- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Une foule record commémore le massacre de Tiananmen lors d'une veillée aux chandelles à Hong Kong

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Hong Kong (Chine), Droits humains, Histoire, Manifestations, Médias citoyens, Politique
[1]

4 juin 2019, veillée aux chandelles à Victoria Park. Via inmediahk CC : AT-NC.

Des milliers de Hongkongais ont participé à une veillée aux chandelles pour commémorer le 30ème anniversaire du massacre de Tiananmen à Victoria Park, mardi soir. Cet acte collectif de commémoration est devenu un rituel au cours des 30 dernières années, de nombreux Hongkongais continuant à honorer l'esprit de démocratisation de la Chine, ainsi que le prix élevé que certains ont payé pour cela le 4 juin 1989.

Le gouvernement chinois prétend toujours que le mouvement démocratique mené par les étudiants à Pékin en 1989 était un soulèvement manipulé par des forces étrangères. La protestation pacifique qui a duré 50 jours s'est achevée par une répression militaire le 4 juin 1989. Selon une estimation de la Croix-Rouge chinoise, 2700 civils ont été tués, mais d'autres sources indiquent un bilan bien plus lourd. Un document confidentiel du gouvernement américain dévoilé en 2014 [2] a rapporté que, selon une estimation interne chinoise, au moins 10 454 civils avaient été tués.

En Chine, l'incident du 4 juin, comme on le nomme, est resté un tabou pendant 30 ans. La majorité de la jeune génération n'a jamais entendu parler de la répression militaire, étant donné qu'elle n'a pas été évoquée dans les journaux. De même, les discussions en ligne au sujet des événements ont été et restent censurées. Cette année, le Global Times, organe de presse affilié au Parti Communiste Chinois (PCC), a décrit ce type de censure comme un « succès politique », dans la mesure où il a fait de l'incident du 4 juin « un événement historique fané plutôt qu'un imbroglio véritable ». 

Photo de la veillée aux chandelles prise par Georgia Popplewell. Usage autorisé.

Hong Kong est le cœur de la préservation de la mémoire du 4 juin en Chine. L'organisateur de la veillée aux chandelles annuelle, l'Alliance hongkongaise en faveur du mouvement démocratique patriotique en Chine, a également fondé un musée du 4 juin [3] dans la ville en 2014.

Chaque année, l'organisateur fournit également une mise à jour de la documentation actuelle sur les victimes du massacre de Tiananmen, étant donné que le gouvernement chinois  bloque toute enquête. La mise à jour est effectuée par les Mères de Tiananmen, un groupe civil composé de familles de victimes. Malgré un harcèlement, une surveillance et des menaces constantes, le groupe a à ce jour identifié et documenté [4] collectivement les morts de 202 individus lors de la répression du 4 juin.

[5]

Les Mères de Tiananmen ont juré qu'elles continueraient à chercher la vérité, dans leur message vidéo adressé aux habitants de Hong Kong durant la veillée aux chandelles. Image via inmediahk.net CC: AT-NC.

D'anciens journalistes et étudiants qui étaient sur la place Tiananmen durant la répression ont également partagé leurs témoignages. Durant la veillée nocturne aux chandelles, Liane Lee, ancienne étudiante militante, a témoigné pour la première fois sur scène (transcript chinois par the Initium [6]) :

在救護站,死傷枕藉,有個大學生後頸被槍傷,傷得一片血肉模糊,全身癱瘓,但仍不停的說:「堅持到底,不要放棄。」

救傷車不停響號,穿梭往來救護站與醫院。有一架救傷車來到,在人群中,有人突然大聲說:「香港的學生上救護車。」我們愕然,我們說,我們沒事,不需要去醫院,不需要上救護車,我們會留在廣場。

第二架救護車來了,更多的人群,更大的聲音說:「香港的學生上救護車。」我們堅定不肯上車。於是,一個女醫生上前握著我的手說:「孩子,你聽我說,你要上救護車,你要離開天安門廣場,安全的回到香港,告訴全世界的人,今晚所發生的一切。告訴他們,我們的政府是如何對待人民!」

於是,我就是這樣,佔了救護車的位置,離開天安門廣場!

