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Les Tchèques réclament la démission de la nouvelle ministre de la justice, dans une ambiance de contestation nationale du Premier ministre Andrej Babiš

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, République Tchèque, Droit, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Le rassemblement du 21 mai sur la place Wenceslas à Prague. Photo : Lucie Šarkadyová, utilisée avec son autorisation.

Des milliers de personnes se sont rassemblées dans plus de 220 villes grandes et petites [1] de la République tchèque mardi 28 mai, contre la nomination controversée [2] d'un nouveau ministre de la justice par le Premier ministre Andrej Babiš.

Marie Benešová a été nommée peu après que la police a transmis au Procureur [3] les accusations de fraude contre M. Babiš, soupçonné d'avoir utilisé des fonds de l'Union européenne pour la construction d'un hôtel de luxe. Mme Benešová est une ancienne conseillère du Président Miloš Zeman, un allié de Babiš. Dans le pays, l'affaire est connue comme celle du Nid de cigogne.

Les protestataires disent que Babiš tente d'nterférer dans les poursuites contre lui. Ils exigent la démission [4] de Benešová ainsi que de nouvelles mesures [5] pour protéger l'indépendance du pouvoir judiciaire.

Le rassemblement de mardi était le cinquième [6] d'une série de manifestations depuis la nomination de Benešová, et la première à impliquer de multiples agglomérations de province et plus uniquement Prague. Une nouvelle manifestation est prévue le 4 juin à Prague. L'association Million de moments pour la démocratie [7] est le principal fer de lance du mouvement contestataire.

Babiš est un milliardaire de l'agro-business [8] qui a été réélu en 2017, peu après que le scandale des subventions européennes a fait surface. Il nie [9] toute malversation et affirme que les manifestations font partie d'une campagne politique contre lui. Et a suggéré aux protestataires de former leur propre parti politique s'ils entendent contester son gouvernement.

Pendant ses fonctions de conseillère à la justice, Benešová aurait préparé un document confidentiel [10] sur le système judiciaire actuel, dans lequel elle soutenait l'interprétation de Babiš dans l'affaire des subventions européennes. Le Premier ministre a nié [11] l'existence d'un tel document.

Benešová affirme [12] son intention de déployer des réformes judiciaires limitant la durée en poste des procureurs, entre autres changements [13] dans le système de l'accusation publique. Les opposants y voient une tentative dissimulée d'écarter l'actuel Procureur général Pavel Zeman [14] ainsi que la Chef du Ministère public de Prague Lenka Bradáčová [15], tous deux en charge d'affaires liées à celle du Nid de cigogne.

Discussion sur Internet

Les discussions en ligne sur le sujet sont vives, avec des échanges de noms d'oiseaux de part et d'autre. Les partisans du pouvoir sont enclins à traiter les protestataires de “sluníčkář,” littéralement en tchèque “personne ensoleillée, imbécile heureux”, avec une connotation de naïveté et de défense d'idées irréalistes. Plus souvent encore, les manifestants sont accusés d'être “Café Prague”, ou “des cafés de Prague”, autrement dit, ce sont des intellectuels déconnectés de la vie réelle, avec des emplois-planques dans les domaines de la culture, des média, ou des associations où ils gagnent beaucoup d'argent à essentiellement ne rien faire.

De leur côté, les contestataires rétorquent que les défenseurs du Premier ministre sont des “mangeurs de beignets”, allusion aux distributions de beignets effectuées par Babiš dans ses campagnes électorales. Sous-entendu, les partisans de Babiš sont des personnes modestes qui votent en échange d'appâts à bas prix comme des petites choses à grignoter.

Un internaute a donné raison au Premier ministre d”ignorer les manifestations :

S'il fallait agir pour donner raison aux manifestants mécontents, on n'aurait plus besoin d'élections. Aujourd'hui c'est Babiš et Benešová, et si ça marche, les manifestants supprimeront les partis politiques gênants, puis les tribunaux, les gens, etc. Ça deviendrait une catastrophe.

Un autre a approuvé la riposte du Premier ministre aux protestataire :

Même si on n'admire pas forcément Babiš, le message aux dizaines de milliers de manifestants qu'ils n'ont qu'à former leur propre parti politique est bien envoyé à ces “ensoleillés”.

Un autre utilisateur de Twitter a laissé entendre que les emplois des protestataires n'ont aucune utilité sociale, raison pour laquelle ils préfèrent manifester que faire grève.

Le Café Prague doit manifester, car s'ils font grève, que se passera-t-il …?

A l'opposé du spectre, un utilisateur de Twitter est d'avis que les partisans de Babiš agissent par rancune :

A mon avis, les électeurs d'ANO ne savent pas pourquoi ils votent pour Babiš, et ils sont indifférents à tout ce qu'il fait de mauvais. De fait, Zeman et Babiš ont réussi à diviser la société tchèque de sorte que les gens qui votent ANO ne le font que par dépit contre le “café Prague qui ne travaille pas et veut détruire notre pays.”

Une autre internaute a souligné que Babiš possède les journaux les plus lus de la République tchèque et le soupçonne de les détourner pour faire sa propre promotion :

Au cas où les médias de Babiš prétendraient, une fois de plus, que seules quelques personnes sont venues Place Wenceslas, ce n'est pas vrai. Elle était pleine jusqu'à remplir les rails du tramway et les rues adjacentes. Au cas où Zeman et ses copains prétendraient que le Café Prague manifestait, ce n'est pas vrai. La gare centrale et les trains étaient remplis de manifestants.

Peu avant les élections au Parlement européens du 23 au 26 mai, un autre utilisateur de Twitter a rapporté avoir vu un lieu de distribution de beignets d'ANO, le parti politique de Babiš :

2 jours après une des plus grosses manifestations contre Babiš il y a un stand de promotion d'ANO à la station de métro I. P. Pavlova qui distribue des beignets. Et les gens les prennent ! Et le temps passe…

Malgré les manifestations the anti-gouvernementale, ANO a remporté [22] 6 des 21 sièges dévolus à la République tchèque au Parlement européen : deux de plus qu'aux précédentes élections en 2014.