impõe que repórteres policiais sejam “embedded”, ou seja, acompanhem as tropas do Estado, como acontece em quase todas as guerras.
Isso seria fatal para a diversidade de pontos de vista necessária a uma cobertura de conflito urbano no Brasil.

L'argument de l'autodéfense est bancal si on considère les cas de fusillade : vous êtes soit d'un côté, soit de l'autre. A la limite, le décret impose quasiment que les journalistes soient “embedded”, c'est-à-dire qu'ils accompagnent les forces de l'ordre, comme cela se fait dans presque toutes les guerres. Cela pourrait être fatal à la diversité de points de vue nécessaire à la couverture des conflits urbains au Brésil.

Peu après la signature du décret, le président de la Chambre basse, Rodrigo Maia, a indiqué que le Congrès pouvait encore s'opposer à certains articles :

A gente precisa discutir a questão das armas, a gente não pode fazer uma interpretação excessiva e ampliar ainda mais a violência que existe no Brasil. Vamos avaliar junto com a nossa assessoria sobre o que pode ter sido usurpado e dar atenção a esse tema que tem mobilizado a sociedade brasileira nas últimas horas

Nous devons discuter de la question des armes, nous ne pouvons pas faire une interprétation excessive et amplifier davantage la violence qui existe au Brésil. Avec l'aide de nos conseillers, nous allons évaluer dans quelle mesure le décret respecte ou ne respecte pas la loi, et prêter attention à cette question qui a mobilisé la société brésilienne ces dernières heures.

D'après l'ONG Reporters sans frontières [5], parmi les 66 journalistes qui ont été tués dans le monde en 2018, quatre étaient brésiliens. Un rapport d'Article 19 [NdT : une organisation britannique de défense des droits dont l'action est axée sur la liberté d'expression] datant de novembre 2018 indiquait [6] que “des journalistes et communicants sont tués au Brésil en toute impunité” et que “dans les petites villes, les blogueurs et présentateurs de radio courent le plus grand risque d'être tués en raison de leurs investigations”.

Le rapport souligne que “la majorité des meurtres semblent commis par des tueurs à gages, sous ordres de tiers”. Aucun des 4 journalistes brésiliens assassinés n'enquêtait sur des crimes. Laura Tresca, directrice régionale d'Article 19 pour l'Amérique du Sud indique dans son rapport :

La mort d'un communicant a de plus grandes conséquences pour la société brésilienne. Les victimes figurant dans ce rapport ont été réduites au silence pour avoir dénoncé la corruption et la criminalité. Leurs meurtres créent un climat de peur et d'autocensure qui empêche d'autres de demander des comptes à nos politiciens, notre gouvernement et nos grandes entreprises.