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Commémorations de Tiananmen : vérité dérangeante pour Pékin, avertissement dramatique pour Hong Kong et Taïwan

Catégories: Chine, Hong Kong (Chine), Taïwan (ROC), Censure, Cyber-activisme, Droits humains, Histoire, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Relations internationales

Un jeune homme prend un selfie devant un panneau représentant les événements de juin 1989 avant le début du rassemblement du 30ème anniversaire à Hong Kong. Photo: Georgia Popplewell (CC BY SA).

Certaines images semblent se graver dans la mémoire : la séquence filmée d'un homme armé de son seul courage et de deux cabas qui arrête une colonne de tanks sur la place Tiananmen à Pékin en juin 1989 en est une.

Mais aujourd'hui ce souvenir ne perdure que hors de Chine, puisque Pékin ne s'épargne aucun effort pour éradiquer la moindre mention [1] du mouvement contestataire pour la démocratie des étudiants et ouvriers qui a fini dans un bain de sang la nuit du 3 au 4 juin 1989. Toute allusion à ces événements, qu'elle soit directe ou indirecte, en ligne ou hors ligne, est sévèrement punie, et a pour conséquences interrogatoires, arrestations, suppression du contenu en ligne [2], et gel des comptes de médias sociaux.

A l'extérieur de la Chine continentale, cependant, et en particulier à Hong Kong et Taïwan proche, le souvenir de ces événements reste vivant. Et la commémoration du 30ème anniversaire cette année de Liu Si—ou “6.4” comme on l'appelle couramment en chinois —tombe à un moment de sensibilité politique accrue dans ces deux sociétés chinoises où les citoyens jouissent encore d'une démocratie partielle ou complète.

A Hong Kong, qui depuis la rétrocession de 1997 [3], relève de la juridiction de la République populaire de Chine (RPC)  et du principe ‘Un pays, deux systèmes’ [4], le gouvernement examine un projet de loi relatif à l'extradition vers le continent [5] qui éroderait encore la sûreté des militants ou personnalités politiques dénonçant les pratiques de Pékin. A Taïwan, l'inquiétude monte autour de la dépendance économique envers le continent [6] à la veille d’élections présidentielles cruciales en 2020 [7]. Les sondages [8] montrent que le Kuomintang [9], actuellement dans l'opposition et considéré plus favorable au resserrement des liens économiques et éventuellement politiques avec Pékin, gagne du terrain contre la présidente actuelle Tsai Ing-wen, du Parti démocrae progressiste [10] (PDP).

De quoi expliquer l'affluence record tant à Hong Kong qu'à Taipei à leurs commémorations annuelles du 4 juin. tandis que d'autres villes dans le monde ont aussi marqué l'événement.

Hong Kong : “La vérité que vous gardez. . . depuis trente ans, transformée en notre ténacité”

Veillée aux bougies du 4 juin à  Victoria Park, Hong Kong, pour le 30ème anniversaire du massacre de la place Tiananmen. Image via inmediahk CC: AT-NC.

Comme le note Oiwan Lam sur Global Voices, “Hong Kong est un lieu de très haute importance à l'intérieur du régime chinois pour la préservation de la mémoire du 4 juin.” Les articles des médias évaluent le nombre de personnes rassemblées dans le Parc Victoria hier pour le rite annuel, observé depuis trente ans, à un nombre compris entre 100.000 et 180.000. Avec la participation de nombreux partis politiques et groupes militants, qui ont aussi saisi l'occasion de soutenir l'opposition au projet de loi d'extradition.

