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Au Bangladesh, la violence se propage sur fond de rumeurs de sacrifices humains

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Développement, Droit, Droits humains, Gouvernance, Histoire, Média et journalisme, Médias citoyens, Voyages
The Padma Bridge is a multipurpose road-rail bridge across the mighty Padma River under construction in Bangladesh. Image by Afzal Hossain via Wikimedia Commons. CC BY-SA 4.0 [1]

Le pont Padma est un pont routier et ferroviaire en cours de construction qui traversera l'imposante rivière Padma, dans le Bangladesh. Image : Afzal Hossain via Wikimedia Commons. CC BY-SA 4.0

L'achèvement de ce pont de 6.1 km [2] sur le fleuve Padma [fr] [3] reliera la région du sud-ouest du Bangladesh aux régions du nord et de l'est et est prévue pour décembre 2020. Beaucoup espèrent que ce nouveau pont [2] changera la donne [4] de la situation économique du sud-ouest du Bangladesh.

En toile de fond, à côté de toutes ces promesses économiques, circule une fausse rumeur au sujet du pont qui a déjà conduit à huit arrestations [5] et deux morts [6].

Des rumeurs infondées autour de sacrifices humains provoquent en effet beaucoup de fureur

Les rumeurs qui affirmaient que le pont Padma avait besoin de “têtes humaines” pour son achèvement se sont répandues rapidement sur les réseaux sociaux :

Il y a une nouvelle rumeur qui court. Des personnes à l'esprit dérangé propagent des mensonges stipulant que 100.000 têtes humaines sont nécessaires pour finir le pont Padma. C'est un mensonge et il est totalement infondé. Ne prêtez pas attention à ces rumeurs.

Elles se sont déjà révélées meurtrières. Deux morts ont été répertoriés [6] dans le quartier Mohammadpur de Dacca et dans celui de Ashuganj [fr] [9] à Bramhonbaria [fr] [10]après que la foule les a suspectés d'enlever des enfants dans le but de les sacrifier pour la construction du pont. Dans des affaires similaires, dans d'autres régions du pays, les supposés kidnappeurs d'enfants ont été lynchés [11]. Lors d'une conférence de presse, le chef de la police du district de Laxmipur [fr] [12] a déclaré [13] :

যাদেরকে ‘ছেলে ধরা’ সন্দেহে আটক করা হচ্ছে পরবর্তীতে জিজ্ঞাসাবাদে দেখা যায় তারা কেউ মানসিক রোগী বা কেউ ভিখারী। ‘ছেলে ধরা’ খবরটি একটি নিছক গুজব।

Les personnes qui ont été battues, actuellement emprisonnées sur l'accusation d'enlèvement d'enfants, souffrent de troubles mentaux ou sont sans domicile. Les prétendus “enlèvement d'enfants” ne sont qu'une rumeur.

Selon l'article 25 de la loi 2018 sur la sécurité digitale [14], ceux qui se rendent coupables de propager des rumeurs sous un format électronique encourent jusqu'à trois ans de prison ou une amende de 300.000 takas (environ 3.180 euros) voire les deux. Jusqu'à présent, huit personnes ont été incarcérées [5] dans tout le Bangladesh après avoir répandu ce genre de rumeur sur Facebook.

Une ancienne rumeur remise au goût du jour

Apparemment, certaines personnes basent ces rumeurs sur un article de 2015 [15] selon lequel les travailleurs de la compagnie de construction chinoise, engagés pour construire le pont, avaient sacrifié des animaux (chèvres et vaches) aux premières étapes du projet. Selon la croyance des travailleurs chinois, les sacrifices d'animaux peuvent satisfaire les dieux et permettre d’éviter de sérieux accidents. Certains ont partagé des images de sacrifice animal en les présentant comme des images de sang humain et des histoires de jeunes enfants décapités pour le pont.

