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Les médias sociaux en bleu pour le Soudan

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Soudan, Action humanitaire, Arts et Culture, Cyber-activisme, Droits humains, Guerre/Conflit, Idées, Manifestations, Médias citoyens, Politique

#BlueForSudan, une création de Roiya Khaled Abu Zied, [1] utilisation autorisée.

Depuis le renversement militaire [2] du Président Omar Al-Bachir après 30 ans de pouvoir, les tentatives des manifestants pro-démocratie [3]de négocier une transition vers un régime civil avec le Conseil militaire de transition (TMC) soudanais ont cafouillé, calé et finalement sont tombées en panne [4].

Le 3 juin, les Forces de soutien rapide [5] (RSF) soudanaises ont lancé un assaut impitoyable contre les manifestants pacifiques à Khartoum, la capitale. Les RSF sont composées de miliciens vétérans des célèbres “janjawid,” [6] un groupe paramilitaire opéré par le régime Al-Bachir pour mener le génocide au Darfour. [7]

Les deux journées de répression devant le quartier général de l'armée à Khartoum a laissé 112 [8] morts et plus de 700 [9] blessés, dont 12 enfants. Les médecins indiquent que plus de 70 personnes ont été violées [9] pendant l'assaut. Les morts étaient jetés dans le Nil [10] depuis le pont du Nil bleu pendant la nuit, disent de nombreux récits. Les nombres exacts sont difficiles à vérifier du fait de l'absence de coopération cohérente avec les autorités.

Mohammad Mattar, 26, ans, est l'un des nombreux protestataires [8] tués par balles par les RSF pendant le sit-in. Il était rentré à Khartoum en provenance de Londres, où il avait passé son diplôme d'ingénieur. Il a été abattu alors qu'il protégeait deux femmes pendant les manifestations, [11] selon divers récits circulant sur les médias sociaux.

Pour affronter leur deuil, les amis de Mattar ont débuté une campagne de médias sociaux [11] demandant aux gens de changer leurs photos de profil en nuances de bleu en signe de solidarité avec la lutte des manifestants pro-démocratie. Ils disent que la couleur préférée de Mattar était le bleu et que c'était la couleur qu'il portait sur ses photos de profil le jour de sa mort.

Une “vague bleue” [12] a alors déferlé sur les plateformes de médias sociaux. La couleur bleue en est venue à symboliser tous ceux qui ont perdu leur vie pendant le soulèvement.

“Mattar était bon, attentionné … il avait un cœur pur”, a dit un ami dans une vidéo de la BBC sur Mattar et la campagne de médias sociaux. Abdullah Al Fazh a dit que Mattar était “le genre de personne qu'on ne rencontre qu'une fois dans sa vie”.

Les amis de Mattar ont changé leurs photos de profil en bleu juste en mémoire de lui, mais ces derniers jours, #BlueforSudan (#BleuPourLeSoudan) est devenu un hashtag en tendance mondiale. Des vedettes comme Trevor Jackson et Rihanna [13] ont contribué à faire monter le hashtag en tendance mondiale.

#BlueforSudan à travers le monde

Des milliers d'internautes ont remplacé leur photo de profil par une surface bleue [11] sur les médias sociaux en l'honneur de Mattar et de la lutte pro-démocratie du Soudan :

A ceux qui participent à diffuser #BleuPourLeSoudan. La couleur bleue est venue d'un homme chaleureux, d'un martyr appelé Mohammed Hashim Mattar, mon cousin qui est décédé le 3 juin, fièrement. Le bleu était sa couleur préférée, qui représente désormais l'unité. ??

Pourquoi #BleuPourLeSoudan ? Le mouvement a été lancé par les amis en deuil de Mohamed Mattar, venu de Londres à Khartoum, qui aurait été abattu par les militaires alors qu'il protégeait deux femmes dans la répression. Le bleu était sa couleur préférée.

(Il faut prêter attention au Soudan)

L'envoyé des Nations Unies pour la jeunesse a tweeté :

En solidarité avec mes frères et sœurs du Soudan.
Représentant les 2/3 de la population, la jeunesse est le plus grand espoir du Soudan.
Je me joins aux militants du monde entier pour appeler à la fin des violences et exiger la protection des droits de la jeunesse soudanaise !

