Moins d'une semaine après le lancement de la marque controversée de Kim Kardashian, Twitter a crié victoire et Kim Kardashian a été contrainte de battre en retraite. Cette dernière avait provoqué un tollé international sur les réseaux sociaux le 25 juin 2019 en annonçant son projet de lancer « Kimono », sa propre ligne de sous-vêtements, sacs à main et déodorants sans lien aucun avec l'iconique et élégant vêtement traditionnel du Japon.
La principale critique était que Kim Kardashian s'adonnait à de l'appropriation culturelle : en tant qu'américaine et appartenant à la culture dominante, Kim Kardashian s'arrogeait le kimono japonais, vêtement issu d'une minorité culturelle défavorisée au vu du contexte américain.
Sur mes flux Twitter et Facebook, cependant, tout le monde ne semblait pas penser que Kim Kardashian s'était rendue coupable d'appropriation culturelle. Selon certaines personnes, il paraissait évident que sa gamme de corsets et de dessous galbants ne ressemblait en rien à un kimono, et qu'il y avait là peu, voire pas du tout, d'appropriation.
Un autre argument avancé était que, en dépit du fait que le maire de Kyoto avait exhorté Kim Kardashian à reconsidérer le nom de sa marque, une grande partie de l'agacement exprimé sur les réseaux sociaux ne provenait pas du Japon, ni des Japonais eux-mêmes. Une journaliste japonaise a même dû expliquer la notion d'« appropriation culturelle » à ses lecteurs, pour la plupart peu familiarisés avec le terme (文化の盗用).
De quelle appropriation culturelle est-il question ? D'ailleurs, l'appropriation culturelle existe-t-elle vraiment ?
Le caractère ambigu de la controverse autour du kimono de Kim Kardashian n'est pas sans rappeler l'opposition qu'avait rencontrée en 2015 une exposition célébrant le kimono à Boston. Lorsque le musée des Beaux Arts de Boston avait invité ses visiteurs à revêtir un kimono et à poser devant le tableau de Claude Monet « la Japonaise », des manifestants avaient dénoncé un évènement raciste, colonialiste, orientaliste et une preuve d'insensibilité culturelle; en somme, un bel exemple d'appropriation culturelle.
Pour ne rien arranger, une courte conférence intitulée « Flirter avec l'exotique » figurait au programme de l'exposition.
Selon le Boston Globe, des contre-manifestants s'étaient également rendus au musée pour soutenir le droit qu'a chacun de porter le kimono. « Nous ne comprenons pas exactement la raison pour laquelle ils protestent », confiait alors un haut fonctionnaire du Consulat japonais à Boston (la blogueuse Keiko à Boston avait suivi de manière régulière et détaillée les dernières nouvelles de la controverse).
Autre argument ayant émergé : les visiteurs occidentaux de l'exposition revêtant un kimono s'inscrivaient d'une certaine façon dans la lignée du « japonisme [fr] » né 150 ans plus tôt, lorsque le mouvement impressionniste en Occident s'était pris de passion pour tout ce qui touchait de près ou de loin au Japon et s'en était largement inspiré.
Il est courant que les cultures empruntent aux autres, n'est-ce pas ?
La complexité de ces deux controverses sur le kimono, où il n'est pas tout à fait clair si c'est le Japon, en tant que « culture minoritaire défavorisée », qui est à l'origine des mouvements de protestation, fait facilement oublier que l'appropriation culturelle est un sujet dont nous devrions nous inquiéter. Les cultures « empruntent » aux unes et aux autres en permanence, tout comme les impressionnistes occidentaux ont été influencés par les estampes du mouvement Ukiyo-e.
Du moins, c'est ce que les gens disent, à en juger par ce que je lis sur Twitter et Facebook, ainsi que sur de nombreux journaux et magazines : « l'appropriation culturelle n'est pas réelle », elle n'est qu'un exemple des dérives d'une « culture toxique de la dénonciation », « incohérente et source de discorde ».
