Le Kazakhstan est en pleine transition politique. Son humour aussi.

Une des nombreuses moqueries sur le président Kassym-Jomart Tokaïev. Partagée massivement.

Kassym-Jomart Tokaïev est le nouveau président du Kazakhstan, en titre tout du moins. Cependant, il n'a pas le droit au même traitement sur internet que son très glorifié prédécesseur, protégé par la loi constitutionnelle.

Depuis des années, des analystes encouragent le dirigeant Noursoultan Nazarbaïev [fr], au pouvoir depuis trois décennies, à initier le processus de sa succession, mais lorsque celui-ci a annoncé sa démission en mars 2019 à la télévision nationale, cela a quand même surpris.

Son fidèle allié de 78 ans, Kassym-Jomart Tokaïev [fr], un ancien ministre des affaires étrangères, a été institué le lendemain.

Le 12 juin, seulement trois jours après avoir remporté le vote éclair qui a déclenché la plus grosse contestation que le pays a connu depuis des années, Tokaïev a de nouveau été institué.

Les autorités sont agitées. Après trois décennies sous Nazarbaïev, la patience du peuple a atteint ses limites. Selon le ministère de l'intérieur, 4.000 personnes ont été arrêtées [ru] entre le 9 et le 13 juin. Mukhtar Ablyazov, à la tête de l'opposition, a appelé, en direct de la France, à la manifestation du peuple.

Mais ce n'est pas seulement Ablyazov, une personnalité quelque peu semblable à Voldemort [en] dans la sphere publique kazakhe, qui a donné du fil à retordre aux autorités.

Le 10 juin, Rinat Zaitov, poète et musicien extrêmement populaire, a appelé à l'annulation du vote. Il a annoncé son intention de créer son propre parti [ru] lors d'un rassemblement improvisé. Il a par la suite été arrêté.

Ses partisans ont assuré sa libération, puis ont immédiatement été protester à Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan, suscitant une réponse massive de la part de la police.

Il y eut aussi les observateurs électoraux.

Un nombre sans précédent de moniteurs locaux se sont enregistrés afin de superviser l'élection, marquant un réveil civique qui n'avait pas été remarqué pour les élections que Nazarbaïev gagnait systématiquement avec plus de 90 % des voix.

Dans de nombreux bureaux de votes où les observateurs étaient présents, le vote était serré entre Tokaïev et le principal candidat de l'opposition Amirzhan Kosanov.

Pourtant, le résultat final a donné 16% des voix pour Kosanov contre plus de 70% pour Tokaïev.

Le fait que Kosanov ait accepté les résultats et la légitimité de l'élection sans contester après l'annonce de l'approbation du scrutin par le gouvernement a donné l'impression aux citoyens qu'il n'y avait pas réellement eu de candidat d'opposition du tout.

Un petit côté Borat

La victoire de Tokaïev a été supposée depuis le moment où il a dit qu'il participerait au vote éclair qu'il a organisé en avril, à la suite de la “consultation avec l'Elbasy”. L'Elbasy est le titre constitutionnel de Nazarbaïev et se traduit par “Chef de la nation”.

Mais Tokaïev ne dispose ni de l'autorité de Nazarbaïev, ni des lois spéciales qui ont limité la critique publique du premier président et de sa famille. Pour beaucoup, il n'est que la risée du peuple et un pantin, chose qu'il a nié à grands cris.

Des moqueries sur lui précédant la période des élections en comprenaient certaines le comparant à Borat, le héros du film culte de Sacha Baron-Cohen parodiant le Kazakhstan. Sorti en 2006, Borat a été rapidement banni au Kazakhstan.

Mais cela n'a pas empêché le “V” stylisé de l'affiche de campagne de Tokaïev d'être comparé à l'iconique “mankini” de Borat.

Les affiches de la campagne électorales de Tokaïev promettaient la “prospérité pour tous”.

Borat hante toujours le régime kazakh, soucieux de son image. Le poster proclame : “Continuité. Justice. Progrès.”

Les accusations de plagiat sont récurrentes pendant les campagnes électorales en Asie Centrale. Celle de Tokaïev n'y a pas échappée. Par exemple, certains se sont demandés si le fameux “V” n'avait pas été pris du logo de la chaîne de supermarché britannique Savers.

