- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

‘Carrie Lam démission !’ : Deux millions de Hongkongais manifestent à nouveau contre le projet de loi d'extradition

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Hong Kong (Chine), Droit, Droits humains, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique
[1]

Sur la bannière : Pas touche aux jeunes derrière moi. Photo : inmediahk.net. Utilisée avec autorisation.

Malgré la promesse de la chef de l'exécutif de Hong Kong Carrie Lam le 15 juin de suspendre l'examen du projet de loi (amendement) d'extradition [2] après une série d'affrontements entre policiers anti-émeute et manifestants, près de deux millions d’habitants se sont à nouveau rassemblés dans les rues le dimanche 16 juin. Leurs exigences : la démission de Carrie Lam, le retrait total du projet de loi d'extradition, et l'abandon de la désignation comme “émeute” des manifestations du 12 juin.

La répression de la foule de manifestants [3] par la police de Hong Kong au moyen de gaz lacrymogènes, de sprays au poivre, de balles en caoutchouc et de ‘bean bags’ (des munitions en plastique) le 12 juin a laissé la société en état de choc. Beaucoup se demandent pourquoi la hiérarchie policière n'a pas tenté de séparer les rares manifestants agressifs des pacifiques, et pourquoi des balles de caoutchouc et des ‘bean bags’ ont été tirés sans sommation sur la foule.

Propos “maternels”

Enflammés par la description par Carrie Lam des heurts du 12 juin comme étant une “émeute” et par sa comparaison ‘maternaliste’ [4]des manifestants à des “enfants gâtés”, des milliers de mères de Hong Kong se sont rassemblées au parc de Chater Garden dans la soirée du 13 juin et ont descendu en flammes le soutien sans pitié de Mme Lam à la violente répression policière. Les mères ont déclaré que leurs fils et filles n'avaient rien d'émeutiers, se disant inquiètes que si elles ne parlaient pas haut et fort et n'agissaient pas, leurs enfants risquaient de se faire tirer dessus par la police dans de futures manifestations.

De nombreux parents se sont aussi joints au rassemblement du 16 juin avec leurs enfants pour exprimer leur soutien aux jeunes. Ils ont déployé des bannières avec des slogans tels que “Les enfants ne sont pas des émeutiers”, “Les étudiants ne sont pas des émeutiers”, “Ne tirez pas sur nos enfants”, et “Carrie Lam n'est pas notre mère”.

[5]

Des parents ont manifesté avec leurs enfants dimanche 16 juin. Sur la pancarte en chinois : “N'attaquez pas les journalistes” Photo : inmediahk.net. Utilisée avec autorisation.

‘Nous ne sommes pas des émeutiers’

D'autres manifestants tenaient des pancartes moqueuses parodiant les bannières d'avertissement de la police pour protester contre les voies de fait des policiers :

“Ne tirez pas, nous sommes des Hongkongais.” Les manifestants de Hong Kong portent des imitations des bannières d’avertissement de la police, habituellement déployées avant l'usage de lacrymogènes ou de sprays au poivre. (lien vers l'article intégral)

Pendant des heures et dans tout le rassemblement, les protestataires ont scandé : “Carrie Lam, démission !”, “Retrait du projet de loi d'extradition de la Chine”, “Les manifestants ne sont pas des émeutiers”, et “Libérez les manifestants arrêtés”.

Au moins 11 personnes ont été arrêtées à ce jour à cause des manifestations du 12 juin, et plusieurs, dont un enseignant et un homme âgé souffrant d'un cancer des poumons atteints par des balles en caoutchouc, sont inculpés pour “émeute”. La peine maximale pour cette infraction à Hong Kong peut aller jusqu'à dix ans d'emprisonnement.

Si les lois de la cité héritées de l'ère coloniale facilitent aux autorités l'inculpation des manifestants pour émeute, nul probablement excepté les autorités de Hong Kong n'osera qualifier la manifestation anti-chinoise contre l'extradition d’ “émeute” après avoir vu le rassemblement discipliné du dimanche 18 juin. Une vidéo du rassemblement partagée par la militante étudiante Agnes Chow sur Twitter montrait comment des milliers de manifestants ont ouvert le passage à une ambulance :

Une autre scène, enregistrée par la chanteuse populaire Denise Ho montre des manifestants se débrouillant d'un contre-manifestant pro-Chine qui essayaint de chercher querelle en chantant l'hymne chrétien “Chantons Alleluia au Seigneur” [devenu l'hymne de la contestation] :

Moment hilarant (et touchant) quand les manifestants ont résolu un conflit provenant de quelqu'un de l'autre bord, en l'entourant et en chantant collectivement le si récemment célèbre dans le mouvement “Chantons Alleluia au Seigneur”

Les manifestants chrétiens occupent plusieurs lieux proches du siège du gouvernement et du bâtiment du Conseil législatif, et chantent “Alleluia” pendant des heures devant les policiers, depuis le 12 juin, en protestation contre les violences policières.

Avant le rassemblement de dimanche, le ressentiment contre le gouvernement de Hong Kong est encore monté d'un cran après qu'un manifestant anti-extradition a fait une chute mortelle [18] dans un centre commercial d'Admiralty le15 juin. L'homme, âgé de 35 ans avait grimpé sur un bâtiment pour accrocher une bannière disant “Non à l'extradition vers la Chine, retrait total du projet de loi d'extradition, nous ne sommes pas des émeutiers, libération des étudiants et des blessés, Carrie Lam démission, aidez Hong Kong”. Une note de suicide a été trouvée sur lui.

