La Tanzanie réintroduit la taxe tampon

De jeunes paysannes du village de Kangagani, dans le district de Chakechake de l’île de Pemba, posent pour une photo le 31 octobre 2017. La “taxe tampon”, récemment réintroduite en Tanzanie, a un impact disproportionné sur les jeunes filles et les femmes des zones rurales. Photographie par USAID in Africa via Flickr, domaine public.

Le 13 juin 2019, le ministre des Finances et du Planning de Tanzanie, Philippo Mpango, a annoncé la décision de ré-introduire l’impôt sur les protections hygiéniques féminines (la “taxe tampon”) dans le budget 2019-2020. Ce faisant, il a déclenché un débat majeur sur l'impact de cette taxe sur les jeunes filles et les femmes.

L'an dernier, le même ministre proposait d'abandonner la taxe tampon.

Son annonce a déclenché une vive indignation du public, et tout particulièrement des femmes pour qui cette taxe est une forme de discrimination sexuelle. Le ministre a expliqué que l’exonération fiscale implémentée en 2018 n'avait pas eu l'effet escompté, à savoir de donner accès aux protections hygiéniques à des prix raisonnables pour assurer “une meilleure gestion de la santé menstruelle”.

Mais l'exonération en question n'avait pas réduit le prix au détail des protections hygiéniques : à la place, elle a permis aux marchands d'augmenter leurs prix et d’accroître leurs bénéfices.

Le ministre a déclaré qu'avec ce budget, le gouvernement réduira l’impôt sur le revenu des sociétés de cinq pour cent (de trente à vint-cinq pour cent) pour les investisseurs qui fabriquent les protections localement. L'objectif est d'attirer les investisseurs en question, créer des emplois locaux et réduire la dépendance dans l'import des produits hygiéniques.

Le prix des règles

L'annonce du 13 juin arrive quelques mois après que la ministre adjointe des Finances et du Planning Ashatu Kijaji en mentionne la possibilité. Le 23 avril, elle a expliqué que son ministère avait reçu des plaintes des consommateurs selon lesquelles les protections hygiéniques coûtaient toujours cher. Elle a insisté sur le fait que le ministère cherchait de meilleures options qui bénéficieraient à la fois aux femmes et au gouvernement, et a parlé de la taxe tampon dans ce contexte.

Plus tôt en 2019, le ministre de la Santé, du Développement communautaire, du Genre, des Personnes âgées et des Enfants Ummy Mwalimu avait déclaré que son ministère recevait des courriers demandant instamment une réduction du prix élevé des protections hygiéniques.

Le coût annuel moyen des règles en Tanzanie est de 36 000 shillings tanzaniens, soit environ 13,75 euros.

Les prix actuels des protection hygiéniques jetables vont de 2 000 shillings (0.77 euros) a 4 000 shillings (1,54 euros) selon la marque.

En réponse aux plaintes reçues, U. Mwalimu a écrit au ministère des Finances et du Planning et au ministère du Commerce et de l'Industrie, requérant qu'ils imposent aux fabricants de réduire les prix des protections hygiéniques.

En juin, la députée Upendo Peneza a demandé au gouvernement de fixer des prix indicatifs sur les protections (un prix moyen et fixé). Mais Joseph Kakunda, le ministre du Commerce et de l'Industrie, a expliqué que le gouvernements ne peut fixer des prix indicatifs que pour les biens et services publics, et que les protections hygiéniques ne sont pas incluses dans cette catégorie.

Mme. Peneza a donc demandé une réunion entre le gouvernement et les différents acteurs pour discuter d'une façon dont une exonération fiscale des protections hygiéniques pourrait refléter les besoins des consommatrices, au lieu de ré-instaurer la taxe précipitamment.

Nous avons rencontré des distributeurs et des marchands de protections hygiéniques dans ce pays et ces commerçants nous ont informé, avec des illustrations, qu'ils avaient réduit leurs prix. Le problème, c'est que les prix n'ont pas diminué du côté du commerce de détail.

Mme Peneza poursuit :

The government has considered women’s opinions, it has considered Tanzanians’ opinions, it has considered the opinions from members of this parliament and that is why the tax was scrapped. Let us go back and sit down with the stakeholders dealing with sanitary pads, from distributors, consumers and other organisations so we can figure out how this reduction can benefit the citizens. However, rushing this is not right. In 2016, I said that exempting tax alone is not enough. However, the government must come up with a system of how to protect the interests of consumers. This was my move in 2016, this was my move in 2018 when I contributed on this same issue.

Le gouvernement a pris en compte les opinions des femmes, il a pris en compte les opinions des Tanzaniens, il a pris en compte les opinions des députés de cette Assemblée et c'est pourquoi il avait supprimé la taxe. Revenons-y et asseyons-nous avec les parties prenantes des protections hygiéniques, les distributeurs, les consommateurs et toutes les autres organisations pour que nous puissions trouver un moyen que cette réduction puisse bénéficier aux citoyens. Cependant, se précipiter n'est pas une bonne chose. En 2016 j'avais dit qu'une exonération fiscale seule n'est pas suffisante. Cependant, le gouvernement doit créer un système qui protège les consommateurs. C’était ma position en 2016, c'était ma position en 2018 quand j'ai contribué à la même discussion.

Plusieurs députés se sont aussi prononcés contre la réintroduction de la taxe tampon. Ainsi, le député de Kigoma Ujiji, Zitto Kabwe, a argumenté que les règles étant un phénomène biologique, imposer les protections hygiéniques étaient une injustice faite aux femmes.