Les versions de ce genre d'histoire n'ont rien de nouveau au Bangladesh. Il existe un vieux mythe où les têtes humaines sont nécessaires pour un sacrifice pendant les grandes constructions. HR Sanvi Ahmed se souvient sur Facebook d'une même rumeur dans son enfance pendant la construction du pont Kanchpur [16] à la fin des années 70 :

স্কুলে পড়তাম তখন। এক বিকেলে ৪/৫ জন বন্ধু মিলে খুব চিন্তিত। কাঁচপুর ব্রিজ তৈরি হচ্ছে। এখন ব্রিজের জোড়া শক্তপোক্ত করতে মানুষের হাড় প্রয়োজন। যেটা সবসময়ই লাগে বড়বড় সেতু বানাতে। প্রায় ৫০০ মানুষের হাড়। আর এই হাড় সংগ্রহের জন্য মূলত শিশুদেরকেই টার্গেট করা হচ্ছে। স্কুলেস্কুলে কাফনের সাদা কাপড়সহ চিঠি যাচ্ছে। আমাদের স্কুলেও চিঠি এসেছে। শিক্ষকরা প্রতিদিন ২/১ জন করে পাঠিয়ে দিচ্ছে বাচ্চাদেরকে সেতুওয়ালাদের কাছে। এমতাবস্থায় খুব চিন্তিত আমরা। খেলাধুলা বাদ দিয়ে চিন্তা করছি। আমাদেরকেও কিনা পাঠিয়ে দেয়! রাতে ঘুম বন্ধ হয়ে গিয়েছিলো। ছোট মাথা, অনেক বড় দুঃশ্চিন্তা।

J'étais alors un écolier. Mes amis avaient l'habitude de parler des dessous de la construction du pont Kanchpur. Des os humains étaient soit-disant indispensables pour fortifier les soutiens du pont. Au moins 500 os humains étaient nécessaires pour un pont de cette taille. Les enfants étaient les premières cibles et les demandes étaient envoyées directement aux écoles. Notre école a elle aussi reçu ce genre de demande. Les instituteurs envoyaient alors 1 ou 2 enfants aux constructeurs du pont. Nous étions plutôt très inquiets et effrayés. Si, nous aussi, étions les prochains sur la liste. Nous ne fermions pas les yeux de la nuit. Tant de frayeurs dans nos petites têtes !

Des rumeurs identiques avaient ressurgi [17] lors de la construction du pont de Shah Amanat au dessus de la rivière Karnaphuli dans le Chittagong en 2010.

Les sacrifices humains apparaissent [18] dans la mythologie hindoue. Dans de nombreux textes anciens, il est écrit que des têtes humaines étaient coupées [19] pour honorer les démons avant l'édification d'un pont au dessus d'un cours d'eau. Il y a cinq mille ans, le narboli (sacrifice humain) était pratiqué [20] au sein de la civilisation pundra pour satisfaire la déesse de l'agriculture.

[21]

Le lac Ramsagor dans le district de Dinazpur au Bangladesh a été achevé en 1750. La légende veut, qu'à l'origine, le lac était sec et lorsque le Prince Ramnath sacrifia sa vie dans ce lac, il s'est rempli d'eau. Photographie : Selim Khondokar. CC BY-4.0

Dans une interview pour la BBC [22], Susmita Chakrabarti, professeure à l'Université de Rajshahi au département du Folklore, soulignait l'importance de ces mythes.

প্রত্যন্ত অঞ্চলের মানুষ পূর্বপুরুষদের কাছ থেকে যেসব গল্প শুনে আসে, কোনো ধরণের যাচাই ছাড়া সেগুলো বিশ্বাস করার প্রবণতার কারণেই এই প্রযুক্তির যুগেও সেসব গল্প সত্যি বলে দৃঢ়ভাবে বিশ্বাস করে।

Les gens vivent avec ces légendes, transmises de générations en générations. C'est pourquoi ils tombent dans le piège de ces rumeurs sans prendre la peine de les vérifier, même à notre époque dite technologique.

Alors que le gouvernement bangladeshi essaie de contenir la circulation de telles histoires, il a aussi précisé [23] qu'il prendrait des mesures disciplinaires contre ceux qui partagent ces rumeurs :

S'il vous plaît, prenez garde à ces gens qui répandent la rumeur selon laquelle des têtes humaines sont nécessaires pour la construction du pont Padma. La police les a déjà arrêtées.

L'administration du pont a livré un communiqué [26] le 9 juillet 2019 dans lequel elle rejetait les rumeurs de sacrifice et affirmait qu'elles provenaient “de quartiers fanatisés”, incitant la population à ignorer de telles histoires infondées.