三十年來,我要求自己記住每一個細節,記住他們每一個人的臉容,他們的聲音,他們的汗水,他們的淚水,甚至記住他們生命最後的體溫!

但我不知道他們的名字!三十年來,他們的唯一名字,就是中國共產黨以人民的名義,以中國的名義稱他們為暴徒。

Au poste médical [de la place Tiananmen], il y avait beaucoup de cadavres et de blessés. J'ai vu un étudiant qui avait été blessé par balle dans le dos près du cou. Son corps était couvert de sang mais il ne cessait de dire : « Continuez. N'abandonnez jamais. »

L'ambulance faisait des allers et retours incessants entre le poste médical et les hôpitaux. Une ambulance est venue, quelqu'un dans la foule a crié : « Étudiants hongkongais, montez dans l'ambulance ! » Nous avons répondu : « Nous allons bien, nous n'avons pas besoin d'aller à l'hôpital, nous n'avons pas besoin d'ambulance, nous resterons sur la place.»

Une autre ambulance est venue, davantage de personnes nous ont crié : « Étudiants hongkongais, montez dans l'ambulance ! ». Nous avons persisté dans notre refus. Une femme docteur s'est avancée et m'a saisi les mains : « Ma petite, écoute-moi, tu dois monter dans l'ambulance, tu dois quitter la place Tiananmen. Rentre saine et sauve à Hong Kong, raconte au monde ce qui s'est passé ici cette nuit. Raconte-leur comment notre gouvernement a traité son propre peuple ! »

Voilà comment j'ai pris place dans l'ambulance et ai quitté la place Tiananmen !

Depuis 30 ans, je m'exerce à me rappeler chaque détail, chaque visage, leurs voix, leur sueur, leurs larmes, et même leur température corporelle tandis qu'ils mouraient.

Mais j'ignore leurs noms. Durant les 30 dernières années, le Parti Communiste Chinois, qui dit agir au nom du peuple et au nom de la Chine, les a désignés par un seul nom : voyous.

[7]

Lee Lan Ko via inmediahk.net (CC: AT – NC)

En Chine continentale, le récit politique officiel décrit la répression militaire du 4 juin comme une mesure nécessaire pour préserver le système du parti unique, comme le reflète le dernier commentaire du Global Times :

La maîtrise de l'incident de 1989 par le gouvernement chinois a été un moment charnière qui a établi une claire distinction entre la Chine et les pays socialistes d'Europe de l'Est,  Union soviétique et Yougoslavie comprises. Depuis l'incident, la Chine a réussi à devenir la deuxième économie mondiale et le niveau de vie de sa population s'est rapidement amélioré. La politique d'évitement des polémiques a contribué au décollage économique du pays.

Dans  un tel contexte politique, le souvenir que les gens ont gardé du 4 juin est devenu un “crime”, comme le décrivent les paroles de la chanson Se souvenir est un crime [8] composée par le chanteur pop local Anthony Wong pour le 30ème anniversaire du massacre de Tiananmen.

回憶即使有罪
真相怎麼敢無言
歷史假使有人定被發現

Même si c'est un crime de se souvenir
La vérité trouvera le courage d'être dite
L'histoire sera révélée telle qu'elle est advenue

Anthony Wong s'est produit sur scène durant la veillée aux chandelles et a exhorté les Hongkongais à protester contre un amendement de la loi sur l'extradition [9] du territoire et à participer à une manifestation prévue pour le 9 juin.

La mer de bougies préserve l'esprit du souvenir et le courage de se rappeler. D'après l'organisateur de la veillée, 180 000 personnes sont venues commémorer le 30ème anniversaire du massacre de Tiananmen ; le record établi en 2014 a ainsi été dépassé.