Pour l'Albanie et la Macédoine du Nord, les portes de l'Union européenne sont-elles à moitié ouvertes ou à moitié fermées ?

Le drapeau de l'UE. Photo : Giampaolo Squarcina, licence CC BY-NC-ND 2.0

Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne (UE), réunis en Conseil des affaires générales à Luxembourg le 18 juin, ont reporté à octobre la décision d'ouvrir ou non les discussions avec l’Albanie et la Macédoine du Nord sur leur adhésion à l'UE.

Divisée, l'UE décide de reporter à octobre la décision d'ouverture des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie, portant un sérieux coup aux deux pays.

Ces deux pays des Balkans occidentaux avaient espoir que la réunion débouche sur une décision, sa conclusion par les chefs des diplomaties des États-membres de l'UE par un report à l'automne est donc une déception.

L'UE a finalement trouvé une ligne d'entente sur les négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie : en décidant de ne pas décider.

La Commission européenne avait déclaré en mai 2019 que les deux pays avaient fait les progrès nécessaires sur les normes démocratiques et l’État de droit. Mais certains États-membres, dont la France et l'Allemagne, n'étaient toujours pas disposés mardi à donner leur feu vert, rapportait politico.eu.

A l'issue de la réunion du Conseil, le Commissaire européen pour la Politique régionale et de l'intégration européenne Johannes Hahn a déclaré :

Unfortunately a minority of member states were not able to support the Commission’s proposal to open accession negotiations with Albania and North Macedonia already today. Our collective credibility is at stake and our incentives and leverage for tough reforms across the region are equally at stake.

Hélas une minorité d’États membres n'a pas pu soutenir la proposition de la Commission d'ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord dès aujourd'hui. Notre crédibilité collective est en jeu, nos incitations et effet de levier pour des réformes difficiles dans la région également.

La déclaration suivante a été publiée à la fin de la réunion :

In light of the limited time available and the importance of the matter, the Council will revert to the issue with a view to reaching a clear and substantive decision as soon as possible and no later than October 2019.

Au vu du temps disponible limité et de l'importance du sujet, le Conseil reprendra la question dans l'idée de parvenir à une décision claire et substantielle dès que possible et au plus tard en octobre 2019.

L'Albanie et la Macédoine du Nord sont-elles vraiment prêtes ?

L'ajournement n'est pas seulement une affaire de “temps disponible limité”.

L'Albanie se débat depuis février dans une crise politique après que la Voix de l'Amérique et le Réseau de journalisme d'investigation des Balkans ont avancé que des responsables gouvernementaux avaient conspiré avec le crime organisé pour un système d'achat de voix aux élections de 2017. Les députés de l'opposition renoncèrent à leurs mandats et descendirent dans la rue en exigeant la démission du Premier Ministre Edi Rama, et réclamèrent la formation d'un gouvernement de transition qui superviserait de nouvelles élections parlementaires.

M. Rama a refusé de démissionner et martèle que les élections parlementaires auront lieu en 2021 comme prévu, avec des élections municipales le 30 juin 2019. Le Président Ilir Meta a riposté par l'annulation des élections municipales, qu'il justifie par la nécessité d'apaiser les tensions politiques dans le pays. Ce qui a déclenché l'adoption d'une résolution par les députés du Parti socialiste (PS) au pouvoir déclarant invalide l'annulation par Meta des municipales, et appelant les institutions publiques à procéder aux opérations du scrutin. Rama a aussi déclaré son intention de faire démissionner Meta de ses fonctions.

Les municipalités dirigées par les partis d'opposition, le Parti Démocratie (PD) et le Mouvement socialiste pour l'intégration (MSI), ont cependant demandé le retrait du matériel électoral des commissions électorales locales, en conformité avec le décret d'annulation de Meta. Les manifestations dans différentes parties du pays ont été marquées par des tensions et des confrontations avec la police.

Autre contribution à l'approfondissement de la crise politique en Albanie, la publication par le journal allemand Bild de conversations sur écoutes se rapportant à la machination d'achat de voix de 2017, actuellement objet d'une enquête du Parquet albanais.

Le Premier Ministre Rama et le chef de l'opposition Lulzim Basha se sont servis de l'ajournement par l'UE pour s'en accuser mutuellement :

Nouvelle très positive venant de l'Europe sur le chemin de l'ouverture des négociations ; malgré la guerre sans précédent sur le front politique du mal, qui fait tout ce qu'il peut pour flétrir le pays aux yeux de l'Europe, pour bloquer les négociations, avec des menaces, des [cocktails] Molotov et des enregistrements diffamatoires, l'Albanie résiste.