Je ne suis pas d'accord. L'appropriation culturelle existe bel et bien, et elle est source de véritables maux, particulièrement au Canada, où je vis actuellement.
Si pour les membres d'une culture dominante, le concept d'appropriation culturelle peut paraître abstrait (dans le meilleur des cas), au Canada le sujet est souvent présenté dans des termes que les colons majoritaires peuvent comprendre : son rapport à l'argent.
La ville de Victoria, où je réside, se situe sur les territoires traditionnels et non cédés des nations suivantes : les Lkwungen (Songhees), les Xwsepsum (Esquimalt), et les WSÁNEC (Saanich). Victoria, capitale provinciale et ville touristique, accueille plusieurs institutions, dont le Musée Royal de la Colombie Britannique. Ce dernier renferme une vaste collection de biens culturels des Premières Nations, dont la plupart ont été sauvés, récupérés ou collectés auprès des communautés autochtones le long de la côte Pacifique durant la première moitié du XXe siècle.
Grâce au musée, ainsi qu'à la présence des peuples Lkwungen, Xwsepsum et WSÁNEC aux alentours, l'art des Premières Nations fait désormais partie intégrante de l'identité locale de Victoria. A tel point que leur imagerie a fini par investir les rues de Victoria d'une façon un peu kitsch.
On peut dire que dans ce cas, l'appropriation culturelle est à blâmer.
Dans une récente publication Facebook, Richard Hunt, un sculpteur renommé de l’Île de Vancouver, a déploré que le Musée Royal de la Colombie Britannique vende de « faux » objets d'art des Premières Nations dans sa boutique de souvenirs. La transformation de biens culturels en souvenirs pour touristes lui semblait particulièrement exaspérante, car le musée avait en partie pour mission de renforcer « les liens avec les Premières Nations de la Colombie Britannique (sic) ».
En réalité, d'après le Times-Colonist, le quotidien local de Victoria, certaines des créations autochtones présentées dans la boutique du musée étaient mises en vente avec l'autorisation de leurs créateurs originaux. Cependant, les droits de licence versés aux créateurs s'avèrent dérisoires comparés au prix de vente et à la marge obtenue des produits ainsi vendus. On pourrait affirmer qu'il s'agit là d'un exemple concret d'appropriation culturelle, pratiquée par un musée bénéficiant de subventions du gouvernement provincial, qui prétend vouloir favoriser la réconciliation.
Est-ce une appropriation culturelle, ou un vol en bonne et due forme ?
Un exemple encore plus flagrant d'appropriation culturelle remonte à 2017, lorsque l'artiste canadienne non autochtone Amanda PL a été accusée de plagier les créations du célèbre artiste Anishinaabe Norval Morrisseau. La ressemblance entre les peintures d'Amanda PL et le style emblématique de Norval Morrisseau, qui lui-même s'inspirait de l'art traditionnel des Premières Nations, est frappante.
Ceci dit, dans ce cas précis, qualifier l’œuvre d'Amanda PL d’ « appropriation culturelle » ne fait qu'éclipser le fait qu'elle s'est rendue coupable de vol de propriété intellectuelle, un délit que les non autochtones au Canada prennent très au sérieux.
Concentrer le débat sur l'ineptie présumée de l'appropriation culturelle a également aidé les élites du monde de la culture canadien à marginaliser les artistes, écrivains et autres créateurs issus des Premières Nations. En 2017, au même moment où le Canada se posait la question de savoir si oui ou non Amanda PL avait volé Norval Morrisseau, une nouvelle polémique malsaine émergeait à propos de l'appropriation culturelle.
Dans sa préface d'un numéro du magazine trimestriel publié par l’Union des Écrivains du Canada consacré au travail des auteurs autochtones, le rédacteur en chef Hal Niedzviecki a affirmé qu'il ne croyait pas à l'appropriation culturelle. Face à la polémique suscitée par sa préface au Canada, Hal Niedzviecki a rapidement démissionné. Suite à quoi, des personnalités du monde médiatique et littéraire canadien se sont mobilisés pour le soutenir en inaugurant un « prix de l'appropriation ».