Deux millions plus un

Les manifestants anti-extradition se sont rassemblés en grand nombre pour rendre hommage à leurs camarades de lutte avec des fleurs blanches.

[19]

Des fleurs blanches déposées devant Pacific Place. Photo : inmediahk.net. Utilisée avec autorisation.

Hong Kong Free Press a enregistré le moment quand des milliers de manifestants ont prié en silence la nuit du 16 juin:

La foule tient silencieusement en l'air les lumières des téléphones portables sur un site où un manifestant a fait une chute mortelle en dépliant une bannière anti-loi d'extradition. Des hommages floraux bordent la rue.

Le Front civique des droits de l'homme, organisateur du rassemblement de dimanche, a annoncé à 18h30 que l'événement avait attiré 2.000.001 personnes—le dernier chiffre étant un hommage aux morts. Une photo particulièrement impressionnante prise par l'Apple Daily et partagée sur Twitter par Hong Kong Free Press montre comment la foule compacte illumine la nuit :

Près de deux millions ont assisté à la manif anti-extradition, disent les organisateurs, alors que les protestataires occupent les alentours du siège du gouvernement

Excuses de Carrie Lam

Réagissant au rassemblement, Carrie Lam a publié une déclaration d'excuses aux habitants pour la “faiblesse du travail du gouvernement” et a accepté la responsabilité de la confrontation et du conflit de grande ampleur, en ces termes [27]:

The chief executive admits that large-scale confrontation and conflict took place in Hong Kong society due to the inadequacy of the government’s work, causing many residents to be disappointed and saddened…Having regard to the strong and different views in society, the government has suspended the legislative amendment exercise at the full Legislative Council with a view to restoring calmness in society as soon as possible and avoiding any injuries to any persons…The government reiterated that there is no timetable for restarting the process.

La chef de l'exécutif reconnaît qu'une confrontation et un conflit de grande ampleur ont eu lieu dans la société de Hong Kong à cause de la faiblesse du travail gouvernemental, causant la déception et la tristesse de nombreux habitants… Prenant en considération les opinions fortes et diverses dans la société, le gouvernement a suspendu l'examen de l'amendement législatif en séance plénière du Conseil législatif avec l'idée de restaurer le calme dans la société aussitôt que possible et d'éviter toute blessure à quiconque… Le gouvernement réitère qu'il n'y a pas de calendrier pour reprendre la procédure.

Les excuses de Mme Lam n'ont pourtant pas refroidi la colère populaire. Quelques centaines de protestataires ont refusé de quitter la zone après le rassemblement et ont tenté de bloquer à nouveau Harcourt Road [28]. Mais cette fois, les autorités policières ont envoyé des négociateurs au lieu de brigades anti-émeutes. La circulation normale a été rétablie sur Harcourt Road dès 11h du matin le 17 juin.

[28]

Quelques centaines de manifestants ont passé la nuit sur Harcourt Road. Photo : inmediahk.net. Utilisée avec autorisation.

Depuis les massives manifestations pro-démocratie de 2014, un vaste nombre d'activistes de Hong Kong ont été poursuivis et emprisonnés, et six législateurs du secteur pan-démocratique ont été disqualifiés [29] pour avoir utilisé leur cérémonie de prestation de serment pour manifester. Alors que l'opposition est de plus en plus marginalisée, le secteur politique pro-Pékin en est venu à se croire capable de voter des lois et des budgets controversés au Conseil législatif en se passant de procédure officielle et de consultation publique.

Le projet de loi contesté d'extradition, qui comporte une panoplie d'amendements à la “législation sur les délinquants fugitifs et l'entraide judiciaire en matière pénale”, a été introduit en février 2019. Les amendements donnent compétence au Chef de l'exécutif et aux tribunaux locaux pour traiter au cas par cas les demandes d'extradition de territoires dépourvus d'accords préalables en la matière — notamment Hong Kong etTaïwan. Avocats, journalistes, personnalités du monde politique et des affaires ont exprimé leurs inquiétudes sur le risque que des résidents puissent être extradés vers le continent, où les protections des droits humains sont inexistantes. Malgré la polémique entourant le projet de loi, le gouvernement avait outrepassé les délibérations du Conseil législatif et fixé la deuxième lecture au 12 juin.

Plus d'un million de personnes étaient descendues dans les rues le 9 juin pour réclamer le retrait du projet de loi, mais Carrie Lam refusa de céder. Une semaine plus tard, ce sont deux millions qui étaient dans les rues pour réclamer sa démission. Sous les yeux du monde, impressionné par la ténacité des Hongkongais. D'où cette suggestion de la journaliste Melissa Chan sur Twitter :

Les gens de Hong Kong devraient être proposés pour le Prix Nobel de la Paix. Deux millions de manifestants – disciplinés, qui recyclent, laissent le passage aux ambulances avec des foules massives qui s'écartent, donnent casques et équipement de sécurité aux correspondants étrangers – quel plus bel exemple de résistance pacifique en 2019 ?