Netizen Report : Les civils soudanais qui manifestent pour la démocratie sont confrontés à la violence militaire — et aux coupures internet

Une manifestation à Khartoum, avril 2019. Photo de M. Saleh via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)

Le Netizen Report d’Advox offre un aperçu des défis à relever, des victoires obtenues et des tendances émergentes en matière de technologie et de droits de l’homme dans le monde. Cette édition couvre des informations et événements qui concernent la période du 1er au 13 juin 2019.

L’incertitude règne au Soudan depuis le renversement par l'armée du Président historique Omar el-Bachir en avril. Malgré les pourparlers entre les manifestants en faveur de la démocratie et le Conseil militaire de transition, les négociations ont échoué et les manifestants sont redescendus dans la rue.

Les tensions entre les manifestants et les autorités se sont intensifiées, les Forces de soutien rapide dont les membres sont des vétérans des milices responsables des pires massacres du Darfour ont tué plus de 100 manifestants, de nombreux cas de viols et de détroussage de civils ont également été signalés aux postes de contrôle militaires. Les citoyens soudanais ont néanmoins continué à faire pression pour une transition vers un gouvernement civil et ont lancé une grève générale le 9 juin.

Depuis le 3 juin, des tests techniques effectués par NetBlocks ont confirmé que la connexion internet mobile est coupée, ce qui réduit considérablement la capacité des gens à communiquer, partager ou accéder aux informations. La coupure a fortement touché les utilisateurs de Facebook qui dépendaient de la plateforme pour l’organisation des manifestations et de la grève.

Tandis que la plupart des civils (qui dépendent d’une connexion internet mobile) n’ont désormais plus accès à la plateforme, les Forces de soutien rapide, elles, utilisent toujours activement Facebook, probablement par le biais d’une connexion fixe, afin de promouvoir leur propre version des événements qui se déroulent actuellement au Soudan. Des militants soudanais ont organisé une campagne de pétiotion, exhortant Facebook à supprimer ces pages en reconnaissant qu’elles encouragent la violence perpétrée contre les manifestants pacifiques au Soudan.

Coupures d'internet au Liberia et en Éthiopie

Le Soudan n’est pas le seul pays d’Afrique en proie aux coupures d'internet ce mois-ci. Le 7 juin à Monrovia, la capitale du Liberia, des organes de presse ont signalé que de nombreuses personnes avaient des difficultés à accéder aux services des principaux médias sociaux lors de manifestations antigouvernementales. Les tests techniques réalisés par NetBlocks ont révélé que d’importants médias sociaux et services de communication notamment WhatsApp, Facebook, Twitter et Instagram étaient inaccessibles sur les deux principaux réseaux de télécommunication du pays détenus par Orange et Long Star. Les groupes de la société civile appellent les deux opérateurs de téléphonie à publier des communiqués pour expliquer les causes de ces pannes.

En Éthiopie, où les coupures internet sont fréquentes, NetBlocks a observé une coupure totale de l’accès à internet le 11 juin, celle-ci aurait été déclenchée par les responsables pédagogiques visant à empêcher les collégiens de tricher aux examens nationaux.

Manifestations de masse à Hong Kong : Telegram est devenu une cible

La proposition d’une loi sur l’extradition à Hong Kong a provoqué les manifestations les plus importantes depuis le « Mouvement des parapluies » de 2014, attirant des centaines de milliers de personnes dans les rues. Alors que les manifestations se poursuivaient cette semaine et sont devenues dangereuses avec notamment l’arrestation par la police d’au moins une douzaine de manifestants, le service de messagerie mobile sécurisée Telegram, a été attaqué. Pavel Dourov, PDG de Telegram a tweeté le 12 juin que les serveurs de la société avaient été temporairement paralysés par une attaque par déni de service distribué (DDoS) dû à des milliers de demandes envoyées aux serveurs de Telegram afin de saturer le système. Dourov a déclaré que les demandes provenaient principalement de la Chine continentale.

Parallèlement, l’administrateur d’un groupe de messagerie géant sur Telegram appelé « Eaux Internationales » (公海總谷) a été arrêté par la police de Hong Kong pour « conspiration en vue de commettre une nuisance publique ». Le groupe s’était transformé en plateforme d’organisation pour les manifestants. La police a demandé à l’administrateur de déverrouiller son téléphone portable et d’exporter la liste des noms des membres du groupe, qui se comptent par dizaines de milliers. Il a depuis été libéré sous caution.

