L'équipe jamaïcaine de football féminin “Reggae Girlz” frappe fort pour entrer dans l'histoire

Capture d'écran d'une vidéo sur YouTube des Reggae Girlz jamaïcaines lors d'un match amical international avant la coupe du monde contre le Panama le 19 mai 2019. La Jamaïque a gagné 3 à 1. Vidéo diffusée par JFFLIVE.

L'équipe de football féminine jamaïcaine Reggae Girlz est en France pour disputer la coupe du monde féminine de la FIFA. Classées 53ème au niveau mondial, les homologues féminines des Reggae Boyz [fr] feront leur apparition contre le Brésil, actuellement 10ème, le 9 juin. Ce match ne sera pas une promenade de santé mais les Reggae Girlz sont arrivées jusque-là, signalant leur présence sur la scène mondiale, et c'est déjà en soi une réussite admirable.

Le parcours de l'équipe a commencé en 1991, quand les filles ont joué leur premier match international contre Haïti, perdant 1 à 0. Malgré ces débuts hésitants – et d’âpres difficultés au cours des décennies qui ont suivi – les Reggae Girlz sont devenues la première équipe féminine des Caraïbes de l'histoire à se qualifier pour la coupe du monde.

Leurs efforts ont fini par payer. En tant que ligue féminine locale qui a bataillé de nombreuses années avec seulement quelques sponsors, l'équipe nationale a été purement et simplement abandonnée en 2008. A l'époque, la fédération de football de Jamaïque (JFF en anglais) avait évoqué un manque de financements.

Puis, en 2015, est arrivée une improbable sauveteuse : Cedella Marley, dont le père Bob [fr] était bien connu pour aimer le football, a pris acte de la détresse des Reggae Girlz et a persuadé l'entraîneur Hue Menzies installé en Floride d'offrir ses services.

Après une campagne décevante à l'occasion de la coupe du monde 2015, qui a mené au second démantèlement de la ligue féminine l'année suivante, Hue Menzies a repris du service en 2018, avec le soutien total de Cedella Marley. Les Girlz ont défait le Panama lors d'une épreuve de tirs au but à suspense visant à se qualifier pour la compétition en 2019.

Pour Hue Menzies, il s'agissait entre autres de contribuer à faire évoluer dans le pays les comportements envers les femmes dans le football :

I took the project, it wasn't really a soccer deal but to try to see if we can change the mindset of how our people perceive females playing football. In my culture, females mainly do track and field and netball and they thought soccer [in general] is a poor man's sport and they didn't see that females could play football. That was the main reason that I took the job. Sometimes when you do something for a different purpose, good things happen.

J'ai intégré le projet, pas vraiment pour conclure un accord mais pour voir si nous pouvons faire évoluer la manière dont les gens perçoivent les femmes qui jouent au football. Dans ma culture, les femmes font surtout de l'athlétisme, du netball [N.d.T. sport semblable au basket-ball] et elles pensent que le football [en général] est un sport réservé aux hommes pauvres et elles ne savaient pas que les femmes pouvaient jouer au football. C'est principalement pour cela que j'ai accepté ce travail. Parfois, quand on fait quelque chose pour des raisons différentes, il en sort de bonnes choses.

Cedella Marley, qui dirige Tuf Gong International et la fondation Bob Marley, a affiché son soutien sur Twitter après avoir assisté au dernier match des Girlz en Jamaïque avant leur venue en France :

Quel bon moment au dernier match des Reggae Girlz avant de s'envoler vers la coupe du monde… et c'est une nouvelle victoire !

Une page Facebook sur le football fait remarquer :

The Reggae Girlz would not have become the first Caribbean nation to qualify for a Women's World Cup without the help of Cedella Marley.

Les Reggae Girlz ne seraient pas devenues la première nation caribéenne à se qualifier pour une coupe du monde féminine sans l'aide de Cedella Marley.

L'équipe a maintenant été ajoutée au jeu vidéo officiel de la FIFA 2019 et s'enorgueillit de sa propre mascotte emblématique :

Notre mascotte REGGAE TOYA est la réplique de la toute première poupée PARLANT LE DIALECTE JAMAÏCAIN créée pour valoriser les enfants noirs afin qu'eux aussi ressentent de l'amour-propre et de l'estime de soi. Merci aux poupées Zuree pour ce partenariat avec la fondation qui soutient le football féminin en Jamaïque.

A présent que l'équipe rencontre le succès et possède davantage de visibilité, le gouvernement jamaïcain encourage les Reggae Girlz dans leur élan. Le Premier ministre Andrew Holness a twitté :

Les Reggae Girlz débuteront la coupe du monde le 9 juin 2019. Je félicite les Reggae Girlz pour leur succès remarquable et j'encourage tous les Jamaïcains à soutenir l'équipe.

Sous la houlette de Hue Menzies, les Girlz ont joué et sont montées en grade principalement dans des clubs européens, même si certains membres de l'équipe étudient et jouent dans des universités états-uniennes. L'un des membres du groupe, la joueuse de premier plan Jody Brown, qui est issue de la ville rurale de Lime Hall, en Jamaïque, est encore au lycée.

L'attaquante à la forte carrure Khadijah “Bunny” Shaw, nommée footballeuse de l'année 2018 par l'édition britannique du Guardian, est également en train de devenir une star en Jamaïque. Née dans la ville marquée par la violence de Spanish Town, elle a grandi dans une famille nombreuse, où elle a appris à jouer au football avec les garçons, pieds nus dans la rue. Elle a perdu trois frères à cause de la violence de gang, mais s'est accrochée à ses études et a récemment été diplômée de l'université de Tennessee.

Ces récits sont certes sources d'inspiration mais une question demeure : Que se passera-t-il après la coupe du monde ?

Le football féminin en Jamaïque (et plus largement dans les Caraïbes) est-il destiné à durer ? Les sponsors locaux vont-ils enfin prendre leurs responsabilités, quelle que soit l'issue de la compétition en France ? Le public jamaïcain va-t-il continuer d'être électrisé par les Girlz, ou l'euphorie va-t-elle retomber ?

Cedella Marley a lancé une opération de levée de fonds en ligne, en ayant toujours à l'esprit avant tout la pérennité du football féminin.

Quoi que réserve l'avenir, les Jamaïcains vont prendre du bon temps à l'occasion de la compétition au cours des quelques semaines à venir. Parmi les nouveaux fans des Reggae Girlz, certains font leur sac pour se rendre en France et porter haut les couleurs de la Jamaïque, tandis que d'autres soutiendront l'équipe lors de la diffusion des rencontres dans les salons, les bars et les clubs sportifs à travers l'île et au sein de la diaspora.

Il existe même une chanson pour soutenir l'équipe, dont le refrain est “Strike hard!” [Frappe fort !].

C'est précisément cela que les supporters de l'équipe espèrent que les Reggae Girlz feront en France. Le football jamaïcain a toujours mis l'accent sur l'équipe masculine, malgré son manque de cohésion depuis sa qualification pour la coupe du monde en 1998.

Il est maintenant temps de prêter attention à la qualité de jeu des femmes. Grâce aux Reggae Girlz, la Jamaïque figure pour la première fois depuis 2006 dans les jeux vidéo de la FIFA et l'on veut croire qu'elles porteront aussi haut que leurs homologues masculins les couleurs de leur pays.

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