Les militants de Hong Kong ont saisi l'occasion de promouvoir l'opposition au projet de loi d'extradition et le rassemblement contre la mesure prévu le 9 juin. Photo: Georgia Popplewell (CC BY SA)

Le programme comportait un concert d'un groupe de rock local, des présentations vidéo, des discours et une cérémonie avec flambeaux, dépôt de fleurs et autodafé de cahiers de condoléances. Selon les termes du texte fourni par les organisateurs du rassemblement, l'Alliance hongkongaise de soutien au mouvement démocratique patriotique en Chine : “Votre résistance continue depuis trente ans à inspirer la résistance à domicile et hors des frontières. L'amour et la paix que vous montrez donnent depuis trente ans la puissance aux mouvements qui ont suivi. La vérité que vous avez gardée quel qu'en soit le prix, se transforme, depuis trente ans, en notre ténacité. C'est ce que vous voyez maintenant : la lumière des bougies de Victoria Park qui menace les hommes au pouvoir.”

Taipei : L'art au service du devoir de mémoire

La commémoration du 4 juin s'est déroulée sur la place de la Liberté [11]de Taipei face au Mémorial Tchang Kai-chek [12], le lieu traditionnel des grands événements publics, ainsi nommé en l'honneur de la transition démocratique de Taïwan dans les années 1990. Quelques centaines de personnes se sont rassemblées autour d'une scène pour écouter les orateurs, parmi lesquels des témoins directs et des militants de juin 1989, des responsables gouvernementaux et des militants de la démocratie. Plusieurs activistes de Hong Kong ont prononcé des mises en garde solennelles aux Taïwanais de ne pas se fier aux motivations de Pékin, disant “parler d'expérience”, après avoir assisté à la rapide érosion des libertés dans leur propre territoire. Une réplique de l'emblématique Déesse de la démocratie [13] a été installée bien en évidence sur la scène.

Commémoration du 30ème anniversaire de Tiananmen sur la place de la Liberté de Taipei, avec une copie de la Déesse de la démocratie sur la scène. Photo : Filip Noubel, utilisée avec autorisation

Étaient également présents les militants de l'indépendance du Tibet, et les défenseurs d'une action internationale à propos de l'emprisonnement de masse des Ouighours [14] en Chine de l'Ouest, une question mentionnée par presque tous les orateurs sur scène.

Plusieurs documentaires relatant les événements du 4 juin, y compris le combat des Mères de Tiananmen [15], ont été projetés. Les arts ont eu un rôle de premier plan dans la commémoration. L'Institut Tsai Jui-yueh de recherche sur la danse a présenté une chorégraphie [16] en l'honneur des Mères de Tiananmen.

La troupe de danse Tsai Jui-yueh donne une interprétation pleine d'émotion du 4 juin. Photo: Filip Noubel, utilisée avec autorisation

Plus près du mémorial Tchang Kai-chek, une installation gonflable de l'artiste taïwanaise Shake [17] dépeignant la fameuse scène de l'Homme au char est présente depuis la mi-mai. L’œuvre est elle-même inspirée par une caricature de l’artiste Badiucao, [18] qui a décidé de révéler sa véritable identité [19] pour ce 30ème anniversaire, en dépit des risques réels pour sa sécurité.

L'installation gonflable de l'Homme au char devant le mémorial Tchang Kai-chek. Photo : Filip Noubel, utilisée avec autorisation

Paris : un tank sur la place de la République

La France, qui a offert l'asile politique [20] à plusieurs meneurs du mouvement démocratique de 1989, a tenu une commémoration à Paris sur la place de la République, un lieu populaire de manifestations. Une image en 2 dimensions a été installée par l'organisation française de droits humains ACAT [21] pour rappeler aux Parisiens les événements du 4 juin 1989.

Le tank sur la place de la République. Photo : Jade Dussart, utilisée avec autorisation.

En fin de journée, des membres de la communauté chinoise de Paris et d'autres personnes ont tenu une commémoration publique pour les victimes du massacre de Tiananmen, tout en réitérant des appels à la transparence et à la justice.

Commémoration et prises de parole de militants français, chinois et taïwanais. Photo : Michel TD, utilisée avec autorisation.

Question de nombreux témoins et militants : Quand Pékin va-t-il finalement reconnaître des faits historiques ? Et à quand des excuses aux familles des victimes ?