Pour la députée spéciale Sonia Magogo, un an n'est pas assez long pour que le gouvernement conclue à l’impossibilité de forcer distributeurs et marchands à adhérer à un contrôle des prix.

Honnêtement, je suis aussi totalement opposée à la réintroduction de la taxe tampon. Je dis ceci parce que ça fait un an que la taxe a été supprimée et qu'elle a été réintroduite après peu de temps. Personnellement, je trouve que ce n'est pas assez pour évaluer l'impossibilité de forcer les marchands à adhérer aux prix que le gouvernement veut.

Elle poursuit ainsi :

If the government was successful with EDF machines, plastic bags and business IDs, I do not believe it would have been unable to control traders over such a sensitive issue to women. No woman chooses to get her period, whether she is extremely poor or wealthy.

Si le gouvernement a réussi avec les machines EDF, les sacs en plastique et les cartes d'identité pour les entreprises, je ne crois pas qu'il soit incapable de contrôler les marchands sur une question aussi sensible pour les femmes. Aucune femme ne choisit d'avoir ses règles, qu'elle soit extrêmement pauvre ou riche.

La pauvreté menstruelle

Beaucoup de jeunes filles et de femmes, surtout dans les zones rurales, n'ont pas les moyens de s'acheter des protections hygiéniques et doivent vivre sans elles. La spécialiste sanitaire Dhalia Mbaga cite des études montrant que 91% des magasins des régions rurales de Tanzanie n'en vendent même pas et d’après le Daily Nation, “l'accessibilité des prix demeure le défi le plus important”.

La pauvreté menstruelle est l'une des causes de l'absentéisme des jeunes écolières dans les zones rurales. Certaines jeunes filles n'ont jamais vu de protection hygiénique et parfois, une serviette est coupée en deux pour être partagée entre deux jeunes filles. La plupart du temps, ces écolières utilisent des matériaux inappropriés et peu hygiéniques comme des chiffons, du coton brut et des épis de mais, selon des enquêtes menées par SNV Netherlands Development Organization.

Un manque d'eau et d'installations sanitaires basiques dans les écoles sont une autre raison pour laquelle les écolières de la Tanzanie rurale restent à la maison quand elles ont leurs règles. D’après Raleigh Tanzania, moins de la moitié de la population a accès à de l'eau propre et seulement seize pour cent à des toilettes adéquates.

Dans un éditorial du Citizen, l'auteur Anna Bwana soutenait l'utilisation de produits hygiéniques réutilisables tels que des serviettes en tissu et des coupes menstruelles car celles-ci durent entre 3 et 10 ans.

Cependant, dans les régions rurales ou la pauvreté menstruelle est importante, le manque d'eau et de sanitaires rend l'entretien de ces produits difficile.

“Les serviettes hygiéniques ne sont pas un luxe”

Militants et citoyens se sont retrouvés sur Twitter pour exprimer leur indignation et disputer la taxe tampon avec le mot-clic #PediBilaKodi [ServiettesSansTaxe, NdT]

Je soutiens la campagne #PediBilaKodi qui appelle le gouvernement à réduire ou totalement supprimer la TVA sur les serviettes hygiéniques et les tampons pour qu'ils soient moins chers et plus abordables mais qui intime aux acteurs de créer des projets qui fournissent des espaces pour que les filles et les femmes accèdent à ces objets nécessaires facilement dans les zones rurales.

Poster de gauche : Arrêtez d'imposer nos règles! Un point c'est tout.

Poster de droite : Les règles ne sont pas un luxe. Un point c'est tout. [Jeu de mot sur “periods/period”, qui signifie à la fois les règles et le point, signe de ponctuation, NdT]

Légende : Rejoignez la campagne qui combat la réintroduction de la taxe (TVA) sur les serviettes hygiéniques en Tanzanie. Les règles sont naturelles et nous ne devrions pas être punies à cause d'elles !

Quelques hommes ont aussi pris part à la conversation en tant qu'alliés qui n'hésitent pas devant cet problème controversé :

Imposer les serviettes hygiéniques revient à imposer les règles. C'est l'acte le plus honteux qu'un gouvernement puisse faire subir à sa population. Aucun député sensé et responsable ne devrait l'envisager. Le gouvernement Mugufuli devrait avoir honte de présenter cela au Parlement pour approbation.

Messieurs, si vous croyez que ce n'est leur lutte qu'à elles seules, vous êtes pires que la TVA à 18% elle-même. Tendons tous la main et soutenons la campagne pour soutenir nos dames.

Si la Tanzanie avait 50% de femmes au Parlement !!! L'imposition des serviettes hygiéniques existerait-elle ?
La Tanzanie a besoin de plus de femmes pendant le prochain mandat présidentiel.

Malgré tout, ce problème impacte encore les vies des jeunes filles et des femmes. Une internaute rappelle au monde que les règles ne sont pas un choix :

L'an dernier, le gouvernement a supprimé la TVA sur les produits sanitaires. Cette année, il pourrait la réintroduire. Ne faisons pas de pas en arrière. Nous voulons voir #PediBilaKodi. Les règles ne sont pas un choix, ce sont des produits essentiels pour toutes les femmes et filles !

Je ne peux pas insister assez : les serviettes hygiéniques ne sont pas un LUXE mais une NÉCESSITÉ !

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