Pour que l'Albanie devienne comme l'Europe, nous devons nous conduire comme des Européens, avoir des élections libres et honnêtes, et en finir avec les politiciens corrompus. Pour cela je vous invite à manifester ensemble en individus libres, en citoyens européens, vendredi à 20h à Tirana.

La feuille de match des Balkans occidentaux

Des pays des Balkans occidentaux, seuls la Serbie et le Monténégro ont entamé officiellement les négociations d'adhésion avec l'UE, respectivement en 2014 et 2012.

La Macédoine a fait récemment des avancées significatives en changeant son nom en Macédoine du Nord, sortant ainsi de 27 ans de querelle avec sa voisine la Grèce, membre, elle, de l'OTAN et de l'UE. La Macédoine du Nord n'en doit pas moins patienter jusqu'en octobre, avec l'Albanie, pour la décision de l'UE.

Le ministre des Affaires étrangères nord-macédonien Nikola Dimitrov s'est pourtant voulu optimiste :

Soyons réalistes, faisons l'impossible ! Et nous réussirons en octobre parce que nous avons déjà montré que nous pouvons déplacer des montagnes. Et nous allons poursuivre sur la voie des réformes parce que nous voulons que notre rêve européen devienne réalité. Et je fais une promesse : nous allons faire en sorte que ce soit gênant si ça n'arrive pas !

La Macédoine du Nord et l'Albanie sont considérées comme des États essentiels à la promotion de la stabilité dans les Balkans, mais restent rongés par la corruption et le crime organisé. D'aucuns à Bruxelles arguent que l'UE ne doit pas se précipiter pour accepter de nouveaux membres, citant les problèmes persistants de corruption et de justice dans deux pays membres, la Roumanie et la Bulgarie.

Après la rebuffade de la part des ministres de l'UE à la réunion du 18 juin, le Premier Ministre nord-macédonien Zoran Zaev aurait déclaré au Financial Times : “Nous n'avons pas besoin d'une nouveau radicalisme, nationalisme et populisme dans notre pays.”

“Il y a une promesse de l'Europe d'être un système basé sur le mérite et ils doivent prendre leurs décisions sur les arguments de nos mérites et de nos accomplissement. Après 15 ans, nous le méritons réellement, et l'Europe doit tenir parole”, a-t-il ajouté.

Le risque de montée du nationalisme et du populisme a été confirmé par les observateurs, tandis que d'autres reprochaient à l'UE de ne pas tenir ses promesses :

“Les influences nationalistes vont se renforcer dans les Balkans si la Macédoine du Mord et l'Albanie ne reçoivent pas le feu vert pour le lancement des négociations d'adhésion d'ici l'automne”

“Il ne s'agit pas là seulement de politique d'élargissement, mais de l'UE elle-même… Ça dit dans le fond que l'UE est incapable de prendre des décisions dans un domaine central de sa politique”

Le Conseil européen reporte la décision d'ouvrir les discussions d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord à plus tard cette année, en octobre. L'inaction pourrait polluer l'élargissement de l'UE en tant que succès de politique étrangère et faire obstacle à la stabilité des Balkans occidentaux.

Changez de nom ! Faites ci ! Faites ça ! dit l'UE, mais l'UE ne fait rien à part donner “une claire reconnaissance”. Quelle blague ! Ah, et puis elle vous accouple avec l'Albanie, qui est encore plus éloignée de l'adhésion à l'UE.

Les conclusions d'aujourd'hui ont déçu tout le monde.
Je pense que ça en dit long que les critiques aujourd'hui ne sont pas les défenseurs, les isolationnistes ou les nationalistes, mais les chercheurs, universitaires, analystes et journalistes, qui étaient depuis des années les chantres zélés de l'intégration par l'UE des Balkans occidentaux.

Dans l'affaire ce n'est pas seulement la crédibilité de l'UE qui est en jeu.

Comme l'a souligné le ministre nord-macédonien des Affaires étrangères Dimitrov, En échouant à approuver l'entrée de la Macédoine du Nord dans le bloc, l'UE perdra son influence dans la région au risque d'encourager ses rivaux, notamment la Russie et la Chine. La Turquie et les États du Golfe sont également à l'affût pour augmenter leur présence dans la région.

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