Cette “cholita drag” brave les stéréotypes liés au genre et au folklore depuis sa banlieue argentine

Capture d'écran de la vidéo Ramita Seca. Produite par Elisa Portela. Chorégraphie et interprétation de Bartolina Xixa.

Au beau milieu d'une décharge noyée dans la brume, vêtu d'une ample jupe rose pastel et coiffée de longues tresses postiches, un personnage danse au son d'une vidalita [fr] de la Rioja (province du nord-ouest de l'Argentine). C'est extrait du film Bartolina Xixa, un personnage drag folk andin créé par Maximiliano Mamaní qui repense le folklore du nord de l'Argentine dans une perspective de genre à la fois indigéniste et décolonisante.

Pour ce travail, Ramita Seca (branche morte), la colonialité permanente, l'artiste, né à Jujuy et élevé à Salta, au nord-ouest de l'Argentine, a choisi comme décor la décharge à ciel ouvert de Hornillos. Celle-ci se trouve dans la Quebrada de Humahuaca [fr], une région déclarée Patrimoine culturel et naturel de l'Humanité en 2013 par l'Unesco.

La vidalita qui accompagne la vidéo et qui a donné son nom à l'oeuvre visuelle n'est pas moins symbolique. “Ramita seca” composée par Aldana Bello, dénonce l'exploitation minière et les exactions commises contre les peuples indigènes.

Mamaní est aussi étudiant en anthropologie à l'Université de Salta et professeur de danse folklorique. Avec Bartolina Xixa, Mamaní cherche à sortir des clichés qui collent à l'art folklorique, où les rôles de genre perpétuent les structures binaires qui éliminent de nombreuses autres identités. Comme il le souligne dans un entretien sur le site argentin VOS :

Hago danzas folklóricas argentinas, peruanas y bolivianas. Me gusta la música popular, por eso me surgió la necesidad de reflexionar sobre el folklore y pensar que a mí, como marica, se me negaba la posibilidad de mostrarme a la hora de construir una coreografía y armar una pareja de baile…

Je fais des danses folkloriques argentines, péruviennes et boliviennes. J'aime beaucoup la musique populaire, et c'est pourquoi j'ai ressenti le besoin de réfléchir sur le folklore et de penser qu'en tant que pédé, on me refusait la possibilité de me représenter quand il s'agissait de construire une chorégraphie et de danser en couple…

Et il ajoute :

Me di cuenta de que a muchas personas les pasa lo mismo porque el folklore está pensado desde una lógica heterosexual. Se le dan ciertos atributos a los varones, a los gauchos, como la fuerza, la firmeza y el galanteo. Es el que dirige. Las mujeres, en tanto, son sumisas, complacientes.

Et je me suis rendu compte que je n'étais pas le seul à être dans cette situation parce que le folklore est pensé depuis une logique hétérosexuelle. On dote les hommes et les gauchos d'attributs comme la force, la fermeté et la galanterie. Ce sont eux qui dirigent. Les femmes, quant à elles, sont soumises, dévouées.

Hommage à une héroïne aymara

Les questions que le travail artistique de Mamaní soulève ne se limitent pas au monde du folklore. Elles révèlent aussi les tendances qui régissent l'esthétique mondiale consacrée aux travestis, une esthétique que l'artiste trouve très liée aux stéréotypes occidentaux de la féminité.

Son personnage se distingue de ces tendances en s'inspirant de Bartolina Sisa Vargas [fr], une guerrière aymara qui a participé à la rébellion contre l'empire espagnol et qui fut capturée, torturée et assassinée à La Paz, en Bolivie, en 1782. Parallèlement, Mamaní rend hommage à la cholita [fr] des Andes, “une femme très travailleuse, chef de famille, qui va travailler tous les jours, qui maintient les liens avec sa famille, sa communauté, ses ancêtres, ses traditions “.

Bartolina Xixa pendant une représentation à Buenos Aires, en juin 2018. Photo de Elisa Portela, avec son autorisation.

Dans un de ses podcasts Relatos Disidentes (Récits dissidents) du site VóVè, Maximiliano Mamaní décrit ainsi son personnage :

Suelo decir que le presto mi cuerpo a Bartolina Xixa. [Un personaje que] nace por la urgencia de poder pensar otras formas de hacer folclore, otra forma de entender identidades que me vienen atravesando y que vienen atravesando a un colectivo.

Je dis souvent que je prête mon corps à Bartolina Xixa. [Un personnage qui] naît de l'urgence de pouvoir penser à d'autres façons de faire du folklore, une autre façon de comprendre toutes les identités qui me traversent et qui traversent un groupe.

Contester la construction de la masculinité argentine et la “norme LGBT”

L'implication et le miltantisme de Mamaní se sert également des réseaux sociaux (Facebook et Instagram notamment) comme outils pour faire passer les messages les plus provocateurs. Le meilleur exemple est un post baptisé “el beso marica” (le baiser pédé), devenu viral en novembre 2018.

Ce post a été partagé sur Facebook pendant l'avant-match de football entre les clubs de Boca Juniors et River Plate, connu sous le nom de “Superclásico” [fr]. Mamaní a profité de l'occasion pour partager des photos sur lesquelles lui et un homme s'embrassent devant le couvent San Bernardo, à Salta, chacun vêtu d'un maillot des équipes rivales, images accompagnées d'un message fort :

Le baiser pédé super classique.
Nous sommes noirs,
Nous sommes des bidonvilles,
Nous sommes de l'intérieur de l'Argentine,
Nous sommes pauvres,

La publication a suscité toutes sortes de réactions et de commentaires de la part des utilisateurs : soutien, rejet, moquerie, admiration, amour et haine. Nous avons parlé de ce post avec Mamaní sur WhatsApp. Il a partagé une lecture des aspects les plus marquants des attaques en ligne :

Una cosa interesante fue la de atacarnos diciendo que no éramos argentinos. […] Lo que querían decir era que el rostro de la argentinidad es blanco, es heterosexual, y no tiene atributos morenos, indígenas, ni de diversidades sexuales.

Une chose intéressante a été de nous attaquer en disant que nous n'étions pas Argentins. […] Ce qu'ils voulaient dire c'est que le visage de l'Argentine est blanc, hétérosexuel, et n'a ni attribut noir, indigène, ni diversité sexuelle.

Mamaní reconnaît qu'il est prudent quand il publie sur les réseaux sociaux, conscient de combien il s'expose aux attaques et à l'intolérance. Mais son principal intérêt est de diffuser le travail artistique qu'il produit avec Bartolina et aussi d'agir pour l'environnement, le social, la politique et le genre, sans laisser les attaques et les critiques négatives devenir un obstacle.

Il souligne également qu'au sein des communautés drag queens et LGBT d'Argentine, il est constamment questionné sur sa façon d'exprimer la diversité à partir d'une “perspective périphérique”, de choisir comme personnage une icône esthétique de la culture autochtone bolivienne :

No es lo mismo ser un gay blanco de una ciudad que un gay moreno, con un cuerpo no estandarizado [según los cánones de belleza dominantes], con rostro indígena, que vive en una comunidad alejada de toda la cultura capitalista. [Ser] gay, pobre, trabajador… todo eso va a diferenciar las construcciones.

Ce n'est pas pareil d'être un gay blanc en ville et un gay noir, avec un corps non-standardisé [d'après les canons dominants de la beauté], avec des traits indigènes, qui vit dans une communauté éloignée de toute culture capitaliste.  [Être] gay, pauvre, ouvrier… c'est toute la différence.

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