Les censeurs chinois (et Twitter) entravent les commémorations du massacre de la place Tian’anmen

Le 4 juin marque le 30e anniversaire du massacre des manifestants étudiants sur la place Tian’anmen de Pékin par l’armée chinoise , en 1989. Le massacre, qui a entraîné la mort d’un nombre toujours inconnu de manifestants pacifiques (les estimations fondées sur les preuves situent le nombre de morts entre 2 700 et 10 454), n’a jamais été reconnu publiquement par le gouvernement chinois.

La terminologie et les images associées à l’événement ont longtemps été contrôlées en ligne — les recherches de l’Université de Hong Kong et du Citizen Lab[1] de l’Université de Toronto révèlent qu’il s’agit du sujet le plus censuré sur internet en Chine.

Alors qu’une grande quantité de contenu en ligne en relation avec l’événement a été censurée par les sites internet et les services chinois, cette année, le Twitter américain a également suspendu des centaines de comptes critiques du Parti communiste chinois, selon Hong Kong Free Press. Twitter s’est ensuite excusé et a réactivé les comptes, affirmant qu’ils avaient été bloqués par erreur dans le cadre des efforts de l’entreprise pour supprimer les comptes qui font la promotion du spam ou qui ont un comportement « non authentique ».

Touché par des manifestations postélectorales, le Kazakhstan bloque internet

Le Kazakhstan a tenu des élections présidentielles anticipées le 9 juin, une date également marquée par une coupure généralisée d’internet confirmée par des tests techniques, et rapportés par l’agence de presse pro-gouvernementale Tengri news.

Les élections font suite à la démission historique de Noursoultan Nazarbaïev, qui a maintenu un pouvoir incontesté sur cet État autocratique d’Asie centrale depuis la chute de l’Union soviétique en 1989 jusqu’en mars 2019, date de l’annonce de sa démission. Conformément à la constitution kazakhe, le président du Sénat, Kassym-Jomart Tokaïev, un loyaliste de Nazarbaïev, a officiellement pris le pouvoir le 20 mars et a ensuite été élu président le 9 juin.

Lors de rares manifestations de rue dans le pays, des militants et des citoyens ont exigé des élections libres et mis en avant des preuves de votes truqués. Au moins 500 personnes ont été arrêtées, dont des journalistes, en outre, la connexion internet sur mobile est toujours bloquée dans le centre d’Almaty, l’ancienne capitale du pays.

Un journaliste russe arrêté sur des chefs d’accusation contestables

Ivan Golounov, un journaliste d’investigation de renom, a été arrêté le 6 juin à Moscou pour ce qui semble être des accusations fabriquées de trafic et de possession de drogue. Un juge a d’abord libéré Golounov pour l’assigner à résidence, puis a rejeté les accusations portées contre lui, à la suite d’une large réprobation publique.

Golounov travaille pour Meduza, l’une des rares plateformes médiatiques en ligne indépendante en russe encore existantes. Il a mené et publié plusieurs enquêtes sur des affaires de corruption impliquant de hauts fonctionnaires. Dans un article d’opinion pour The Guardian, le rédacteur en chef de Golounov, Alexey Kovalev, également contributeur de Global Voices, a décrit la nature systémique de la répression des médias en Russie :

« Je suis certain que Poutine aurait stoppé cela s’il l’avait pu, mais vous ne pouvez pas arbitrairement libérer une victime de ce système sans admettre que de nombreux hauts fonctionnaires ont été impliqués dans un plan visant à piéger un homme innocent à cause de sa quête de la vérité. »

L’Iran lance une application de signalement des « crimes moraux »

Le pouvoir judiciaire iranien a annoncé son intention de lancer une application mobile qui permettra aux Iraniens de signaler les « crimes contre la moralité et la chasteté publiques » qui pourraient concerner notamment le retrait du foulard par les femmes ou l’affichage de messages « immoraux » sur les médias sociaux. Mahsa Alimardani, experte en technologie iranienne, également contributrice de Global Voices, a déclaré à The Independent que l’application « révèle la crainte que les normes “morales” de la République islamique d’Iran n’aient pas réussi à s’imposer dans la société de manière effective. »  Elle a également relevé que l’application violerait probablement les protections de la vie privée garanties par la constitution.

Nouvelles recherches

[1] Le Citizen Lab est un laboratoire interdisciplinaire basé à la Munk School of Global Affairs & Public Policy de l’Université de Toronto, qui se concentre sur la recherche, le développement et l’engagement stratégique et juridique de haut niveau à l’intersection des technologies de l’information et des communications, des droits de l’Homme et de la sécurité mondiale.

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