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Au Nigeria, montée des tensions dans la royauté de Kano avec le procès pour corruption du roi

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Nigéria, Droit, Economie et entreprises, Gouvernance, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique

Le roi Sanoussi II du royaume de Kano sur son trône au palais, État de Kano, Nigeria, septembre 2016. Le roi affronte en ce moment des accusations sérieuses de corruption et de détournements de fonds. Photo par DonCamillo via Wikimedia Commons: CC BY-SA 4.0 [1].

Une ambiance morose s'est installée dans la ville millénaire de Kano dans le nord du Nigeria, depuis que la Commission des plaintes contre la corruption de l’État de Kano enquête sur le roi Muhammad Sanoussi II [2], émir du royaume de Kano, pour des scandales financiers remontant à 2017 :

De nouveaux ennuis pour l’Émir Sanoussi : l'agence anti-corruption de Kano dévoile 5 graves accusations contre le Conseil de l’émirat

Le roi Sanoussi II du royaume de Kano (nord du Nigeria). Photo par Baaballiyo via Wikimedia Commons, March 2017, CC BY SA 4.0. [5]

“En notre qualité d'institution d’État, nous [avons commencé à] enquêter sut trois accusations en 2017. La procédure est toujours en cours. Le code 9 promulgué par la Chambre d'Assemblée de Kano nous confère le mandat d'enquêter sur toutes les institutions relevant de l'administration de l’État de Kano. Le Palais de Kano est l'une de celles-ci”, a déclaré Muhuyi Magaji Rimin Gado, président de la commission, dans un entretien avec Global Voices le 30 mai 2019.

Le royaume remontant à l'an 999, un des grands royaumes Haoussa du Nigeria, existe au sein de l’État moderne de Kano sous l'autorité du gouverneur d’État Abdullahi Umar Ganduje [6].

Ganduje, en bisbille avec le roi Sanoussi II, a pris la décision controversée de fracturer le royaume historique [7] en cinq parties, au détriment du pouvoir du roi.

La commission a enquêté sur le roi Sanoussi II et trois autres dignitaires : le chef de cabinet du palais Mannir Sanoussi, le responsable des finances Mujtaba Abba et le comptable Sani Kwaru qui auraient dilapidé près de 3,4 milliards [8] de nairas nigérians (environ 9,5 millions de dollars) depuis le couronnement du roi Sanoussi II en 2014.

La commission a publié un rapport en date du 31 mai [9] contenant cinq allégations précises [10] visant le palais, de détournements de fonds [10] entre 2014 et 2017 : l'attribution de contrats illégaux à 21 sociétés fictives ;  la dépense de 117 millions de nairas pour des générateurs (325.481 dollars) ; 54 millions de nairas dépensés en temps d'antenne et données (150.210 dollars) ; 105 millions sur un compte personnel (292.075 dollars) ; et 144 millions de nairas en notes d'hôtel et billets d'avion (400.542 dollars).

Le gouvernement de Kano enquête sur l'émir Sanoussi à propos du détournement supposé de 3,4 milliards de nairas

“…Cest regrettable, et nous [constatons] en outre que sept de ces sociétés ne sont pas déclarées auprès de l'administration”, a indiqué Muhuyi Magaji.

Sur la base de ces constatations, la commission a recommandé [10] la suspension du roi Sanoussi II et de “tous les autres suspects liés à cette affaire … jusqu'au résultat final de l'enquête”.

Quand Global Voices a demandé si l'enquête de la commission sur les irrégularités financières du roi était une forme de conflit politique, Muhuyi a répondu que ceci était une “accusation fausse et malveillante”. Selon lui, une poignée de particuliers inquiets ont découvert les malversations au Palais de Kano et dénoncé le roi en 2017 — à  ce moment, aucune hostilité n'existait encore entre l'administration de l’État et le roi Sanoussi II.

Sur Twitter, Abubakar A. Ibrahim n'est pas de cet avis :

S'il y a une seule chose à retenir du drame entre le gouverneur Ganduje et l'émir Sanoussiet et le retrait généreux par Buhari des allégations contre Goje c'est que ce combat ‘anti-corruption’ n'est qu'un chantage contre les opposants politiques. Plus ça change, plus c'est la même chose.

Immunité pour les gouverneurs

Ironie de l'histoire, le gouverneur Ganduje est lui-même au centre de scandales financiers, mais la section 308 [15] de la constitution nigériane interdit à la commission d'enquêter sur lui.

Pourtant, des images vidéo [16] circulant sur internet montrent Ganduje supposément recevoir des dessous-de-table [17] de contractants de l’État en 2018. Ganduje a nié catégoriquement.

En l'an de grâce 2019, Ganduje veut investiguer Sanoussi pour des allégations de corruption ???. Les prodiges n'ont pas de fin

Un beau vendredi matin pour vous rappeler que Ganduje, ce vieux voleur sans vergogne pris plusieurs fois par les caméras en train de se remplir les poches, enquête sur l'émir de Kano pour des accusations de corruption ?

Muhuyi Magaji dit que ce sont des rumeurs sans fondement qui ne circulent qu'en ligne et n'ont jamais été soulevées devant la commission, et que même si elles étaient invoquées, la commission n'a pas l'autorité légale d'examiner les actions du gouverneur :

Governor Ganduje is masked by the immunity of section 308 of the Nigerian constitution, which rules out the prosecute of top political office holders in a court of law until their term expires.

Le gouverneur Ganduje est couvert par l'immunité de la section 308 de la constitution du Nigeria, qui exclut les poursuites contre les titulaires de hautes fonctions politiques devant un tribunal avant la fin de leur mandat.

L'ancien gouverneur Ibrahim Shekarau [21] a créé la Commission des plaintes contre la corruption de l’État de Kano en 2005. La Chambre de l'Assemblée d’État de Kano a validé la loi [22] qui l'a instaurée [23].

Royauté de Kano : ‘Nous garderons le silence’

Vendredi 31 mai 2019, Global Voices s'est présenté au palais de la royauté de Kano en milieu de matinée, en quête de commentaires sur les allégations visant le roi et les trois autres suspects de malversations.

Le palais était rempli par les adeptes venus comme chaque vendredi faire allégeance au roi.

Global Voices a obtenu une entrevue avec le Chef de cabinet Mannir Sanoussi et est passé au travers des gardes et autres forces auxiliaires pour s'entretenir à l'intérieur du palais avec le haut responsable, qui a déclaré :

On behalf of the Emir, and the entire Kano palace, we will not recount. We are going back to court on June 13. And thus, we hold that we will keep silent.

Au nom de l’Émir, et du palais de Kano tout entier, nous ne parlerons pas. Nous retournons au tribunal le 13 juin. Nous nous en tenons donc à garder le silence.

Le 7 juin, le palais a publié un bref communiqué [24]au nom du roi, affirmant qu'il n'avait fait qu'hériter 1,8 milliard de nairas (5 millions de dollars) lors de son couronnement en 2014.

Dans un rebondissement récent, Aliko Dongote [25], un homme d'affaires international de Kano, aux côtés du gouverneur de l'Etat d'Ekiti Kayode Fayemi [26], a initié des pourparlers de paix [27]entre le gouverneur Ganduje et le roi Sanoussi II. Les détails de la rencontre n'ont pas été révélés.

Une planche de salut bienvenue. Les rois devraient être au-dessus de la politique, une vraie leçon.

A présent, les habitants de Kano et la communauté internationale attendent avec anxiété l’audience du 13 juin [30], où le tribunal doit décider du sort du royaume historique de Kano.