Le compte Twitter de Bob Marley a diffusé un message de paix pour le Soudan :

#BleuPourLeSoudan ?? “Tant que le fanatisme, les préjugés, et l'égoïsme méchant et inhumain ne seront pas supplantés par la compréhension, la tolérance et la bonne volonté… le continent africain ne connaîtra pas la paix.” Discours de Sa Majesté Impériale Haïlé Sélassié devant l'ONU, 1963

Un utilisateur de Twitter reconnaît que les campagnes comme celle-là “ne sauveront pas le monde” mais mais elle elle suscitera la prise de conscience et fera savoir aux protestataires au Soudan qu'ils ne sont pas seuls :

Ma nouvelle photo de profil

#BleuPourLeSoudan ne sauvera peut-être pas le monde, mais suscitera une prise de conscience sur un terrible problème qui sinon serait passé sous silence et , “espérons-le”, fera savoir aux Soudanais qu'ils ne sont pas seuls.

Soyez leur voix quand ils n'en ont pas.

Cette internaute a invité les gens à ne pas se contenter d'une photo de profil et à agir davantage :

#BleuPourLeSoudan
Cette fois nous devons tous agir. Il y a tellement de façons de faire quelque chose. Converser en ligne, demander aux responsables dans votre pays ce qu'ils comptent faire. Écrire aux médias. Quoi que vous fassiez, ne faites rien d'autre qui vous amène à vous demander un jour “Qu'est-ce que j'ai fait ?”

Pendant ce temps, la famille de Mattar a créé son propre compte Twitter appelé “MattarBlueMovement” pour garder vivant l'héritage de son esprit :

Cette page est créée par la famille et les amis de Mohamed Hashim Mattar pour garder les martyrs vivants et honorer leur mémoire. Ce n'est qu'un début. C'est le mouvement.

Après le trauma, la protestation reprend

Au lendemain de l'attaque des RSF, plusieurs officiers de l'armée ont été arrêtés et le TMC a lancé une enquête, admettant des fautes [34], selon le Guardian :

Sudan’s military rulers admitted that security forces had committed abuses during the attack on the camp. They appear to have been spontaneous as frustration grows after opposition leaders called off a general strike intended to force the generals to agree a transition to civilian rule.

Les chefs militaires soudanais ont reconnu que les forces de sécurité avaient commis des abus pendant l'attaque du campement. Ils paraissent avoir été spontanés alors que la frustration monte après que les chefs de l'opposition ont appelé à une grève destinée à contraindre les généraux à accepter une transition vers un régime civil.

Mais les contestataires accueillent avec circonspection les gestes de réconciliation du TMC pour reprendre les discussions, disant que la confiance est brisée avec le TMC après que celui-ci a abusé de son pouvoir [35] lors de la dispersion du 3 juin. Les protestataires demandent à la place une enquête indépendante [36] sur le massacre.

Le réalisateur soudanais primé Hajooj Kuka (de la série “Beats of the Antonov” [37]), a participé au sit-in et a aussi été blessé. Il a déclaré à City Press : “les récits de viols collectifs sont véridiques et cohérents avec ce que nous avons vu sur le terrain”. [38]

Le TMC continue à s'accrocher au pouvoir, avec l'aide financière de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis s'élevant à 3 milliards de dollars. [34]

Une coupure d'internet de 12 jours [39] a rendu difficile pour l’Association soudanaise des professionnels [40] (SPA) et d'autres parties prenantes de la coalition contestataire de continuer à organiser les manifestations sur les médias sociaux, mais vendredi 14 juin, les manifestations se poursuivaient à Khartoum et Port-Soudan, grâce au bouche-à-oreille et aux SMS. Manifestations qui elles aussi ont été réprimées avec munitions et force brute [41].

Le hashtag #IAmTheSudanRevolution (Je suis la révolution soudanaise), approuvé par le SPA — une voix fer de lance des manifestations dont les chefs ont été en première ligne des négociations — est aussi tendance :

#JeSuisLaRévolutionSoudanaise parce que mon peuple ne peut pas mourir en vain, ne peut pas mourir en silence sous un blackout de l”internet, parce que la protestation pacifique a été accueillie par un massacre, parce que mon peuple mérite la dignité, mérite la liberté, mérite que le monde nous connaisse, nous et notre combat.

Le rédacteur en chef de la BBC Afrique Fergal Keane [45] a interviewé des témoins oculaires qui décrivent comment le massacre avait un seul but : “briser la révolution en traumatisant”.

Les violences des RSF ont épuisé et failli briser l'esprit des protestataires ; l'impact de campagnes de médias sociaux comme #BlueForSudan n'en a que plus d'importance pour construire des ponts entre les protestataires et le reste du monde.