Tandis que le débat s'étendait aux personnalités médiatiques qui dissertaient sur la brumeuse chimère de l'appropriation culturelle, les incidences sur les auteurs autochtones, qui auraient dû être mis en avant par le trimestriel de l'Union des Écrivains, n'ont jamais été abordées. Il n'est pas rare au Canada que les voix autochtones soient réduites au silence.
On peut même dire que cela fait partie de l'ADN de notre pays.
Appropriation et annihilation de la culture ne sont pas des phénomènes nouveaux au Canada
Ici, à Victoria, en Colombie britannique, il est parfois difficile de voir les « mâts totémiques » et autres œuvres d'art des Premières Nations autrement que comme des créations esthétiques au style kitsch ou des objets historiques ayant leur place au musée. C'est intentionnel. Il a souvent été dit que les épidémies dont ont été victimes les Premières Nations le long de la côte Pacifique, suite à l'arrivée des Européens au XIXème siècle, ont eu pour effet l'effondrement de leur population et leur déclin culturel. Par conséquent, les œuvres d'art et vestiges, tels que les mâts totémiques, ont dû être littéralement appropriées et préservés dans un musée.
Dans le même temps, les prétendues lois potlatch ont de fait interdit aux Premières Nations de pratiquer leur culture traditionnelle. Alors que les musées exposaient des mâts totémiques acquis par des collectionneurs comme Charles Newcombe dans le but de raconter l'histoire des Premières Nations, supposées en voie d'extinction suivant un processus naturel, le gouvernement canadien tentait fermement d'éradiquer la culture autochtone.
Par conséquent, s'il peut être facile de comprendre l'appropriation culturelle en termes de billets verts, ses conséquences au Canada ont mené à une annihilation culturelle, avant d'aboutir à un véritable génocide.
Le lien entre appropriation culturelle et génocide
En juin 2019, l'enquête nationale portant sur les disparitions et meurtres de femmes et de filles autochtones (MMIWG), a publié les résultats de son rapport final [fr]. Conçu dans le but d'aider à comprendre et de trouver des solutions face à la violence systémique et permanente contre les femmes et filles des Premières Nations, Inuit ou Métis, et les 2SLGBTQQIA [bispirituels, lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queer, en questionnement, intersexes et asexuels] au Canada, le rapport final a déclenché une nouvelle controverse en qualifiant la violence exercée contre ces groupes de génocide.
Tandis que de nombreux chroniqueurs, politiciens et autres dénigraient l'idée qu'un génocide ait pu avoir lieu au Canada, le rapport s'est appuyé sur le droit international établi, qui ne réduit pas le génocide à la destruction physique d'une nation ou d'un groupe ethnique. Au lieu de cela, le rapport définissait le génocide comme un « démantèlement des institutions sociales et politiques, de la culture, de la langue, du sentiment national, de la religion, et de l'existence économique de groupes nationaux, et la destruction de la sécurité personnelle, la liberté, la santé, la dignité, et même la vie des individus appartenant à ces groupes ».
Ainsi, bien que l'association des termes « Kim Kardashian », « kimono » et « appropriation culturelle » au sein d'une même phrase puisse paraître risible, l'appropriation culturelle est, quant à elle, utilisée comme une stratégie efficace depuis plus de 150 ans. Ses conséquences se sont avérées fatales, ce qui doit suffire pour que l'on se mette aujourd'hui à prendre l'appropriation culturelle au sérieux.
1 commentaire
Le concept d’appropriation culturelle est né du délire d’activistes étasuniens aux motivations racistes et identitaires évidentes. Utiliser le mot génocide à propos de tout et n’importe quoi relève purement et simplement d’une forme de révisionnisme : c’est absolument scandaleux. C’est une veritable insulte lancée aux peuples arménien et juif, qui eux ont réellement été victimes de génocide.