Image prise sur la page Facebook du journaliste Assem Zhapisheva.

Signaux de détresse ?

En tant qu'ancien président du Sénat, Tokaïev est arrivé à la présidence car il était le second en ligne de succession au moment où Nazarbaïev a démissionné.

Pourtant, Nazarbaïev a conservé des titres considérables et une influence importante sur les décisions politiques, y compris la présidence du parti au pouvoir et la présidence à vie du puissant conseil de sécurité.

Cela a mené à des spéculations sur Tokaïev qui, placé à une position de responsabilité sans pouvoir, serait maintenant prisonnier de son sort.

Nazarbaïev (à gauche), sa fille Dariga Nazarbaïeva (à droite) et Berdybek Saparbaïev (au milieu) regardent l'inauguration de Tokaïev en se disant “quelle connerie”. Les internautes se sont moqués de leur désintérêt.

Pendant l'investiture, la perception de Tokaïev comme étant une figure pitoyable a été renforcée quand plusieurs personnes ont dit que son baiser sur le drapeau faisait penser qu'il se mouchait dedans.

 

Nazarbaïev y est bien parvenu pendant son investiture de 2015.

Le baiser de Tokaïev sur le drapeau est quelque peu embarrassant.

L'émoticone qui se mouche a ensuite été utilisé sur la photo de l'investiture sur la “collection d'autocollants de Tokaïev” sur Telegram :

Tokaïev a sa propre section de stickers sur l'application de messagerie Telegram.

L'avocat Jokhar Utebekov a écrit sur Facebook que le baiser sur le drapeau pouvait être interprété comme un “signal de détresse”.

Ce qui a mené à une mini-campagne sur les réseaux sociaux  — #FreeTokayev.

Une petite pensée pour la police

De l'arrestation [en] de militants pour avoir porté une bannière à un marathon public, au regroupement de centaines d'entre eux dans des fourgons de police le jour des élections, la police n'a pas chômé pendant la période de transition du Kazakhstan.

Certaines personnes arrêtées dans la rue entre le 9 et le 13 juin étaient seulement des passants [ru], y compris ce cycliste, un père célibataire et professeur de catch, qui est devenu un héros sur les réseaux sociaux.

Je me sens mal pour le pauvre mec qui a été arrêté car il refusait de changer son trajet pour rentrer chez lui aujourd'hui à Almaty, Kazakhstan. La police semble sur les nerfs en ce moment

Mais comme le président, la police d’État n'inspire plus la même crainte qu'auparavant.

L'utilisateur de Twitter @dr_kerimbekov a posté une série de photos dans lesquelles il se moque des arrestations :

Ce gentleman est en train d'inviter poliment une femme à danser au milieu de la rue.

Ces loyaux camarades essayent d'aider leur ami alcoolisé à rentrer chez lui, mais celui-ci veut un verre de plus.

Ces bons samaritains ont décidé de courir en soutien du mouvement.

Mourir à Noursoultan

Chaque théâtre de l'absurde a besoin de sa chanson. Dans le cas de la transition autoritaire du Kazakhstan, la chanson “Je meurs à Noursoultan” correspond parfaitement.

Noursoultan est la capitale du Kazakhstan, auparavant connue sous le nom d'Astana et rebaptisée en l'honneur de Noursoultan Nazarbaïev peu après la première investiture de Tokaïev.

L'air inventé par les artistes Opiya et Kisa v Kolose traduit le sentiment de lassitude des jeunes, en particulier en ce qui concerne le système sclérosé, tout en conservant l'humour ironique qui a éclairé cette période de manœuvres politiques.

C'est mon huile, et c'est mon gaz
La mort est notre seule solution
Le sens de la vie – je ne l'ai pas trouvé
Maudit brouillard d'Almaty
Arrête-moi sur la place
Mes mots significatifs que personne n'entendait
J'écrirai ces mots sur mon affiche vide, accrochée sur le pont
Mon Elbasy, laisse-moi quitter ce paradis
Je meurs à Noursoultan

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